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DU FUSIL AUX URNES

 

Par Amir Taheri, écrivain iranien et journaliste, rédacteur en chef de Politique Internationale à Paris.

Article paru dans le Jerusalem Post du 18 novembre 2004

Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued

 

Les Arabes commencent à l'appeler "le spectacle de la démocratie", sans savoir comment réagir. Certains espèrent qu'il disparaîtra de lui-même, tandis que d'autres réservent leur jugement jusqu'à plus ample information. Pourtant ils sont nombreux, ceux qui couvrent cette nouvelle politique américaine sous une avalanche de quolibets cyniques.

Nous parlons évidemment du plan Bush de démocratisation du Moyen Orient. Bush a lancé l'idée lors d'un discours à Washington en juin 2002. Un an plus tard, il a donné un contenu à Londres et en juin dernier, lors du sommet du G8 à Sea Island- Georgia, il a présenté un plan plus structuré. Au mois de décembre ce plan sera examiné lors d'une rencontre du G8 à Rabat, rassemblant les ministres des finances et des affaires étrangères, avec leurs partenaires arabes. Selon l'agenda, le but de cette conférence est d'"examiner les moyens de consolider les engagements au Moyen Orient et en Afrique du Nord, en vue d'un développement commun fructueux et d'un renforcement harmonieux du processus de réforme politique, économique et sociale". Ceci est bien entendu libellé en langage diplomatique.

Ce que le président Bush a en tête est plus concret. Partant du fait que cette région est la seule pratiquement en dehors du mouvement général de développement et de démocratie qu'on constate depuis la fin de la guerre froide et que c'est dans cette région que le terrorisme international bénéficie non seulement d'une base populaire, mais aussi de la sympathie et du soutien des élites dirigeantes, le président Bush fait le lien entre ces deux phénomènes et il considère que la démocratisation progressive de la région fait partie de la guerre contre la terreur.

 

Lors des élections présidentielles américaines, le candidat démocrate J Kerry s'est moqué de l'idée que la guerre contre la terreur puisse se terminer par une victoire définitive. Selon lui le maximum qu'on puisse obtenir est la réduction de la terreur dans les limites d'une nuisance acceptable, comme la prostitution, la drogue ou la mafia. Cependant le président Bush offre une alternative permettant de mesurer le succès ou l'échec de la lutte conter la terreur, celle du niveau d'extension de la démocratie.

Si à la fin de son 2ème mandat, il y a plus de démocraties dans la région, il pourra revendiquer une certaine victoire. Sinon il devra admettre son échec.

Le président Bush a choisi ainsi une stratégie à haut risque, parce que la démocratie a des ennemis bien ancrés au Moyen Orient: les élites qui gouvernent craignent de perdre leur pouvoir acquis d'un façon illégitime, ainsi que leurs privilèges; ensuite il y a une série d'opposants dont l'anti-américanisme est le leitmotiv politique (1). Nous avons vu avec quelle férocité les islamistes ont essayé d'empêcher les élections présidentielles et parlementaires en Algérie, dans les années 90. Les seules élections qu'ils acceptaient avaient comme principe de base "un homme, un vote, une seule fois" et leur sinistre slogan était "min al sandouk ilal sandouk", de l'urne au cercueil. Ils ont assassiné des milliers d'électeurs, de candidats et d'élus, en les égorgeant dans la plupart des cas.

En 1996, lors d'une élection dans la Mitidja au sud d'Alger, une urne a été bourrée des parties du corps dépecé du candidat…

On peut voir la frayeur qui s'empare des islamistes quand on parle d'élections libres, partout dans le monde arabo-islamique, notamment en Irak et en territoire autonome palestinien. Et l'on voit sur les murs des villes du triangle sunnite en Irak les mêmes slogans qu'on a vus en Algérie. Voici un communiqué de la coalition islamique d'Irak "le devoir sacré des vrais croyants est d'empêcher toute élection en utilisant tous les moyens nécessaires".

Les despotes et les islamistes craignent des élections libres comme Dracula craint la lumière. C'est la raison pour laquelle, il n'y a aucune une possibilité de progrès dans cette région des ténèbres jusqu'à ce qu'on puisse reconnaître qu'un moyen légitime de faire participer le peuple au processus de décision, à tous les niveaux, est celui des élections libres non truquées.

Aujourd'hui, même les éléments réactionnaires de la société, qui considéraient jusqu'ici que les élections étaient une invention judéo-chrétienne pour diviser les musulmans, sont prêts à les accepter, du moins du bout des lèvres. Malgré qu'elles ne soient pas tout à fait libres et transparentes, des élections ont lieu dans des pays comme Oman, les émirats, Qatar, Bahrein, Koweit, Tunisie, Jordanie, Algérie, Maroc. Le mois dernier l'Afghanistan a tenu ses premières élections libres, quoique non parfaites. Elles ont eu néanmoins un retentissement important et les gens se demandent "si les Afghans ont pu les faire, pourquoi pas nous ?"

En janvier 2005, ce sera le tour des Palestiniens et des Irakiens. Les résultats de ces élections détermineront le programme de démocratisation de la région. Un succès notamment en Irak, centre du monde arabe, enverra un signal fort aux régimes despotiques de Syrie et d'Iran. Un succès dans les territoires autonomes sera un symbole important pour tout le Moyen Orient, car la cause palestinienne a été adoptée comme emblème de leur propre lutte par les arabo-musulmans qui ont considéré l'attentat-suicide et la décapitation comme les seuls moyens de la faire progresser. Transformer la Palestine d'une cause abstraite en une société vivante qui peut poursuivre ses objectifs par des moyens politiques serait une avancée dans la défaite des forces antidémocratiques de toute la région.

 

D'ici à 4 ans si les ténèbres peuvent s'éclaircir un peu, le président Bush pourra se retirer confiant qu'il a gagné au moins la première manche de la guerre contre la terreur.

 

(1) dans un autre article daté du 2 décembre 2004, Amir Taheri décrit son parcours du monde musulman lors du mois de Ramadan. Il a constaté que les gens du peuple étaient moins beaucoup moins antisémites que les élites et que le sujet Israël ne les préoccupaient pas outre mesure. Par contre le seul sujet dont les élites peuvent débattre librement est celui du conflit israélo-palestinien (bouc émissaire oblige) et elles s'en donnent à cœur joie. Il précise notamment qu'Arafat était largement détesté par ces élites arabes, jusqu'au jour où le président français lui a rendu un hommage appuyé; alors ces élites ne pouvaient pas faire moins que lui…

 

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