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LES PALESTINIENS VALENT-ILS PLUS QUE LES MUSULMANS DU DARFOUR ?
-- La désinformation en marche
--
Par Evelyn Gordon
Paru au Jerusalem Post du 3/1/07
Traduit par Bertus pour www.nuitdorient.com – Le titre est celui
de la traduction, le titre original étant "Perdus dans l'ombre des
Palestiniens"
Depuis quelques semaines, on se lamente beaucoup de l'échec
devant le génocide au Darfour. Ainsi par exemple, l'ex Secrétaire général de
l'Onu Kofi Annan a fait un discours dans lequel il déplorait que 60 ans après
la libération des camps de la mort nazis et 30 ans après les massacres au
Cambodge, la promesse du "plus jamais cela !" sonne creux.
La tragédie du Darfour fait rage depuis plus de 3 ans et on
rapporte encore que des centaines de villages sont détruits et que le
traitement cruel des civils se répand également dans les pays voisins. Comment
une communauté internationale qui prétend défendre les droits de l'homme
peut-elle accepter encore ces horreurs?
Au début de cette année un éditorial du New York Times
descendait en flammes le peu de réactions des instances internationales au
Darfour. Précisant que les massacres et les atrocités se répandaient au-delà
des frontières du Soudan, au Tchad et en république Centrafricaine, on y lit "si
le sinistre score du Darfour, soit des centaines de milliers de morts et 2
millions de réfugiés, chassés de leurs foyers, ne peut pas persuader le monde
d'agir, alors la menace d'un conflit régional pourrait l'y amener".
Le plus étrange c'est que les lamentations proviennent des
2 institutions les plus responsables de la paralysie actuelle: l'ONU et les médias !
Cela peut paraître paradoxal, puisque ces 2 institutions
n'ont pas les moyens d'une action effective sur le terrain, alors que ce sont
les gouvernements qui peuvent agir au sein de l'Onu ou en dehors d'elle. Mais
aucun gouvernement ne s'engagerait dans une cause qui ne peut servir ses
propres intérêts nationaux, à moins qu'il n'y soit forcé par une énorme
pression de l'opinion publique. Et cette pression ne peut être générée que par
ceux qui peuvent faire trembler le monde, d'abord les médias, puis le
secrétaire général de l'Onu.
Or ces 2 institutions ont en permanence traité le problème
du Darfour comme tout à fait secondaire, à côté d'autres conflits dans le
monde. Et le public en Occident et ses gouvernants leur ont emboîté le pas.
Par exemple, le conflit Israélo-Palestinien
qui a entraîné la mort de 4300 Palestiniens et de 1100 Israéliens, lors des 6
dernières années, doit être comparé au conflit au Darfour dans lequel plus de
400 000 Soudanais sont morts en 3 ans. Selon les archives, le New York Times a
publié 418 articles sur le Darfour l'an dernier, 2528 sur Israël et 1146 sur
les Palestiniens. Ainsi selon les normes du New York Times, les morts du
Darfour sont 3 fois moins importants que les morts
Palestiniens. (NdT: Si on rapporte le nombre
d'articles au nombre de morts, on pourrait penser que les Soudanais musulmans
du Darfour sont 100 fois moins importants que les musulmans Palestiniens).
De nombreux autres journaux dans
le monde agissent ainsi. Le Times de Londres a publié 142 articles sur le
Darfour l'an dernier, comparé à 579 sur Israël et 248 sur les Palestiniens.
Pour le Monde de Paris, les chiffres sont 253, 500 et 500; pour le Frankfurter Allgemeine Zeitung, ils sont de
239, 1898 et 638. Pour El Pais de
Madrid, c'est particulièrement flagrant: 120, 2730 et 2013.
Mais tous ces chiffres sont en dessous des distorsions
réelles, car ils ne reflètent par la place accordée au sujet traité. Ainsi 2
articles de l'International Herald Tribune, l'un traite du pilonnage accidentel
d'une maison à Gaza, où 18 Palestiniens sont morts et on lui a consacré 4
colonnes d'entête en grosses lettres plus 30 colonnes de texte. L'autre article
rapportait le massacre de 220 Tchadiens par les milices soudanaises
responsables du génocide au Darfour: 1 colonne d'en tête et
Le comportement de l'ONU est aussi distordu. Le conseil des
droits de l'homme de l'ONU s'est finalement réuni en décembre 2006 au sujet du
Darfour, mais il n'a pas condamné le gouvernement soudanais pour les massacres
qu'il a commandités. Et ce même Conseil a trouvé le temps pour adopter 3
résolutions condamnant Israël…
De même, comme chaque année, l'Assemblée Générale a
consacré 3 journées entières en Novembre pour débattre et condamner
l'"occupation israélienne". On n'a pas le souvenir d'une session
équivalente en ce qui concerne le Darfour. Lors de la session d'automne de
l'Assemblée Générale, pas moins de 25 résolutions ont condamné Israël pour des
soi-disant violations des "droits de l'homme", et aucune résolution
n'a condamné le Soudan pour le génocide du Darfour…
L'Onu a de nombreuses instances, comme le Comité permanent pour
l'exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, qui se consacre
exclusivement au conflit israélo-palestinien et qui attire l'attention en
permanence sur ce conflit. Les réfugiés palestiniens ont une agence de l'Onu
qui ne travaille que pour eux, l'UNRWA, alors que tous les réfugiés du monde
doivent se battre pour attirer l'attention de la seule autre instance, la Haute
commission pour les Réfugiés.
Il est ainsi à peine surprenant que 2 millions de réfugiés
du Darfour soient totalement oubliés dans l'ombre du problème palestinien.
Et de plus cela est confirmé par Kofi Annan lui-même qui a
déclaré en novembre 2006 que "le conflit israélo-palestinien est le
plus important au monde, car aucun autre conflit ne porte en lui une charge
symbolique et émotionnelle aussi importante, auprès de gens très éloignés du
terrain". Si le secrétaire général de l'Onu lui-même considère que la
"charge symbolique" générée par 4300 morts palestiniens est plus
importante que celle portée par 430 000 Soudanais musulmans du Darfour, (NdT: tués par des compatriotes au teint plus clair), il
serait surprenant que de nombreux gouvernements ne considèrent le génocide du
Darfour autrement qu'un banal massacre. Les gouvernants sont des êtres humains
qui ne peuvent concentrer leurs efforts que sur un certain nombre de problèmes
et dans les démocraties, ils choisissent seulement ceux qui intéressent leur
opinion publique.
Et aussi longtemps que les médias et l'Onu n'accorderont au
génocide du Darfour la priorité qui convient, on peut prévoir en toute
confiance que la paralysie globale face à ces massacres perdurera.