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Les Medias Conditionnés Contre Israël
Par Matti Friedman, journaliste
The Atlantic, le 30 novembre 2014
Adapté par www.nuitdorient.com
"Les informations sur le Moyen Orient nous disent moins sur Israël que sur ceux qui nous informent" selon un ancien reporter d’agence de presse.
Pendant la guerre de Gaza en juillet 2014, il est devenu clair que le sujet le plus important et le moins couvert du conflit entre Juifs et Arabes a été la presse elle-même. La presse occidentale est devenue moins un observateur du conflit qu’un véritable acteur. Ce nouveau rôle a d'énormes conséquences pour les millions de gens qui essaient de comprendre les événements du Moyen Orient. Les responsables politiques eux-mêmes dépendent de ces journalistes pour appréhender une région où ils cherchent constamment à intervenir de façon efficace, sans y parvenir.
J’ai écrit un article pour "Tablet" sur ce sujet qui a suscité un vif intérêt et même une controverse. Sur la base de mes expériences entre 2006 et 2011, en tant que journaliste et rédacteur en chef au bureau de l’Associated Press à Jérusalem, l’une des plus grandes agences de presse mondiales, j’ai souligné en termes généraux l’existence d’un sérieux problème.
A l’aide de chiffres portant sur les affectations en personnel, j’ai attiré l’attention sur la disproportion des moyens consacrés par les médias à ce conflit, eu égard à d’autres évènements dans le monde (1).
J’ai donné aussi des exemples de décisions éditoriales motivées par des considérations idéologiques et non par une objectivité éthique.
J’ai suggéré que l’effet cumulatif des mêmes "points de vue" contribuait à créer une histoire manifestement trop simpliste, voire mensongère – une sorte de jeu moderne dans lequel les Juifs d’Israël sont présentés, plus que tout autre peuple sur terre --, comme un exemple d'"échec moral". C’est un mode de pensée qui puise dans les racines profondes de la civilisation occidentale, depuis des siècles.
Pour savoir comment ce modèle de pensée s'exprime au quotidien, il faut l'illustrer par un exemple vécu sur le terrain.
Je vais commencer par une simple illustration: la photo d’un rassemblement récent d’étudiants à l’Université palestinienne Al-Qouds, Jérusalem-Est, qui soutenait le groupe armé du Djihad islamique. Cette photo montre des acteurs jouant le rôle de soldats israéliens morts et d’hommes disposés en rangs, masqués et saluant, le bras tendu, à la mode nazie. Ce salut a été repris par les quelques centaines d’étudiants présents à ce rassemblement-spectacle.
Je n’utilise pas cet exemple pour dire que les Palestiniens sont des nazis. Les Palestiniens ne sont pas des nazis. Comme les Israéliens, ils sont des êtres humains aux prises avec un passé et un présent difficile, et parfois laid.
Un tel événement dans une institution comme l’Université Al-Qouds, dirigée à l’époque par un professeur modéré bien connu, donne une indication sur la nature du vent qui souffle désormais dans la société palestinienne et dans le monde arabe.
La photo du rassemblement présentait un intérêt du fait du lien visuel qu’elle établissait entre toutes les composantes de l’Islam radical. Une telle image pourrait aider à expliquer pourquoi de nombreux Israéliens, bien que parfaitement raisonnables, ne souhaitent pas que leur armée se retire de Jérusalem-Est ou de Judée-Samarie, même s’ils détestent l’occupation et souhaitent vivre en paix avec leurs voisins palestiniens.
Comme disent les spécialistes, l'image produite était considérée comme "forte" et tout était réuni pour un reportage médiatique magistral.
L’important bureau de l’Associated Press à Jérusalem produit plusieurs reportages par jour et il était en possession des photos de l’événement cité. Les directeurs de la rédaction de Jérusalem ont décidé que les images et le rassemblement à l’Université Al-Qouds, n’étaient pas dignes d’intérêt, et la manifestation fut juste mentionnée par l’Associated Press quelques semaines plus tard.
Il faut savoir aussi que le jour où l’Agence décida de négliger ce rassemblement, le 6 Novembre 2013, elle publia une information sur l’engagement du Département d’État des États-Unis à fournir une augmentation mineure de financement de l’Autorité palestinienne. Cette information a été jugée digne d’intérêt.
Et c’est cela la norme à l'Associated Press: on ne publie rien qui nuise aux Palestiniens ou au Hamas. Et les exemples ne manquent pas: la construction de 100 appartements dans une implantation juive est toujours une information majeure; la contrebande de 100 roquettes sur Gaza par le Hamas est complètement écartée des informations.
Le "pipeline" des informations
en provenance d’Israël n’est pas seulement rouillé et fissuré, mais il est intentionnellement
obturé.
Je mentionne ces exemples pour démontrer le genre de décision prise régulièrement dans les bureaux de presse étrangère couvrant Israël et les territoires palestiniens; et pour montrer la manière dont le pipeline de l’information en ce lieu n’est pas seulement rouillé et biaisé, ce qui est habituellement le cas dans le monde des medias, mais qu’il est intentionnellement obturé.
Il y a bien sûr des explications banales à ces problèmes de couverture: les reporters sont pressés, les directeurs de rédaction sont surchargés et distraits. Ces réalités peuvent expliquer de petites erreurs ou des accidents comme des titres mal libellés. C’est pourquoi ces détails ne me frappent généralement pas et je les considère pas comme dignes d’analyse. Certains disent que les amplifications et les omissions sont les résultats inévitables d’une tentative honnête de couverture des événements, dans un environnement de reportage difficile et parfois dangereux. C'est ce que j’ai d’abord cru.
