www.nuitdorient.com
accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site
L’intellectuel tunisien Lafif Lakhdar face à la crise identitaire et
éducative que traverse le monde arabe
Dépêche
Spéciale n° 576 – Memri ou Middle east media research Institute
Dans trois articles, affichés en juin 2003 sur le site en
langue arabe www.elaph.com, l’intellectuel tunisien
Lafif Lakhdar (1) aborde, parmi d’autres sujets, celui de la crise
identitaire et éducative que traverse le monde arabe. Voici quelques extraits
de ces articles. (2) Pour en savoir plus sur Al-Afif Al-Akhdar, consultez la
section Réforme dans le monde arabe et musulman sur le site de MEMRI.
Pourquoi les autres aiment-ils
la vie alors que nous aimons la mort ?
Comment se fait-il que nos pays soient parmi les plus riches
en ressources naturelles (…) et les plus pauvres en ressources humaines ?
Pourquoi les connaissances humaines doublent-elles tous les trois ans (…) alors
que chez nous, ce qui se multiplie, c’est l’illettrisme, la peur idéologique et
la paralysie mentale ? Pourquoi toute expression de tolérance, de
modération, de rationalisme, de compromis et de négociation nous
horrifie-t-elle, alors qu’[au son] des cris de vengeance fervents, nous
exécutons tous la danse de la guerre ? Pourquoi a-t-on réussi, partout
dans le monde, à faire le deuil du
passé pour aller de l’avant, alors que nous avons érigé en institution le deuil
lugubre de notre passé qui ne passe pas ? Pourquoi les autres aiment-ils
la vie, alors que nous aimons la mort et la violence, le massacre et le
suicide, qualifiés chez nous d’héroïsme et de martyre (…) ?
[La réponse] à certaines [de ces interrogations] se trouve
dans le mélange explosif de narcissisme collectif blessé et de narcissisme
religieux, responsable de cette paralysie mentale collective. Dans nos têtes
[en référence aux Arabes] se
trouve quelques chose de Dr Jekyll et Mr Hyde : un esprit à la fois dément
et misérable.
Une blessure narcissique [due à un événement historique] est
une frustration qui incite la victime à se mépriser elle-même, un coup qui la
pousse à se considérer comme moins que rien. (…) C’est une castration
symbolique qui engendre un sentiment terrible de honte et d’infériorité ;
dans notre cas, ce sentiment est constant (…) Les Arabes ont vécu leurs
défaites face à l’impérialisme européen et Israël au niveau conscient ainsi
qu’au niveau collectif subconscient (…) ; elles sont vécues comme une
humiliation nationale dont la honte ne peut être effacée que par "le sang,
la vengeance et le feu", ainsi que l’établit la devise arabe nationale.
Le narcissisme collectif religieux consiste en une
déformation de la pensée qui pousse le croyant, dont la religion se fonde sur
les miracles [en référence aux religions monothéistes] à croire que sa nation
est "la meilleure nation créée pour l’humanité" (…), qu’Allah l’a
désignée pour guider et diriger l’humanité. Comment dès lors une telle nation
pourrait-elle imiter [les autres êtres humains] et apprendre d’eux (…) ?
D’où vient aux Juifs la croyance erronée qu’ils sont le
Peuple élu de Dieu et aux musulmans celle qu’ils sont le meilleur des peuples,
créé pour l’humanité ? La source de ce fantasme (…) est l’ethnocentrisme.
L’homme primitif se prend pour le centre de l’univers (…) et croit que Dieu a
tout créé pour lui. Cet ethnocentrisme (…) mène le croyant à penser que,
puisque la langue du groupe qui doit sauver l’humanité [l’arabe] est la mère de
toutes les langues, celui qui ne la parle pas couramment est un animal ou un
barbare, et que puisque sa culture est divine, puisque sa religion est la seule
véritable religion, toutes les autres ne sont que pure vanité (…)
Ce qui permet de dire qu’un peuple a quitté son état naturel
sauvage pour intégrer la civilisation (…) est le passage d’une perception
[ethnocentrique] du monde à une perception d’harmonie entre êtres humains, le
passage d’un [état] potentiellement raciste – où l’on croit en l’existence de
différences inhérentes aux différents groupes ethniques, aux différentes
cultures et religions - [à un état] où
la distinction se fait uniquement [sur le critère] des progrès historiques
accomplis. Ce n’est qu’ainsi que peut avoir lieu la saine transition de la
glorification de l’individu et de la société à la critique que l’on en fait
(…), de la foi aveugle et du consensus à la pensée critique et au désaccord.
