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IL N’Y A PAS DE JOURNALISTES DANS LE MONDE ARABE

Journalisme, désinformation, intervention des pouvoirs publics, propagande  

Par le Dr. Mamoun Fandy, chroniqueur et expert des médias arabes, qui dresse une critique de la presse arabe dans le quotidien londonien arabophone Al-Sharq Al-Awsat, estimant qu'elle n'offre pas de tribune à la diversité des opinions présentes dans le monde arabe. Voici des extraits de son article paru le 5 juillet à Londres.

Traduit et publié par Memri le 29 juillet 2004  sous le N° 755

 

L'absence manifeste de journalistes arabes confine à l'embarras

 

"Il n'y a pas de journalistes dans le monde arabe", m'a répondu un jour le rédacteur en chef d'un journal arabe lorsque je lui avais demandé pourquoi son journal ne couvrait pas un événement journalistique particulier. J'ai entendu exactement le même regret de la part d'un éditeur qui m'affirma, "Nous avons des auteurs, mais pas de journalistes"

À en juger par la couverture par les médias arabes d'évènements comme le procès de Saddam et la situation générale en Irak, cette absence manifeste de journalistes arabes confine à l'embarras. Nous savons très peu de choses sur Saddam, qui a gouverné l'Irak pendant plus de 30 ans, mis à part une seule histoire sans cesse rebattue à propos d'un concierge ou d'un marchand de légumes en Egypte, où Saddam vécut durant sa jeunesse. Si seulement cette histoire était vraie! Ce marchand de légumes a déjà modifié son histoire plus d'une fois.

Il est intéressant de savoir pourquoi les journalistes arabes ne sont pas parvenus à faire des centaines d'interviews de gens ayant connu Saddam de près, ou de familles entières qui furent les victimes de l'ère Saddam. N'y eurent-ils pas 300 000 irakiens enterrés dans les fosses communes? Ou bien est-ce, encore, un mensonge américain? Les victimes n'ont-elles pas des familles et des proches qui peuvent être interrogés, à moins que leur souffrance et leur existence n'aient pas d'importance?

Il serait intéressant de connaître, par exemple, la vie d'une femme dont le mari et les enfants ont été assassinés par Saddam. Il serait intéressant de savoir comment les Irakiens ont voyagé d'un endroit à un autre et d'un pays à un autre, et si leurs enfants parlent l'arabe. Il serait intéressant de savoir comment les enfants qui ont grandi en exil, francophones ou germanophones, s'adapteront à la langue arabe dans le nouvel Irak. Quelle est leur position à l'égard des combattants de la résistance et des comparses d'Al-Zarqaoui? Préfèrent-ils garder des relations avec les pays arabes voisins ou plutôt avec l'Europe? Tous ces gens ont des noms, ainsi que des opinions sur ces questions.

Des milliers de reportages devraient être écrits sur des vies d'Irakiens, mais où sont les journalistes?! Est-ce l'absence de journalistes professionnels qui fait que ces thèmes restent inconnus?»

 

Nos journaux se concentrent uniquement sur les actes héroïques

 

Il existe de nombreuses façons d'explorer ce sujet. Un directeur de journal ou de chaîne de télévision peut, par exemple, nous montrer le témoignage de citoyens ordinaires racontant ou écrivant leurs expériences personnelles concernant l'oppression, l'exil et la disparition de leur famille. Mais le responsable de journal ou le rédacteur en chef de radio ou de chaîne de télévision rencontre des problèmes lorsqu'il souhaite le faire.

Le premier problème est que notre culture est différente de la culture catholique qui met l'accent sur la confession, notamment lorsque l'individu a commis un péché. De la même manière, un individu qui avoue son propre crime ou celui des autres est considéré  comme inacceptable parmi nous. Nous élevons nos enfants dans la croyance qu'il n'est pas masculin de se confesser, de pleurer ou d'admettre que la répression et l'oppression aient pu mettre à mal la détermination d'un homme et éventuellement sa virilité.

Nos journaux se concentrent uniquement sur les actes héroïques et les difficultés à surmonter. Ceci est très louable. Mais il existe de nombreux échecs personnels, des crises et des tourments, et nous devons donner la parole à ceux qui les ont connus. Cela nécessite un changement de la culture de presse ou de ce qui est appelé la culture de salle de rédaction.

Cela nécessite également que les journaux réalisent qu'un groupe spécifique ne représente pas exclusivement l'opinion de tous les Irakiens, de tous les Syriens ou de tous les Marocains. Il faut également que les journaux comprennent que chacun a sa propre opinion et que, si on lui en donne l'occasion, quelqu'un pourra peut-être mieux exprimer son opinion que les chroniqueurs réguliers, du fait de son expérience personnelle (…).

Pourquoi, par exemple, un soldat qui a affronté des terroristes n'écrirait-il pas à propos du terrorisme? Pourquoi ne pouvons-nous pas entendre l'opinion d'un commandant d'unité de patrouille urbaine d'une capitale arabe où il y a des affrontements avec des terroristes ou encore ses commentaires sur notre rôle (i.e. en tant que journalistes) (…).

Clairement est-ce que nous les aidons ou est-ce que nous leur rendons la tache plus difficile? Quelle est leur position sur cette question? Jusqu'à présent, nous n'avons entendu aucun exposé de leurs opinions par aucun d'entre eux, hormis une déclaration ici et là, rapportée par un journaliste inexpérimenté, dans un encadrée .

 

Le respect d'un responsable politique pour un journaliste ne pourra provenir que du respect que ce journaliste a pour lui-même

 

Il n'est pas dévalorisant pour un responsable politique d'écrire un long texte dans la rubrique des opinions d'un journal pour présenter ses orientations générales et celles de son ministère. Pourquoi le Secrétaire d'Etat américain Colin Powell écrit-il un article environ tous les trois mois dans le Washington Post et dans le New York Times ? Pourquoi écrit-il un article aussi long qu'un mémoire entier pour Foreign Affairs ? Powell et Rumsfeld écrivent dans la presse pour convaincre l'opinion de leur politique, et s'il s'avère que l'opinion est mécontente suite à un article, nous nous apercevons qu'ils en écrivent un autre (…).

Dans notre cas, le responsable politique arabe n'éprouve pas le besoin de justifier sa politique car il pense que le peuple le soutient indéfectiblement et qu'il n'y a pas besoin d'explications, ni d'obtenir son soutien.

Les personnalités arabes officielles de premier plan ne respectent pas la presse en tant que vecteur d'information. La tâche de diffuser l'information incombe en partie au journaliste et en partie au responsable politique. Le rôle imparti au journaliste conduit à ce qu'aucun journaliste ne soit respecté par un membre important du gouvernement. Le respect d'un responsable politique pour un journaliste ne pourra provenir que du respect que ce journaliste a pour sa propre profession (…). Le journaliste peut amener l'homme politique à le respecter s'il est bien informé à propos du sujet dont il parle et s'il ne se contente pas de placer le micro devant lui en le laissant dire ce que bon lui semble (…).

Mais même nos personnages officiels se comportent différemment de ceux en Occident. Au lieu de contredire l'auteur d'un article par l'écriture d'un autre article, il décroche son téléphone pour demander au directeur du journal de le faire taire.

 

Le problème central est que nous n'avons toujours pas de journalistes professionnels. La première preuve de ceci est que la couverture médiatique des évènements en Irak ne nous a apporté à ce jour que de nombreux slogans et la seconde preuve est que les hommes politiques arabes ne respectent pas la presse.