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LE POUVOIR DU PÉTROLE SAOUDIEN, UN CHÂTEAU
DE CARTES…
Par Max
Singer, journaliste et chercheur au Hudson Institute et Paul Michael Wihby,
président de Gwest Inc. Article paru au Weekly Standard et repris par le
Jerusalem Post du 14 août 2003,
Traduit et
adapté par Albert Soued, www.chez.com/soued
Surestimer le pouvoir du pétrole
Saoudien aujourd'hui peut avoir une influence néfaste sur toute politique à
l'égard du Moyen Orient. Les mythes suivants sont dépassés, mais ils continuent
encore à fausser le jugement du monde sur la puissance réelle des pays du Golfe
persique et notamment sur celle de l'Arabie Saoudite.
La plupart des réserves mondiales de
pétrole se trouvent au Moyen Orient.
FAUX! Ceci est seulement vrai pour le
pétrole conventionnel, celui qu'on trouve dans des poches et qui coule
facilement. Mais si vous prenez en compte le pétrole "non
conventionnel", comme les sables pétrolifères ou le pétrole lourd, les
réserves du Canada sont supérieures à celles d'Arabie Saoudite et celles de
l'Occident bien supérieures à celles du Moyen Orient. Les découvertes
technologiques des dix dernières années a réduit le coût d'extraction de ce
pétrole non conventionnel, en dessous de
15 $/baril. Son prix est donc inférieur au prix moyen du marché des 30
années précédentes. On en produit déjà 1 million barils/j et sa qualité est
aussi bonne que celle du pétrole noir poisseux qu'on a l'habitude de pomper.
Des "cabales" tournent
autour de ce nouveau pétrole du fait qu'on a tardé à l'extraire d'une façon
économique et que les Verts s'opposent à l'extraction d'une naphte parfois
dévoreuse d'énergie ou polluante. Même en éliminant toutes les réserves
difficiles à extraire, on peut produire en 2020, 30 millions barils/j à un prix
inférieur à 15 $/j. D'ici là, on pourra résoudre techniquement le problème posé
par les 50% à 75% de réserves restantes.
Le monde ne pourra faire face à
l'accroissement des besoins du futur qu'en augmentant la part achetée dans le
Golfe Persique.
FAUX! En plus du pétrole non
conventionnel, il y a bien d'autres ressources pétrolières dans le monde, et la
part actuelle de 23% du Golfe Persique aura tendance à
baisser. De nouvelles technologies de recherche et d'exploitation ont permis de
trouver des réserves importantes de pétrole, hors du Golfe Persique, notamment
en Russie et dans le bassin de la Caspienne, en Afrique Occidentale, en
Amérique Latine, dans le Golfe du Mexique, ailleurs et offshore. Par ailleurs,
la concurrence du gaz naturel se fait déjà sentir depuis que le coût de sa
liquéfaction et de son transport ont été réduits.
En 2020,
le monde aura besoin de 100 à 120 millions barils/j de production nouvelle, et
pourra les trouver sans augmentation de la part du Golfe Persique. Or 190
millions de barils/j seront potentiellement disponibles en 2020, sans avoir
recours au pétrole du Golfe Persique: 40 de l'ex-URSS, 40 du Canada et du
Vénézuela, sous forme de pétrole non conventionnel, 45 principalement de
l'offshore occidental, 25 de l'Afrique Occidentale, 40 du reste du monde.
Ces
chiffres peuvent paraître trop importants mais ils sont possibles à l'échéance
indiquée, d'après les géologues et les spécialistes.
Bien évidemment les compagnies
pétrolières n'investiront que pour faire face à la demande, et c'est par
facilité qu'elles s'approvisionnent dans le Golfe Persique au lieu d'investir
ailleurs, pour en être moins dépendante.
En fait,
les événements politiques décideront des investissements futurs pour renouveler
les puits, augmenter la capacité de production et d'acheminement, exploiter le
pétrole "non conventionnel"…
Le faible coût de production de
leur pétrole fait que les Etats du Golfe contrôlent la part de la demande
qu'ils souhaitent satisfaire.
