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DOUBLE ALLIANCE
Sans le
vouloir, Bush a réussi à diviser et à conquérir le Moyen Orient
Par Edward N Luttwak, conseiller au Centre International d'études
Stratégiques, auteur de "Stratégie: la logique de la paix et de la
guerre" ((Belknap 2002)
Paru dans Opinion Journal-Wall Street Journal du 14 janvier 2007
Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued/conf.htm pour www.nuitdorient.com
L'administration
Bush avait l'immense ambition de transformer le Moyen Orient en remodelant
l'Irak en une démocratie prospère. Ayant échoué dans cet honorable projet, un
autre résultat plus prosaïque a été obtenu, par inadvertance, celui d'une
puissance impériale, soit "diviser pour régner", et pour pas cher!
L'antipathie
ancestrale entre les Sunnites et les Shiites est devenu un conflit en marche,
pas seulement au sein de l'Irak, mais à travers tout le Moyen Orient; et les
principaux protagonistes de chaque bord recherchent l'appui de la puissance
américaine.
Une
fois que l'administration Bush aura compris ce qu'elle a "forgé" dans
la région, elle cessera de se battre pour obtenir plus de troupes en Irak,
parce qu'il est devenu absurde de patrouiller et de circonvenir une guerre
civile, alors que moins d'un quart des troupes en place seraient suffisantes
pour contrôler la situation. C'est le début de ce qui peut être réalisé dans la
région, avec des forces limitées, et une diplomatie plus fine.
Le 4
décembre 2006, AbdoulAziz alHakim, chef du plus grand parti Irakien est venu à
la Maison Blanche pour plaider sa cause auprès du président Bush. Fils d'un
ayatollah et lui-même un militant clérical de longue date, M Hakim n'est pas un
allié naturel des Etats-Unis, alors que vivant pendant 23 ans en Iran, il a dû
plus d'une fois crié "mort à l'Amérique!". Mais comme chef de la
population arabe shiite d'Iran, il n'avait pas le choix. Tous les jours on
assiste à des attaques sunnites. Alors que les sunnites sont renforcés par des
volontaires et par l'argent venant de l'extérieur, les Shiites aussi ont besoin
de toute l'aide qu'ils peuvent trouver, notamment l'entraînement de la police
et de l'armée par les Américains. Pour le président Bush, le visiteur M Hakim a
apporté avec lui des promesses de coopération contre son rival agressif Moqtada
al Sadr, aussi bien que contre les insurgés sunnites. Il n'est plus étonnant
aujourd'hui que le meilleur allié des Etats-Unis en Irak est le parti de M
Hakim, le Suprême Conseil pour la révolution Islamique en Irak, le SCRII dont
le simple titre évoque le modèle radical de la théocratie iranienne.
Alors
que la menace sunnite sur la majorité qui gouverne l'Irak oblige le SCRII à
coopérer avec les Etats-Unis, la perspective d'un Irak dominé par les Shiites
oblige par ailleurs les états arabes sunnites, notamment l'Arabie Saoudite, les
émirats et la Jordanie, à rechercher l'aide américaine contre le pouvoir Shiite
naissant. Certains Sunnites percevaient l'Iran avec suspicion, même sous le
règne du Shah, parce que ce seul état Shiite pouvait être à l'origine de
troubles dans les zones shiites minoritaires et opprimées d'Arabie. Plus
récemment, les états arabes sunnites de la région ont été préoccupés par
l'alliance militaire entre l'Iran, la Syrie et le Hezbollah du Liban.
Aujourd'hui qu'un Irak gouverné par des Shiites peut créer la continuité
territoriale pour cette alliance, le "croissant shiite", allant du
Pakistan à la Méditerranée, ce ne sont pas seulement les sunnites d'Arabie qui
se sentent menacés. Toute l'orthodoxie musulmane est défiée par l'expansion du
pouvoir hétérodoxe shiite.
Bien
que les Etats-Unis aient été responsables de la fin de la suprématie sunnite en
Irak, ils n'en demeurent pas moins les seuls appuis pour les états sunnites qui
résistent à l'alliance shiite. L'Amérique n'a aucun intérêt dans une querelle
séculaire-sectaire, mais il y a une convergence réelle d'intérêts avec les
états arabes sunnites, l'Iran étant l'ennemi commun.
Aujourd'hui,
c'est au Liban que la nouvelle alliance Sunnite-Etats-Unis est le plus active.
