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Cet article est
important à maints égards pour expliquer comment la désinformation du public
peut insidieusement s'installer progressivement quand on couvre non seulement
des pays totalitaires, mais simplement des nations peu démocratiques, or celles-ci
représentent 60% des nations siégeant à l'ONU!
Le journaliste
se fait piéger, et pour vivre tranquillement avec sa conscience, il est amené à
adopter le point de vue des gouvernants de ce pays "peu démocratique"
où il séjourne. Ainsi les journalistes couvrant l'Autorité Palestinienne sont
loin de faire exception à la règle, devenant parfois même les ardents
défenseurs des terroristes.
Bertus
CNN ET SADDAM HUSSEIN, UNE LIAISON DANGEREUSE
Si la chaîne d'information en continu se félicite
aujourd'hui de la chute du régime irakien, elle a longtemps contribué à
diffuser ses messages de propagande, accuse un journaliste de The New Republic.
Franklin Foer, Rédacteur adjoint à l'hebdomadaire The New Republic
Paru dans le THE WALL STREET JOURNAL
Traduction et parution en français dans Courrier International du 24 avril 2003
n°651
Le jour de la chute de Bagdad, CNN annonçait qu'elle aussi était libérée. Dans
un article publié par The New York Times quelques jours après
l'événement, Eason Jordan, responsable des informations de la chaîne,
reconnaissait que celle-ci avait appris des "choses terrifiantes" sur le régime baassiste, mais qu'elle
n'avait pu en faire état jusque-là. Diffuser ces témoignages, écrivait M.
Jordan, "aurait pu mettre en danger la vie de certains Irakiens, en
particulier ceux qui travaillaient pour notre bureau à Bagdad".
Bien entendu, M. Jordan est libre de croire qu'une telle franchise peut être
portée à son crédit ; mais ses aveux ne devraient pas lui valoir la médaille du
journalisme éthique. CNN a longtemps nié que ses reportages jouaient avec la
vérité. Pour CNN, la valeur suprême est d'être "sur le coup", de
pouvoir présenter des images depuis l'épicentre même de l'événement. Les
dictatures quelles qu'elles soient comprennent fort bien cette soif, qui leur
permet d'exercer leur chantage. En échange de la fourniture de bureaux à CNN,
les dictatures lui demandent d'adhérer à leurs propres règles de reportage.
Elles créent ainsi des conditions dans lesquelles CNN, comme d'autres médias américains,
ne peuvent guère faire autre chose que se plier à la ligne du régime.
L'exemple irakien est le plus révélateur. Le ministre de l'Information Mohammed
al-Sahaf est devenu la risée du monde entier, mais le fonctionnement de son
ministère était un modèle d'efficacité totalitaire. Il compilait des dossiers
sur les journalistes américains. Il refusait son visa à toute personne
potentiellement hostile. Si vous ne faisiez pas écho à l'agit-prop officielle,
comme l'annonce de la victoire de Saddam Hussein au référendum d'octobre
dernier avec 100 % des voix, le ministère vous faisait clairement savoir que
vous étiez devenu indésirable. Il aurait donc été sans doute préférable de
partir plutôt que de rester dans de telles conditions. Dès leur arrivée en Irak,
les journalistes étaient soumis à une surveillance constante. Des
accompagnateurs contrôlaient leurs moindres mouvements, leur imposaient les
angles de prise de vues et empêchaient toute interview non autorisée. Quand le
régime sentait qu'un journaliste échappait à son contrôle, il recourait à des
méthodes plus brutales. Des employés du ministère de l'Information réveillaient
le récalcitrant au beau milieu de la nuit, l'emmenaient dans un bâtiment
officiel et l'accusaient d'être un agent de la CIA.
Face à de tels obstacles mis à la recherche de la vérité, on aurait pu penser
que CNN et les autres médias cesseraient d'envoyer des correspondants en Irak.
C'est l'inverse qui s'est produit. Chaque fois que le régime menaçait
d'interdire une équipe, les responsables des chaînes s'empressaient de tout
faire pour le rassurer. M. Jordan s'est ainsi rendu treize fois à Bagdad. Pour
être tout à fait honnête, CNN ne fut pas la seule à jouer à ce petit jeu. Mais
en tant que chaîne des records, soi-disant*, elle laisse derrière elle
une traînée plus visible. Il est fort intéressant de se replonger aujourd'hui
dans les transcriptions des reportages et de comparer la version que donnait
CNN de l'Irak avec la réalité qui a émergé depuis. Pendant une dizaine
d'années, la chaîne a naïvement rendu compte des manifestations antiaméricaines
orchestrées par le régime. Lorsque Saddam Hussein a remporté sa dernière
"élection", la journaliste de CNN à Bagdad Jane Arraf traita la chose
comme un événement significatif, expliquant que "ces résultats
expriment un énorme soutien au régime" et constituent "un défi
à l'égard des Etats-Unis". Lorsque le raïs accorda l'amnistie à des
milliers de prisonniers, au mois d'octobre dernier, la journaliste déclara que
cette mesure "apportait un véritable démenti aux violentes critiques
émises depuis plusieurs décennies à propos du bilan irakien en matière de
droits de l'homme".
A lire aujourd'hui M. Jordan, on a l'impression que CNN n'avait d'autre
choix éthique que de mettre la pédale douce. Il existait pourtant des
alternatives : CNN aurait pu quitter Bagdad. Ainsi, non seulement elle aurait
cessé de recycler des mensonges, mais elle aurait pu travailler avec plus
d'ardeur à découvrir la vérité sur Saddam Hussein. Elle aurait pu envoyer des
correspondants au Kurdistan et en Jordanie, où des Irakiens récemment arrivés
pouvaient s'exprimer sans crainte pour leur vie. Elle aurait pu obtenir des
renseignements auprès de groupes d'exilés ayant des contacts clandestins.
Il existe une autre raison pour laquelle M. Jordan ne mérite aucun
applaudissement : il ne dit rien des leçons à tirer de l'expérience vécue à
Bagdad. Après tout, sa chaîne continue d'entretenir des correspondants dans des
pays comme Cuba, le Myanmar ou la Syrie, qui sont dirigés par des dictateurs
qui imposent aux médias des "directives". Même si CNN veut ignorer le
coût moral qu'implique le fait de travailler avec de tels régimes, elle devrait
au moins prêter attention aux coûts pratiques que cela entraîne. Ces
gouvernements ne collaborent avec la chaîne que parce que cela correspond à
leurs intérêts à court terme. Ils ne récompensent pas la loyauté. Que le
ministère de l'Information irakien ait viré CNN de Bagdad dès les premiers
jours de la guerre n'a donc rien d'étonnant. Dans un certain sens, l'absence de
CNN à ce moment crucial n'est finalement que justice : la chaîne ne pouvait pas
utiliser ses caméras pour filmer la chute d'un régime qu'elle avait traité avec
un respect aussi étonnant.