FAUX. Les compagnies pétrolières ont la liberté
de choisir le lieu d'investissement pour produire et satisfaire la demande. Or
on constate aujourd'hui qu'elles n'investissent pas dans la région du Golfe
pour en augmenter la capacité, ni même pour la maintenir. Les forages nouveaux
sont faits ailleurs.
Il y a
deux raisons à cela: d'abord ce sont les propriétaires des champs pétrolifères
qui profitent des coûts bas de production, et non les compagnies qui
produisent; celles-ci n'ont aucune motivation pour continuer à investir.
Ensuite la région étant devenue politiquement vulnérable, les compagnies
recherchent des lieux plus sûrs.
En théorie
les pays du Golfe peuvent avoir leurs propres compagnies de production, mais
cela nécessite des capitaux et un pouvoir de décision effectif. Les petits
états du Golfe le font pour augmenter leur capacité de production. On peut
espérer que le régime d'Iran changera comme celui d'Irak et que ces pays
pourront augmenter leur production. À ce moment la question ne se posera plus
de savoir quelle part du pétrole mondial vient de cette région.
Les Occidentaux ont plus besoin
du pétrole des pays du Golfe que ceux-ci n'ont besoin de l'argent reçu.
FAUX. La plupart des états du Golfe
dépendent du revenu pétrolier, qui leur procure la quasi totalité des devises.
Les pays consommateurs n'achètent que moins du quart de leurs besoins dans la
région et ont des stocks suffisants pour six mois.
Il y a 20
ans, le pétrole a élevé le niveau de vie des Saoudiens jusqu'à 20 000 $/hab,
donnant au pays des réserves monétaires miraculeuses, autorisant l'Arabie à
boycotter l'Occident, à réduire la production ou à cesser de livrer.
Aujourd'hui le revenu est de 6000 $/hab, les réserves de devises ont fondu et
ont été remplacées par une énorme dette nationale, la majeure partie du pays
dépendant d'officines gouvernementales pour se procurer des liquidités.
Il est
généralement admis que si les Etats du Golfe se sentent menacés par une
quelconque concurrence, du fait de leurs faibles coûts de production, ils
peuvent pratiquer des cours de dumping pour éliminer cette concurrence. Ceci
était vrai dans le passé. Aucun régime du Golfe n'a aujourd'hui le cran et les
moyens de se permettre cette politique pendant longtemps. La plupart des
producteurs hors golfe arrivent aujourd'hui à gagner de l'argent avec un prix
de vente bien inférieur à 15 $/baril!
L'Arabie saoudite a les moyens de fixer
le prix de vente du pétrole aux pays Occidentaux et de ruiner leurs économies.
FAUX, dans la plupart des cas. Aussi
longtemps que l'Arabie a la capacité de fournir plus de pétrole qu'elle n'en
peut vendre, elle peut baisser ses prix. À l'inverse, en période pénurie, les
Saoudiens savent qu'il est de leur intérêt comme du nôtre, de ne pas laisser
les prix trop grimper, car ils susciteraient d'autres ressources d'énergie et
ils en seraient alors les premières victimes.
En fait
les pays producteurs du Golfe ont peu d'influence sur le marché, qu'il y ait
abondance ou pénurie de pétrole. Cela dépend des décisions prises deux à dix
avant, en matière d'investissements, par les compagnies pétrolières. Si
l'investissement dans de nouvelles capacités a été suffisant, il y a abondance;
si les producteurs ont été trop prudents, ou si la demande est plus forte que
prévu, il y a pénurie et les prix sont susceptibles de grimper; et ceci
d'autant plus que les producteurs coopèrent pour limiter l'offre de pétrole.
Dans le
cas où l'investissement passé a été suffisant et que la capacité de produire
est supérieure à la demande (ce fut le cas dans le passé, mais plus
maintenant), les pays producteurs n'ont pratiquement plus la liberté de jouer
sur l'offre et les prix. Pourtant il est difficile de les empêcher de
"tricher" avec les quotas de l'OPEC. Mais, s'ils peuvent limiter leur
offre pour éviter un effondrement des prix, ils ont de la chance.