Avec les manifestations de masse et les discours menaçants, le chef du Hezbollah
Hassan Nasrallah essaie de forcer le gouvernement de Fouad Siniora à quitter
pour une nouvelle coalition qu'il pourrait dominer. La Syrie et l'Iran
soutiennent M Nasrallah, alors que les Etats-Unis soutiennent M Siniora, qui a
par ailleurs l'appui des Druzes et de la plus grande partie des Chrétiens.
Siniora résiste en tant que chef sunnite, ce qui lui a valu l'appui de l'Arabie
qui le finance, soutient les contre manifestations, et tente même d'acheter le
Hezbollah. C'est grâce à l'identité arabe que le Hezbollah a obtenu le statut
de héros, du fait que l'armée israélienne n'a pas pu le vaincre totalement,
lors de la guerre du Liban. Mais évidemment, beaucoup d'Arabes sunnites au
Liban ou en dehors le considèrent plutôt comme le parti des shiites sectaires,
obéissant au doigt et à l'oeil à l'Iran.
Ce
qui convient aux Etats-Unis, car aussi bien l'Iran que le Hezbollah sont ses
ennemis aussi. La coopération Sunnite-Amérique au Liban, coexistant avec
l'alliance Shiite-Amérique en Irak peut entrainer des résultats stratégiques
importants en détachant la Syrie de l'alliance shiite. A l'origine, cette
alliance était nécessaire pour les deux pays car l'Irak était en guerre contre
l'Iran et, de temps en temps, Saddam Hussein cherchait à renverser le régime
Assad en Syrie. Maintenant que l'Irak n'est plus une menace pour les deux pays,
l'Iran néanmoins a besoin de la Syrie comme pont vers le Hezbollah. Mais pour
la Syrie cette alliance est devenue obsolète sur le plan stratégique et sans
consistance du fait de l'identité arabe et sunnite de la Syrie (1). … ce qui
explique pourquoi la Syrie ne pousse pas fort à la destitution de Siniora, un
appui trop évident au Hezbollah shiite risquant d'être mal vu par la majorité
sunnite syrienne. Mais une autre raison pourrait être la promesse d'aide
économique et d'investissements de l'Arabie et des émirats dans une économie
syrienne anémique. Ce qui favoriserait l'éloignement ou même la séparation de la
Syrie par rapport à l'Iran et au Hezbollah. De son côté l'Amérique ne cherche
plus à pousser la Syrie dans les bras de l'Iran, en menaçant d'attaquer Damas;
le dernier rapport Baker sur l'Irak pousserait même vers des négociations avec
la Syrie, d'où le récent ton conciliant de Bashar al Assad.
L'alliance
Sunnite-Amérique qui fonctionne au Liban hésite encore en Syrie, mais elle
pourrait devenir effective si l'Iran était privé de son seul allié arabe. En
parallèle l'alliance Shiite-Amérique a été renforcée suite à la visite de M
Hakim à Washington. L'insurrection sunnite n'a pas diminué, mais au moins la
secte d'Al Sadr est affaiblie par l'action d'autres groupes shiites.
Quang
M Bush est venu au pouvoir, seules l'Egypte et la Jordanie étaient de réels
alliés. L'Iran et l'Irak étaient des ennemis déclarés, la Syrie était hostile
et même les amis supposés de la péninsule arabique n'étaient nullement enclins
à coopérer et à s'opposer à al Qaeda….
La
guerre d'Irak a introduit un nouveau Moyen Orient, dans lequel les sunnites
arabes ne peuvent plus voir avec jubilation les intérêts américains piétinés,
parce qu'ils ont besoin du soutien américain contre la menace mortelle d'une
suprématie shiite; alors qu'en Irak, le cœur du monde arabe, la Shiah est
l'alliée de l'Amérique;
Ce
que les chefs impériaux d'antan cherchaient toujours à obtenir, avec ruse et
cynisme, l'administration Bush l'a obtenu, sans le vouloir expressément, par
ricochet. Mais le résultat est là, "diviser pour régner"!
Note
(1) la Syrie est gouvernée par une minorité alaouite, une secte de
la shiah qui représente mopins de 10% de la population. Cette foi hétérodoxe
qui croit en Noël et dans la transmigration des âmes (comme les druzes) est
très différente de la shiah d'Irak, du Liban ou même d'Iran, où elle aurait été
persécutée. 70% des Syriens sont des musulmans
sunnites.