(…) Les Juifs croyaient que leur Temple se trouvait au centre de l’univers (…)
mais les plus sages d’entre eux ont oublié les revendications de leurs
ancêtres, alors que nous sommes encore enfoncés jusqu’à la barbe dans notre
narcissisme religieux.
La réponse fondamentaliste à
la crise d’identité : le retour à Allah, chevauchant une ceinture
d’explosifs
La rubrique religion d’Al-Ahram continue
d’illusionner ses lecteurs avec le mythe [selon lequel] (…) la Mecque ne
serait pas uniquement le centre du monde
(…) mais le centre de l’univers tout entier (…) (3) Ce fait, un fantasme
qui n’existe que dans l’imagination de ceux qui y croient, prouve que les
médias religieux forment un pacte avec le [système] éducatif religieux pour
repousser l’esprit scientifique (…) afin d’empêcher le rationalisme (…) de se
glisser subrepticement dans la pensée islamique. Notre narcissisme religieux
hallucinatoire nous enseigne que notre religion est LA
religion, car nos lieux saints sont
au centre de l’univers et car notre nation est plus importante que les autres
nations. (…) En revanche, la succession d’échecs que nous essuyons (…) nous dit
que nous sommes à la traîne des nations (…) Ce discours compensatoire est la
source de plusieurs de nos maux psychologiques, sociaux et politiques et de la
grave crise d’identité que nous traversons. Qui sommes-nous donc ?
Sommes-nous la meilleure nation qu’Allah a produite pour l’homme, où une nation
à la traîne des autres nations ? Et pourquoi en serait-il ainsi
?
Les médias religieux et les centres éducatifs nous proposent
une réponse facile : puisque nous avons abandonné notre religion, Allah
nous a abandonnés. Et donc, partons en campagne pour appeler au retour à
Allah ; retournons donc à l’Age d’or, chevauchant une ceinture d’explosifs
– et la première chose qu’elle fera sauter sera nos espoirs en un avenir
meilleur (…)
Il existe actuellement des strates importantes de la
population musulmane qui se détachent de l’approche réaliste qu’était celle des
compagnons du Prophète (…), lesquels refusaient d’obéir à un écrit religieux en
rupture avec la réalité militaire et leurs intérêts (…) [Pourquoi se
détachent-elles] de la science moderne qui permet une lecture constructive du
texte sacré en l’adaptant aux exigences actuelles ? Parce que cette
blessure narcissique les a rendues vindicatives, méprisantes des considérations
réalistes et raisonnables au plan politique (…) ; elle [en a fait] des
fanatiques incapables de faire une lecture historique du texte religieux (…)
Cette blessure narcissique les convainc de leur infériorité et les jette dans
un deuil mélancolique mortel, tandis que le narcissisme religieux collectif les
persuade qu’elles [ces strates de la population musulmane] sont le nombril du
monde car leur djihad continuera jusqu’au Jour du Jugement et car leur volonté
et leur foi en Allah annulent [le réel] équilibre des forces (…) » (4)
L’éducation religieuse produit des générations atteintes de
la folie de la pureté de l’identité religieuse, rappelant la folie nazie de la
pureté raciale (…) Le narcissisme religieux et le narcissisme national sont
soumis à la même logique : faire du fossé qui sépare les nations et les
cultures pour des raisons historiques un fossé naturel inné (…) [Pour le
nazisme, cela signifiait] que la race aryenne maîtresse devait détruire les
races "inférieures". Pour le narcissisme religieux, cela signifie que
l’islam, la "seule vraie religion", doit triompher des autres
"fausses religion"s.
