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Le Yémen est le Nouvel Etat Failli

 

Par Alessandro Bruno

www.geopoliticalmonitor.com

12/2/15

Adapté et revu par Albert Soued, pour www.nuitdorient.com le 20/3/15

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Il n'y a plus de gouvernement ou de président au Yémen. Le 22 janvier les miliciens shiites de la tribu Houthi du Nord ont assiégé le palais présidentiel à Sanaa. Le président par intérim depuis 3 ans, Abdu Rabu Mansour Hadi et le 1er ministre Khaled Bahah ont démissionné.

Washington a fermé son ambassade, de même que d'autres pays. 4 gouverneurs du Sud, y compris ceux d'Aden et d'Abyan, épicentres de la guerre américaine par drone contre al Qaeda de la péninsule arabique ou AQAP, ont refusé de démissionner par solidarité avec Hadi.

Quelques jours après la prise de pouvoir, les milices Houthi ont dispersé une manifestation spontanée pro-gouvernementale. Ils ont en profité pour affirmer leur pouvoir en brandissant leurs armes et en procédant à de nombreuses arrestations.

 

Le mouvement religieux et politico-militaire Houthi est né dans les années 80 au nord du Yémen à Saada, sous l'obédience de Hussayn al Houthi, mort depuis. Un imamat shiite gouvernait cette région jusqu'en 1962. Le nouveau mouvement exprimait une réaction shiite Zaydi contre le pouvoir sunnite en place, financé par l'Arabie. Après la démission du Président Ali Abdullah Saleh en 2011, au moment dudit "printemps arabe", les Houthis ont réussi à contrôler une grande région, évacuée par une partie de l'armée loyale à Saleh. Ils ont aussi réussi à défaire les milices sunnites liées à al Qaeda et au parti salafiste "al Islah'".

Entre temps, le mouvement politique houthi Ansarullah, a pris part au dialogue pour établir une nouvelle constitution et, de ce fait il a réussi, comme le Hezbollah avant lui au Liban, à prendre l'avantage sur le terrain politique comme sur le terrain militaire, au détriment des sunnites majoritaires.

En août dernier, les milices houthis ont profité d'une mesure peu populaire, la réduction de la subvention essence, pour occuper la capitale, Sanaa, d'abord pacifiquement. Mais inévitablement, elles se sont heurtées aux milices pro-gouvernementales. En fin de compte, dans ce bourbier yéménite, toutes les parties en jeu ont signé en septembre un "accord national de paix", avec un gouvernement temporaire, pour réduire la violence urbaine… Mais c'était sans compter sur le rejet par les houthis d'une réforme fédérale qui aurait regroupé leurs bastions dans la macro-région d'Azal, dense, pauvre en ressources et fermée. Alors, ils ont enlevé le secrétaire chargé des réformes, assiégeant le palais présidentiel et la résidence privée du président. Cela s'est poursuivi par l'attaque du convoi du 1er ministre.

 

Un enchevêtrement de rivalités

Si les problèmes du Yémen se limitaient à la rivalité entre Houthi et Sunni, on aurait pu trouver aisément une solution. Mais au Yémen on assiste à au moins 4 conflits différents.

- D'abord un conflit entre les tribus du nord Houthi et l'autorité centrale

- Ensuite au sud, le Mouvement Méridional demande l'indépendance

- Le mouvement "Islah'" et l'élite de l'ancien régime Saleh, menés par le fils Ahmed du président exilé Saleh, cherchent à rétablir la situation antérieure

- Al Qaeda et les salafistes cherchent à imposer leur régime et la shariah

 

La loyauté de l'armée laisse à désirer et chaque faction a des fidèles dans l'armée, ce qui fait que l'autorité centrale n'a pas pu bénéficier de son appui, au bénéfice des milices Houthis, bien structurées et disciplinées. Le groupe Ansarullah a pu s'emparer ainsi rapidement de vastes territoires à l'Ouest et notamment du port sur la mer Rouge Hodeida, avec son terminal pétrolier. Il en est de même des zones centrales à Marib et Ibb.

De leur côté, les milices sunnites ont eu tendance à favoriser les actions des plus extrémistes d'al Qaeda.

 

On a accusé les Houthis de recevoir de l'argent et des armes d'Iran, alors que l'Arabie a suspendu son aide au Yémen, après avoir financé d'abord Saleh, puis le gouvernement de transition qui a suivi.

Pour Washington, les Houthis représentent le meilleur moyen de neutraliser al Qaeda, étant donné la faiblesse des forces légales. Mais les shiites Houthis n'ont aucune sympathie à l'égard des Etats-Unis. Le président Obama a fait le choix de l'Iran, état islamique dominant dans la région, au détriment de l'Arabie et de ses alliés. Ce qui a permis aux Houthis de gagner du terrain par rapport à l'AQAP.

 

Haïs par les yéménites du fait des relations privilégiées passées avec l'Arabie, les Etats-Unis, ne peuvent intervenir directement dans ce magma politico-tribalo-ethnico-religieux, en dehors d'attaques ciblées par drone. En allant plus loin, au lieu de rétablir l'ordre, ils risquent de compliquer la situation, créant un autre Afghanistan, encore plus dangereux, du fait de la proximité des états pétroliers.

 

Le Yémen est l'état le plus pauvre de la région. Il a quelques ressources en pétrole qui s'épuisent, sans qu'aucun investisseur ne veuille explorer de nouveaux puits. Saleh n'a pas anticipé la situation. Le vide politico-financier a été remplacé par les diverses milices

hostiles entre elles et à l'autorité centrale.

Les états voisins riches de la péninsule sont inquiets du désastre qui se déroule devant leurs yeux et qui ressemble de plus en plus à un autre pays failli, la Somalie. Le Yémen a une situation géographique stratégique puisqu'il contrôle Bab al Mandeb et l'entrée de la Mer Rouge, par où passe le trafic nord-sud du canal de Suez et la route de pétrole arabe. L'Arabie, les émirats et l'Europe sont inquiets.

 

Mais le gouvernement central a refusé aux rebelles Zaidis un cessez-le-feu inconditionnel, du fait que cette tribu shiite Houthi ne s'est pas engagée à ne pas attaquer l'Arabie, qui abrite une partie de la tribu sur un territoire contigu.

La révolte Zaidi a commencé en 2004 et l'Arabie a essayé d'aider le Yémen à l'enrayer jusqu'en 2010, entrainant des milliers de morts et plus de 200 000 personnes déplacées. De plus, par dérision, la doctrine wahabite de l'Arabie semble contaminer aujourd'hui la jeunesse yéménite, au grand plaisir des milices extrémistes salafistes et l'AQAP.

 

Avec un état failli comme le Yémen, qui verra ses ressources pétrolières d'assécher en 2017, avec le manque d'eau, avec 40% de chômage et une population qui croit démesurément (45% en dessous de 15 ans), avec les conflits endémiques qui s'enflamment à tout moment, rien ne sert d'expédier 100 millions $ d'aide militaire américaine. Cela ne fait qu'accélérer l'éclatement de cette bombe à retardement.