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LA DÉMOCRATIE EN OTAGE
Par Thomas L Friedman, éditorialiste au Washington Post et New York Times
Paru le 15/07/06 dans l'International Herald Tribune
Traduit par Albert Soued pour www.nuitdorient.com
Quand on observe aujourd'hui la violence se déployer au Moyen Orient, il est facile de percevoir que c'est du "déjà vu" et que l'on sait comment le film va se terminer…mal. Mais là les scènes sont neuves et il faut les interpréter.
Ce que nous voyons en Irak, dans les territoires Palestiniens et au Liban, c'est la volonté des partis islamistes d'utiliser les élections libres pour poursuivre leurs objectifs à long terme d'islamiser le monde arabo-musulman. Ce n'est pas un conflit pour libérer des prisonniers libanais ou palestiniens des prisons israéliennes. C'est une lutte pour le pouvoir au Liban, dans les Territoires Palestiniens et en Irak, et pour savoir qui dictera sa loi dans les prochains gouvernements élus démocratiquement et s'il s'ensuivra de vraies démocraties.
L'aile minuscule extrémiste du Hamas tire aujourd'hui toutes les ficelles de la politique palestinienne. Au Liban le Hezbollah, parti islamique shiite appuyé par l'Iran, fait la même chose, même s'il ne constitue qu'une petite minorité dans le gouvernement. Et il en est de même des milices et des partis shiites en Irak. Ils ne cherchent pas seulement à montrer qui est le chef au sein de chacune des nouvelles démocraties, mais de plus ils sont en compétition entre eux pour la domination régionale. Ainsi, selon le résultat de l'expérience de post 11/9, la démocratie dans l'univers arabo-musulman est prise en otage. Il est vrai que de vraies élections libres ont eu lieu dans chacun de ces territoires. Il est vrai que des milliers d'électeurs ont voté, parce qu'ils cherchaient à contrôler leur avenir. Mais les racines de la démocratie sont si peu ancrées, les majorités modérées sont si faibles et si intimidées que nous avons obtenu les pires résultats. Des partis islamistes ont été élus, insistant pour maintenir leurs propres milices privées et refusant d'assumer toutes les responsabilités d'un gouvernement souverain. Ils refusent que leur gouvernement puisse contrôler leur armement. Ils refusent de se soumettre aux résolutions internationales (1), et ils refusent de se soumettre au principe qu'une seule faction très minoritaire au gouvernement ne peut entraîner l'ensemble du pays dans la guerre.
"Irak, Liban et les Palestiniens ont tous tenu des élections démocratiques" dit le théoricien politique israélien Yaron Ezrahi. "Et l'attente occidentale était que ces élections entraîneraient des gouvernements légitimes, ayant le pouvoir de contrôler la violence, assumant leurs responsabilités en gouvernant. Dans ces 3 endroits, il est sorti des urnes une souveraineté sur le papier, mais pas sur un territoire". Mais alors pourquoi des partis comme le Hamas ou le Hezbollah ont été élus? Parce qu'ils ont dénoncé la corruption et l'ineptie des anciens partis laïcs. Mais depuis qu'ils sont au pouvoir, ce partis religieux ont commencé à servir leurs propres intérêts et non ceux des communautés qui les ont élus.
Un parlementaire chrétien libanais Boutros Harb dit "Nous devons déterminer qui a le droit de prendre des décisions sur la guerre et la paix au Liban. Est-ce un droit qui appartient au peuple libanais et à ses représentants légaux, ou bien est-ce le pouvoir d'une minuscule minorité de choisir?" Il en est de même des démocraties chancelantes d'Irak et de Palestine. "Quand des ministres d'un gouvernement gardent le droit d'avoir des milices privées et agissent en dehors de toute autorité élue, la démocratie n'a plus de sens" dit Ezrahi.
Alors pourquoi les majorités silencieuses ne punissent-elles pas ces partis islamiques qui n'agissent pas dans l'intérêt des peuples? Parce que quiconque parle contre le Hamas ou le Hezbollah est délégitimé et traité d'agent américain ou tout simplement assassiné, comme Rafik Hariri l'ex premier ministre libéral au Liban.
Le monde doit comprendre ce qui se passe ici. Les petites fleurs de la démocratie plantées au Liban, en Irak, en Palestine ont été écrasées par les bottes des milices islamistes soutenues par la Syrie qui cherche désespérément à empêcher toute démocratie de s'implanter dans la région; et par des milices soutenues par l'Iran qui cherche lui aussi désespérément à empêcher la modernité de s'enraciner dans le monde arabe.
Il est probable que les sceptiques aient eu raison: même si la démocratie soit la forme la plus achevée de la légitimité, il est possible qu'on ne puisse pas l'enraciner partout. Cela ne marchera jamais dans le monde arabo-musulman, si les Etas-unis et le Royaume Uni sont seuls à pousser dans cette voie, si l'Europe tergiverse, si les arabes modérés ne se rassemblent pas pour se battre, et si les partis islamistes sont autorisés à se présenter aux élections et à s'asseoir au gouvernement, traités avec respect, alors qu'ils gardent leurs milices privées.
Toute l'expérience démocratique dans cet univers est en jeu ici, et il semble aujourd'hui que tout parte en fumée.
Notes
(1) il faut préciser ici que la frontière israélo-libanaise a été ratifiée par les Nations Unies et que le prétexte invoqué par le Hezbollah à propos des fermes de Sheba est irrecevable
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