Mohammed ibn Abd El-Wahhab (5) [qui soutient que]
l’Islam est la seule vraie religion (…) et que les autres religions sont
fausses (…)’ (6) [dit que] l’islam représente même l’avenir des djinns :
"Il est essentiel que le monde entier, les hommes comme les djinns,
intègrent l’islam (…) car s’ils ne le font pas, leur lot sera l’Enfer
(…)". Il n’est pas surprenant que cette personnalité psychopathe [en
référence à Abd El-Wahhab], qui a détruit les tombeaux des compagnons du Prophète
et d’Al-Hussein [petit-fils du Prophète Mahomet], qui a tué des chiites à Karbala,
femmes et enfants compris, soit l’auteur de ces propos hallucinatoires (…) et
fanatiques. Mais le plus alarmant est que l’on demande aux enfants à l’école
primaire d’apprendre par cœur [ses paroles], afin de les rendre incapables de
tout réalisme, de [les forcer] à serrer les rangs (…) et de créer une distance
considérable entre eux et l’autre, dans l’objectif de les conduire au Paradis
enchaînés, de [les infecter] de la folie de la pureté de l’identité [islamique]
et [de les ouvrir] à la mégalomanie, au fanatisme, à la ségrégation de soi et
au terrorisme.
Depuis que les Arabes sont passés [du statut] de nation
conquérante à [celui de] nation conquise, la loi religieuse islamique s’est
refermée sur elle-même, devenant une loi de djihad interdisant toute imitation
des infidèles, toute ressemblance ou interaction avec eux (…) [Depuis que] le cheikh
ibn Taymiyya a établi que le conflit avec les infidèles est l’un des
objectifs de la loi religieuse [musulmane] (…), (7) cette obligation est
devenue une barrière psychologique séparant l’Arabe musulman de la culture
moderne, lui faisant intégrer [l’idée que] les institutions, les sciences et
les valeurs universelles, ainsi que les [inventions] technologiques des
infidèles, s’apparentent à de l’hérésie. Tout produit importé nécessite une
fatwa pour l’autoriser : le café, l’eau courante, les chapeaux de style
occidental, le coca cola, la télévision, les sciences modernes, les droits de
l’homme et la démocratie.
Le narcissisme religieux
hallucinatoire est le fait de circonstances historiques, telles que
les guerres du Prophète contre les Juifs (…), l’impérialisme européen et la
création de l’Etat juif (…) Ces deux derniers événements ont représenté un choc
psychologique pour le monde arabo-musulman ; ce dernier leur a apporté
deux réponses stériles: la première est l’islam soufi, qui a fui le conflit, et
la deuxième l’islam du djihad, frappé de la folie de la vengeance devant être
exercée contre les Juifs et des croisés (…) à n’importe quel prix, même au prix
de "laissez-moi mourir avec les Philistins". L’islam du djihad
[encourageant] le martyre est représenté par Al-Qaïda et le Hamas (…)
dont la véritable motivation, cachée derrière des buts hallucinatoires, est la
vengeance, et la vengeance seule (…)
Pourquoi l’Allemagne et le Japon n’ont-ils pas, comme nous,
lancé des représailles suite aux blessures infligées pendant la Seconde guerre
mondiale (…) ? [Parce que] le narcissisme religieux n’était pas une composante
de leurs cultures modernes (…) et que la laïcité empêchait toute réaction
hallucinatoire à leurs blessures (…) Ils ont imité l’Occident, s’y assimilant,
alors que nous nous sommes battus contre lui, avons lutté contre lui, nous
enfermant dans nos propres valeurs (…) L’islam pris de folie meurtrière,
l’islam du conflit avec les infidèles et de la vengeance militaire, ne sait
plus nommer les véritables problèmes et chercher des solutions réalistes. Le
conflit contre les infidèles – contre leur économie, leur diplomatie, leur
establishment, leurs sciences, leurs valeurs et leur mode de vie - constitue le noyau dur du narcissisme
islamique, de la manière archaïque dont il conduit ses affaires, de son
fanatisme et de la terreur. »
Il existe deux façons (…) de libérer la conscience et le
subconscient islamiques de la "nécessité du conflit contre les
infidèles" (…) L’une de ces voies a été empruntée par l’Iran où, avec la
révolution islamique, le narcissisme religieux a envahi jusqu’au dernier des
fantasmes. Les infidèles ont été attaqués sur tous les fronts, leur musique a
été interdite, leurs instituts d’études ont été fermés pour quatre ans, le
temps d’islamiser la connaissance (…)
[En Iran], le narcissisme religieux n’a pas simplement été
institutionnalisé : les musulmans [de la révolution iranienne] ont cessé
d’aspirer à un Etat Mahdi (8) en se trouvant déçus par son avènement.
