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LE HAMAS ET LES CHRETIENS

 

Par Michel Gurfinkiel - Diffusé sur RCJ le 1er janvier 2006


La démocratie est un régime politique à risque : il lui arrive de donner le pouvoir à ses pires ennemis. Ce fut autrefois le cas de l'Allemagne, où Hitler, à partir de 1931, bâtit sa légitimité sur des succès électoraux,  avant d'instaurer, en 1933, la dictature que l'on sait. C'est aujourd'hui celui des pays islamiques, où la mise en place de processus électoraux plus ou moins équitables semble conduire nécessairement  à la victoire de partis religieux plus ou moins extrémistes.

En 1992, les seules élections véritablement libres jamais organisées en Algérie avaient laissé entrevoir une victoire du parti islamiste FIS. Entre 1995 et 2002, la libéralisation d'une Turquie soucieuse d'être admise dans l'Union européenne a permis aux partis
islamistes Refah puis AKP d'investir peu à peu le gouvernement. Dans des pays tels que le Maroc, la Jordanie ou l'Egypte, des monarques de droit ou de fait parviennent encore à minimiser par divers artifices la montée des Frères musulmans : mais leur marge de manoeuvre diminue de scrutin en scrutin. Au Liban, le départ des forces d'occupation syriennes a renforcé le poids de l'organisation shiite-fasciste Hezbollah dans l'ensemble du pays. En Iran, la semi-démocratie qui avait naguère porté à la présidence un islamiste modéré et réformateur, Mohamed Khatami, l'a remplacé par un islamiste ultra, Mahmoud Ahmadinejad.

Dans les Territoires palestiniens, enfin, la désintégration du système Arafat et la démocratisation imposée par les Etats-Unis (et l'Europe, à un moindre degré) n'ont eu jusqu'à présent qu'un seul bénéficiaire véritable : le parti islamiste Hamas. Les élections municipales, en 2005, lui ont livré la bande de Gaza et plusieurs grandes agglomérations de Cisjordanie. Les législatives, en 2006, pourraient lui donner la majorité au parlement de Ramallah. Autant dire que ce jour-là, le nouveau processus de paix israélo-arabe connu sous le nom de "feuille de route" aura vécu. Le Hamas se donne ouvertement pour but la destruction de l'Etat d'Israël. Et à cette fin, il préconise ouvertement le recours à la lutte armée et au terrorisme, y compris sous sa forme la plus atroce, les attentats suicide. Mais une victoire du Hamas aura également des conséquences sur les chrétiens palestiniens et plus généralement sur toutes les
communautés chrétiennes d'Orient, qu'elles soient catholiques latines, catholiques orientales, orthodoxes, coptes ou protestantes.

Le Hamas se propose en effet d'imposer aux non-musulmans vivant sous son autorité le régime dit "de protection", en arabe dhimma, prescrit par la Charia. Celui-ci implique le paiement d'une taxe de capitation spéciale, la jiziya. Le chef du groupe Hamas au Conseil municipal de Bethléem vient de le confirmer dans une interview accordée au quotidien américain Wall Street Journal : "Nous, militants du Hamas, nous avons effectivement  l'intention de rétablir le paiement de cette taxe à un moment ou à un
autre. Nous accueillons tout le monde en Palestine, mais à condition de se soumettre à nos lois"
. D'ores et déjà, si l'on en croit le journaliste catholique italien Sandro Magister, le Hamas est en mesure d'imposer son style de vie à Bethléem. Voir le site  www.chiesa.espressonline.it . Le mouvement islamiste est en effet majoritaire au sein de la municipalité (même si le maire, Victor Batarseh, est encore un chrétien) : simple reflet de l'évolution démographique survenue depuis les fatidiques accords d'Oslo de 1993.

Le journaliste français Ugo Rankl écrit dans le dernier numéro de Valeurs Actuelles
(www.valeursactuelles.com): "Les chrétiens formaient au début du XXème siècle la moitié de la population arabe dans la région de Jérusalem et un quart de la population palestinienne arabe. Entre 1949 et 1967, le régime jordanien, puissance occupante en Cisjordanie et dans les secteurs orientaux de la Ville sainte (y compris la Vieille Ville), multiplie les vexations : la population chrétienne de Jérusalem-Est passe alors
de 28 000 âmes à 11 000 (moins 61%). Le régime israélien, de 1967 à 1993, favorise au contraire le maintien des chrétiens sur place, mais sans aller jusqu'à rattacher à Jérusalem les localités chrétiennes de la périphérie, comme le souhaitait le maire chrétien de Bethléem, Elias Freij. La mise en place en 1994, dans le cadre des accords d'Oslo, d'une Autorité palestinienne en Cisjordanie et à Gaza dirigée par Yasser Arafat, est une seconde catastrophe. Les persécutions reprenant de plus belle, la population chrétienne passe de 10 % à 1,9 % de la population totale : quatre chrétiens sur cinq quittent le pays. Arafat les remplace par des musulmans venus de toutes les régions de Cisjordanie, y compris des Bédouins".

Selon la même source, la mort d'Arafat, fin 2004, et l'arrivée de Mahmoud Abbas à la tête de l'Autorité palestinienne n'ont rien changé. Rankl mentionne "les événements  qui se sont déroulés le 4 septembre dernier à Taïba. Les musulmans du hameau voisin de Deir Jarir avaient découvert qu'une de leur filles avait un amant chez les "infidèles". Les parents "lavent leur honneur": ils empoisonnent la malheureuse et l'enterrent avant même qu'elle n'ait rendu son dernier souffle. Mais pour la communauté musulmane, cela ne suffit pas. Au cri de Allahou Akbar ("Allah est le plus grand !"), quelques cinq cents émeutiers attaquent Taïba. Une statue de la Vierge est abattue et souillée, seize maisons sont pillées et incendiées. Les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne, rutilantes dans leurs uniformes impeccablement repassés, n'interviennent pas. Les appels à l'aide envoyé à Mahmoud Abbas restent sans écho".

L'étranglement du christianisme de Terre sainte a été occulté pendant plus de dix ans, notamment en raison de la désinformation systématique pratiquée sous l'égide de Mgr Michel Sabbah, le premier patriarche arabe de l'Eglise latine de Jérusalem, en place depuis 1988. Mgr Sabbah était un militant politique plus qu'un chef spirituel. Et il avait choisi son camp : celui des Palestiniens, des Arabes et d'une alliance avec l'islam, au point, note Rankl, que certains de ses détracteurs le surnommaient "le patriarche
islamique de Jérusalem". La limite d'âge le contraint aujourd'hui à s'en aller: le Vatican lui a donné pour successeur un autre Arabe, mais tunisien cette fois, l'archevêque Fouad Toual. Un pur diplomate.

L'instauration ou la restauration, dans les Territoires palestiniens, d'un régime de dhimmitude dirigé contre les chrétiens - ou même le seul fait d'évoquer cette éventualité - pourrait servir de précédent et donc de catalyseur dans d'autres pays
musulmans. En ce sens les victoires électorales du Hamas ne font pas seulement peser une menace sur Israël ou le processus de paix israélo-palestinien.
Elle peuvent avoir des conséquences incalculables partout où l'islam et la chrétienté se côtoient et se heurtent comme des plaques tectoniques, de l'Europe occidentale à l'Asie du Sud-Est, en passant par les Balkans, le Moyen-Orient et l'Afrique noire.

© Michel Gurfinkiel, 2006