Quelques années de pratique ont changé mon état d’esprit. Ces excuses ne peuvent expliquer pourquoi les mêmes exagérations et omissions se répètent encore et encore, et toujours dans le même sens; pourquoi elles sont communes à tant d’organes de presse; et pourquoi la simple "histoire d’Israël" racontée dans la presse internationale est si étrangère à ceux qui connaissent le contexte historique des événements dans cette région. L’explication est ailleurs.
Pour expliquer en gros le reportage médiatique international sur Israël, il est d’abord important de comprendre que les informations rapportées nous en disent beaucoup moins sur Israël que sur les gens qui les rapportent. Les décisions éditoriales sont faites par des gens qui évoluent dans un milieu social particulier, qui, comme la plupart des groupes sociaux, implique une certaine uniformité d’attitude, de comportement, et même de tenue vestimentaire. Ainsi la mode ces jours-ci, pour ceux qui s’y conforment, est moins le port du veston garni de poches inutiles, que celui de chemises garnies de boutons inutiles.
Ces gens se connaissent, se réunissent régulièrement entre eux, échangent des informations, et surveillent de près les travaux des uns et des autres. Cela peut expliquer pourquoi, un jour donné, un lecteur consultant les articles écrits par la demi-douzaine de grands fournisseurs d’information dans la région, peut constater que bien que composés et édités par des personnes et organisations complètement différentes, ces articles ont tendance à raconter toujours la même histoire.
Ainsi l’obsession de Gaza, oblitère le chaos en Syrie et en Irak, complètement ignoré, comme tout le reste.
Le meilleur aperçu d'un phénomène clef, qui est en jeu ici, ne vient pas d’un journaliste local, mais d’un journaliste et écrivain américain Philip Gourevitch.
Au Rwanda et ailleurs en Afrique, Gourevitch a écrit en 2010 [wrote in 2010], qu’il a été frappé par la zone grise éthique des liens existant entre les journalistes et les ONG. "Trop souvent, la presse est en admiration sans condition des humanitaires", a-t-il observé dans The New Yorker. "Pourquoi ne pas les présenter modestement ? Pourquoi la couverture qui leur est faite, doit-elle ressembler tellement à leur propre auto-représentation, dans les appels de collecte de fonds ? Pourquoi devrions-nous – comme beaucoup de journalistes et de reporters de presse – travailler pour ces agences humanitaires en plus de notre mission de journaliste. Pourquoi les aider dans la rédaction de leurs rapports officiels et dans leurs appels institutionnels, ce que nous n'avons jamais fait pour les entreprises, les partis politiques ou les agences du gouvernement ?"
Cette confusion est très présente en Israël et dans les territoires palestiniens, où des militants étrangers tapissent le paysage rencontré, et où les ONG internationales et de nombreuses agences des Nations Unies sont parmi les acteurs les plus puissants, brandissant des milliards de dollars et employant plusieurs milliers de travailleurs.
Leurs véhicules utilitaires couvrent des sections entières de Jérusalem-Est et leurs dépenses permet à Ramallah de survivre. Ils fournissent aux journalistes des cercles sociaux, des partenaires romantiques, et des emplois supplémentaires – un fait plus que jamais important pour les journalistes d’aujourd’hui, compte tenu de la déconfiture de nombreux journaux et de la nature restreinte de leurs successeurs Internet.
Du temps de ma présence dans la presse, j’ai compris que notre relation avec ces groupes ne faisait pas partie de notre mission de journaliste. Mes collègues et moi-même ne cherchions pas à analyser ou à critiquer groupes. Mais pour beaucoup de journalistes étrangers, ces groupes n’étaient pas des objectifs, mais des sources où on puise et dans un sens, des amis et des collègues d’une alliance informelle. Cette alliance se compose de militants, de membres du personnel international de l’ONU et des ONG et de corps diplomatiques occidentaux -- Il y a aussi une composante locale, faite d’un petit nombre de militants israéliens des droits humains qui sont eux-mêmes en grande partie financés par les gouvernements européens, et de personnel palestinien de l’Autorité palestinienne –
Le brassage se fait dans des endroits comme la jolie cour orientale de l’hôtel American Colony à Jérusalem-Est, ou lors de soirées organisées à la piscine sur le toit du consulat britannique.
La caractéristique dominante de la quasi-totalité de ces personnes est leur côté éphémère. Ils arrivent de quelque part, passent un temps à vivre dans la sous-culture particulière des expatriés, et passent ensuite à autre chose.
Les aspects les plus laids de la société palestinienne sont intouchables parce qu’ils perturberaient "l’histoire d’Israël" qui est l’histoire échafaudée de l’"échec moral juif".
Dans ces cercles, d’après mon expérience, le rejet d’Israël est devenu quelque chose qui oscille entre le préjugé acceptable et la condition préalable à l’entrée. Je ne parle pas d'une approche critique de la politique israélienne ou du gouvernement actuellement au pouvoir dans ce pays, mais de la conviction que, dans une certaine mesure, les Juifs d’Israël sont le symbole des maux du monde. Et en particulier ceux liés au nationalisme, au militarisme, au colonialisme et au racisme. Cette idée s’est répandue rapidement comme l’un des facteurs centraux de l’"air du temps progressif" de l’Occident, allant de la gauche européenne jusqu’aux campus et aux intellectuels universitaires américains, y compris les journalistes.
Dans ce groupe social, ce sentiment se traduit dans les décisions éditoriales prises par les journalistes et les éditeurs individuels couvrant Israël, qui fournissent à leur tour tous les moyens de colportage et d’auto-reproduction de masse à ce mode de pensée.
Note de www.nuitdorient.com
(1) On compte 2/4000 journalistes étrangers en Israël (
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