Ils n’ont pas vu leur rêve se réaliser dans la république islamique d’Iran. La
république a transformé leur territoire en une vaste prison qui a fermé l’Iran
à la civilisation occidentale. Mais l’eau volée est plus douce : les
chiites iraniens représentent aujourd’hui le peuple le plus occidentalisé et le
plus sécularisé du monde islamique (…)
La deuxième voie est moins douloureuse et moins
sanglante ; elle consiste à rétablir l’assurance des musulmans pour leur
permettre de s’ouvrir à l’Occident. Plus ils s’ouvriront (…), plus ils se
respecteront et plus ils auront confiance en eux. La voie royale est de
remplacer l’éducation religieuse narcissique par une éducation religieuse
éclairée. Le respect de soi et la confiance en soi sont nécessaires pour faire
le deuil de l’obligation d’affronter les infidèles et de l’obligation de
se fermer aux autres ; le deuil de la fidélité [à l’islam] et aux versets
coraniques de l’Epée (9) ; le deuil du djihad jusqu’au Jour du Jugement,
de l’application de la loi de la sharia, du mépris du rationnel, des femmes et
des non-musulmans ; le deuil de l’aspiration à un Etat de califat, de la
libération de la Palestine jusqu’au dernier grain de sable, de la reconquête de
l’Andalousie et de l’institution d’un régime islamique en France d’ici 50
ans !
Qu’est-ce qui nous permet de croire qu’une éducation
religieuse éclairée peut mettre fin à ce narcissisme religieux (…) ? Une
chose est sûre: cette éducation n’enseignera pas aux élèves des textes qui
alimentent les croyances religieuses hallucinatoires comme la croyance aux
djinns, aux anges et à la possibilité d’entrer en relation ou de former des
alliances militaires avec eux (…) Les textes obscurantistes utilisés
aujourd’hui dans le [système] éducatif religieux doivent être remplacés par des
textes rationnels, tels que des textes moutazilites, (10) [des textes de]
philosophie, de réformistes contemporains, afin d’encourager la pensée
autonome, le développement, le dialogue, la fraternité entre les hommes, à
l’instar du système éducatif tunisien. Les droits de l’homme et la philosophie
doivent être enseignés à différents niveaux (…) afin d’ouvrir la conscience islamique
aux valeurs universelles et à la pensée critique (…) Une telle éducation
produira des générations chez qui le dialogue avec l’autre ne débute pas par
des commandements primitifs pour se terminer par des préceptes [religieux]
couvrant tous les domaines. (11)
Le modernisme [est une nécessité incontournable] pour qui
veut rejoindre la communauté internationale contemporaine, l’économie mondiale
et les institutions internationales (…) Ce modernisme et ses valeurs
universelles offrent une garantie à tout programme social digne de ce nom, et
représente le seul moyen pour les sociétés arabes d’intégrer l’âge moderne (…)
Intégrer le modernisme mondial (…) exige [des Arabes] qu’ils
se détachent des normes, des institutions et des valeurs du passé qui ne siéent
pas aux exigences de l’époque et aux besoins de la population (…) Les normes
actuelles nécessitent le passage d’une économie régie par la loi de la sharia à
une économie régie par les lois du marché au moyen d’institutions reconnues
[internationalement]. [Ces normes] nécessitent le passage d’un régime
autocratique à un Etat régi par les lois ; [de ne plus percevoir les
personnes en fonction] des distinctions naturelles qui existent entre hommes et
femmes, [bons] musulmans et musulmans appartenant à l’un des groupes qui ne
sera pas ‘racheté’, mais [en fonction] des droits et des devoirs du
citoyen ; le passage de la persécution des minorités au respect de leurs
droits, du dictat de la loi religieuse au dictat de la loi de la raison ;
le passage de l’époque des droits d’Allah à celle des droits de l’homme, de la
culture de la haine de l’autre à la culture du respect de l’autre, du discours
civilisé et des échanges commerciaux ; le passage du fanatisme religieux à
la tolérance religieuse, (…) de la foi aveugle à la remise en question, de la
vérité absolue à la vérité relative. »
Des guides fondamentalistes et
une éducation fondamentaliste ou une société arabe intégrant l’âge moderne
« Deux groupes puissants luttent contre le passage de
la société arabe à l’âge moderne : les guides obscurantistes de l’islam et
les responsables de l’éducation religieuse. Ces dirigeants rejettent le
rationalisme qui donne un sens aux textes religieux au moyen de commentaires
(…) L’éducation religieuse obscurantiste dominante produit des générations qui
mémorisent les textes religieux, les prive de la possibilité de se faire leur
propre opinion, n’enseignant que l’impulsion agressive, la peur irrationnelle,
l’échec intérieur, les caprices religieux et politiques. Voilà les véritables
terroristes musulmans et leur public, dont la misère culturelle, psychologique
et civile prépare la misère matérielle.
Une lecture textuelle (…) irrationnelle crée une barrière
psychologique entre la conscience islamique et le modernisme, et transforme ses
victimes en élite schizophrène au ‘sang bleu’ qui, en proie au délire,
s’imagine être entourée ‘de Juifs, de chrétiens et de leurs agents laïques’
complotant contre la nation islamique et l’encerclant de tous côtés (…) ;
tel est le point de vue que les Frères musulmans propagent depuis 1928 au moyen
des médias et du système éducatif.
Dans son livre, Ayman Al-Zawahiri [n° 2 d’Al-Qaïda et
chef du Djihad égyptien], écrit : "Quand le djihad contre les
Etats-Unis débutera, il y aura un tremblement de terre qui sera un grand choc
pour l’Occident ; l’établissement du califat islamique en Egypte fera [de
l’Egypte] le guide du monde musulman ; celui-ci mènera le djihad contre
l’Occident (…) et renversera le cours de l’histoire, le retournant contre
l’Empire américain et le règne juif mondial (…)"
Cette tendance psycho-religieuse apparaît aussi dans les
paroles de Ben Laden (…) : "La nation musulmane a reçu la
promesse de sa victoire sur les Juifs, ainsi que l’a dit le Prophète : le
Jour du Jugement n’adviendra qu’après que les musulmans auront combattu et tué
les Juifs, que le Juif se sera caché derrière la pierre et l’arbre et que la
pierre et l’arbre auront dit : ô musulman ; ô serviteur d’Allah, un
Juif se cache derrière moi, viens le
tuer – sauf l’arbre de Gharqad , qui est l’arbre des
Juifs"
Ce que le petit Oussama a appris dans le système éducatif
fondamentaliste d’Arabie Saoudite: « C’est ainsi que l’adulte Ben Laden s’est
fait l’écho de ce que le petit Oussama a appris dans les salles de classe du
séminaire wahhabite centré sur une lecture textuelle des Ecritures. La
tradition mentionnée plus haut [sur la nécessité de tuer les Juifs avant le
Jour du Jugement] est rappelée dans le manuel scolaire [saoudien] "Le
hadith", destiné aux classes moyennes. La leçon du livre sur ce thème
enseigne aux élèves : "Le Gharqad est un gros arbre épineux que les
Juifs plantent souvent en Palestine à notre époque" (…) La leçon explique
ensuite la signification de ce hadith :
1)
La sagesse d’Allah veut que la lutte entre musulmans et Juifs se
poursuive jusqu’au Jour du Jugement.
2)
La tradition prouve [la véracité] de la nouvelle de la victoire qu’Allah
finira par accorder aux musulmans sur les Juifs.
3)
Les musulmans seront victorieux parce que la justice est avec eux et que
le juste finit toujours par triompher, même si tout est contre lui.
4)
La victoire qu’Allah accordera aux musulmans interviendra quand leurs
intentions seront authentiquement [bonnes], leur discours uni et qu’ils se
rattacheront à la Loi religieuse de leur Dieu, faisant respecter ses
commandements et endurant [les épreuves] avec patience.
5)
Le pouvoir matériel ne suffit pas pour acquérir la victoire ; nous
devons nous en remettre à Allah (…)
6)
Juifs et chrétiens, ennemis des musulmans, ne seront jamais contents des
musulmans et nous devons nous méfier d’eux (…)
Cette leçon typique tirée du programme scolaire saoudien
lave le cerveau des élèves de tout soupçon d’esprit rationnel dont il pourrait
être infecté. Le troisième élément de cette liste montre comment les études
religieuses irrationnelles inculquent [les principes] d’une politique
irrationnelle dans l’esprit tendre des enfants : il suffit que la vérité
soit de notre côté pour qu’Allah nous accorde la victoire, même si l’équilibre
des forces est contre nous. Le sixième élément sème parmi les enfants les
graines de la culture de la haine à l’encontre des Juifs et des chrétiens, les
graines d’un complexe de persécution et de la nécessité de nous méfier d’eux
[Juifs et chrétiens] (…)
Dans tous les pays arabes, hormis la Tunisie, cette
éducation religieuse obscurantiste [existe] ; elle peut varier en
intensité mais le fond reste le même. La racine commune est l’absence de
rationalité religieuse [absence qui trouve sa source dans] le Khawarij, (12) le
Hanbali, (13) et les [écoles de pensée] wahhabites (…) La loi religieuse de
style médiéval, qui éradique la personnalité de l’individu, ne reconnaît aucun
de ses droits fondamentaux, l’obligeant à abolir la valeur suprême [de
l’homme], c’est-à-dire son esprit, au nom de ‘l’obéissance’ au texte religieux,
mettant son esprit en congé prolongé.
Partout dans le monde, l’éducation religieuse a intégré les
innovations modernes à des niveaux différents – sauf dans le monde arabe, qui
reste exclus de ces [innovations] (…) Pourquoi enseignons-nous aux enfants [le
verset] : ‘Interdisez votre lit [aux épouses] et battez-les’ (14) plutôt qu’un verset comme : ‘Dieu a
créé pour vous, parmi vous, des épouses pour que vous leur fassiez confiance et
laissiez l’amour et la compassion régner entre vous’ ? (15) Pourquoi ne
pas considérer les versets et les traditions qui montrent les femmes sous un
jour négatif et contreviennent donc aux droits humains comme annulés par les
droits de la femme (…) ? Une autre éducation doit permettre de redéfinir
les non-musulmans, plus particulièrement les Juifs et les chrétiens, sous un
jour positif, afin qu’ils ne soient plus considérés comme des infidèles que les
musulmans doivent combattre ; ils devraient à la place être considérés
comme des partenaires avec qui nous partageons des valeurs communes – dans le
cadre d’une coopération économique, scientifique et culturelle (…) répondant
aux exigences de la mondialisation (…)
Le rationalisme religieux peut commencer par les versets
universels du Coran qui se rapportent à l’égalité de toutes les religions
(…) : Les croyants [en référence aux musulmans], les Juifs, les sabbaïs,
les chrétiens, les zoroastriens et les idolâtres : Allah Seul décidera de
[leur sort] au Jour du Jugement’ (16) ; "Voici les musulmans, les
Juifs, les sabbaïs et les chrétiens. Quiconque croit en Allah et au Jour du
Jugement et agit avec droiture – n’a rien à craindre et ne doit pas être
triste." (17) [Ce premier verset] (…) place le pouvoir de décider du sort
des membres des différentes confessions entre les mains d’Allah, et non entre
celles des hommes. Ces versets mettent tous les croyants [de toutes les
religions] au même plan, et les présentent sous un jour positif (…)
La jurisprudence au Moyen-âge (…) a abrogé ces versets au
profit de des versets faisant de l’islam la religion de la vérité, dépassant
les autres religions, lesquelles ‘sont fausses et apportent la catastrophe
parmi les croyants’ (…), mais les exigences de notre époque nous obligent à
considérer ces versets "nullifiants" comme étant eux-mêmes abrogés et
abolis. Ce sont en effet des versets de circonstance qui ont perdu leur
validité quand les circonstances sous lesquelles ils ont vu le jour ont changé.
[Dans l’ouvrage] Al-Manar, Rachid Ridha considère les
versets de l’Epée du Coran comme abolis (…) ; ils ne concernaient que les
Juifs, les chrétiens et les idolâtres quand ils ont vu le jour. Les califes, au
cours de l’Age d’or de l’islam, considéraient ces versets comme annulés,
puisqu’ils employaient des Juifs et des chrétiens comme ministres et
conseillers sous leur règne. (18)
1] Voir les Dépêches
Spéciales n° 499 et 518 de MEMRI
[2] « Comment
notre blessure narcissique et notre narcissime religieux se combinent pour
détruire notre avenir » ; « Pourquoi le narcissisme religieux nous
empêche d’intégrer l’âge moderne » ; « L’éducation religieuse
irrationnelle est ce qui empêche les Arabes d’adhérer à l’âge moderne »
[3] Al-Ahram (Egypte),
le 28 mai 2003 (la note de bas de page se trouve dans le texte original). http://www.elaph.com
[4] www.elaph.com.:9090/elaph/arabic/ le 16 juin
2003. Les sous-titres sont de MEMRI.
[5] Mohammed ibn Abd
El-Wahhab (mort en 1792), qui a donné son nom au wahhabisme, dirigeait le
mouvement d’éveil fondamentaliste militant dans ce qui est aujourd’hui l’Arabie
Saoudite, tirant plusieurs de ses principes de la doctrine d’Ibn Taymiyya,
dignitaire religieux du 13ème siècle.
[6] Mohammed ibn Abd
El-Wahhab, Al Tawhid, pp. 33-34, leçon 13, publié par le ministre saoudien de
l’Education, Riyad (la note de bas de page se trouve dans l’original).
[7] Ibn Taymiyya, (mort
en1328), maître spirituel du wahhabisme, courant islamique officiel du Royaume
d’Arabie Saoudite.
[8] Selon le prophète
Mahomet, Al-Mahdi (celui qui est guidé) apparaîtra quand les croyants musulmans
seront gravement opprimés aux quatre coins du monde, pour lutter contre
l’oppresseur. Il unifiera les musulmans, apportera la paix et la justice dans
le monde, et régnera sur les Arabes.
[9] Les "Versets de
l’Epée" ou "Versets de la Guerre" représentent une série de
versets éparpillés dans le Coran qui évoquent la guerre des musulmans contre
les idolâtres et les autres confessions monothéistes, comme le judaïsme et le
christianisme.
[10] Courant rationnel et
philosophique de l’islam des 9ème et 10ème siècles. Ses
adeptes furent complètement anéantis par les adeptes d’Hanbal.
[11] www.elaph.com.:9090/elaph/arabic/, le 15 juin
2003.
[12] Les Khawarij
formaient un groupe de musulmans rebelles, non-Arabes pour la plupart, à la fin
du 7ème siècle. Ils prônaient une forme d’islam plus égalitaire.
[13] L’école de pensée de
l’islam sunnite a été fondée par Ahmed ibn Hanbal (mort en 855). Les disciples
d’Hanbal manifestaient une certaine réticence à donner un avis personnel sur
des sujets comme la loi, se montraient profondément intolérants face aux
opinions d’autrui, excluant leurs adversaires des sphères du pouvoir et de la
justice. Très peu populaires, ils ont subi des persécutions.
[14] Le Coran, Al-Nisaa:
33-34.
[15] Le Coran, Al-Rom:
20.
[16] Le Coran, Al-Hajj:
17.
[17] Le Coran, Al-Maada:
69.
[18] www.elaph.com.:9090/elaph/arabic/, le 23 juin
2003.