Comme les
réserves de pétrole sont pléthoriques du moins pour les 20 prochaines années,
l'offre entre 2006 et 2020 dépendra essentiellement des capitaux investis. Si
les compagnies pétrolières occidentales décident d'investir suffisamment, les
pays du Golfe ne peuvent intervenir ni sur l'offre ni sur les prix.
Les pays
producteurs retrouvent une certaine influence lorsque l'investissement des
compagnies pétrolières a été insuffisant; alors ils peuvent créer une pénurie
ponctuelle.
La principale conclusion est que jusqu'ici les décideurs
politiques des Etats-Unis ont tiré de ces mythes éculés une attitude de
déférence à l'égard de l'Arabie Saoudite, parce qu'ils sont persuadés que ce
pays a le pouvoir de ruiner l'Occident grâce au pétrole.
Il faut savoir que les élites et
les politiques Américains ont plus de respect pour l'Arabie que pour aucun
autre pays. Quand un pays quelconque impose des restrictions aux diplomates
américains, les Etats-Unis prennent des mesures similaires de rétorsion. Ce
n'est pas le cas quand il s'agit de l'Arabie. En effet, ce pays n'a jamais payé
le prix d'interdire aux femmes diplomates américaines de conduire. Tout le
monde est au courant de la souffrance de ces femmes américaines dont les
enfants ont été kidnappés par le père saoudien, sans que leur pays
n'intervienne, par "respect extrême" vis à vis de l'Arabie (1).
Or la
politique saoudienne à l'égard des Etats-Unis est fondée sur la perception de
cette crainte, liée au pouvoir supposé du pétrole. Ceci explique pourquoi le
prince Abdallah s'est senti libre de traiter le président G W Bush avec
condescendance à Crawford, Texas, moins d'un an après que 15 citoyens Saoudiens
aient attaqué le World Trade Center et le Pentagone. Ceci explique pourquoi les
Saoudiens se sont sentis sûrs d'eux, quand ils ont distribué plus de 50
milliards $ provenant du pétrole, pour répandre la haine des Etats-Unis et de
l'Occident, durant les 20 dernières années.
Le jour où
ces décideurs politiques se rendront compte que l'économie mondiale est moins
entre les mains de l'Arabie que ne l'est l'économie saoudienne, entre les mains
des clients occidentaux, alors ils cesseront d'être effrayés….Ils devraient
réaliser que la réalité a changé et que la menace du pouvoir du pétrole arabe
n'a plus cours.
La montée
du terrorisme de l'Islam militant contre les Occidentaux a coïncidé avec
l'envolée des prix du pétrole des années 19798/80 et avec le transfert de
milliards $ de l'Occident vers les pays du Golfe. Alors il s'ensuivit la
croyance dans un pouvoir du pétrole musulman qui a été l'une des raisons pour
lesquelles un Osama Ben Laden a cru que l'Amérique était suffisamment affaiblie
pour être attaquée et détruite.
Les
réalités nouvelles de l'économie pétrolière doivent inciter les politiques
américains à chasser les vieux mythes d'un pouvoir pétrolier arabe et surtout
la peur d'un chantage saoudien. On ne peut pas nier que l'un ou l'autre des
états du Golfe puisse créer des difficultés passagères, mais pas plus qu'une
grève….Il faudrait déplacer les Saoudiens du piédestal où ils ont été mis par
les politiques américains et les ramener à leur juste niveau, une autocratie
gouvernée par une grande famille minoritaire, qui n'a plus l'appui de son
peuple, qui n'est pas très populaire dans le monde musulman et qui s'appauvrit
de jour en jour…Ce pays ne peut plus punir l'Amérique pour ses choix politiques
au Moyen Orient, bien au contraire, il est à sa merci. Ce pouvoir saoudien
n'est plus qu'un château de cartes qui s'écroule devant les nouvelles réalités
économiques dans le monde.
La
deuxième conclusion qu'on peut tirer est de l'ordre de la stratégie économique.
Point n'est besoin de réduire la consommation de pétrole pour réduire la
dépendance des Etats-Unis vis à vis du pétrole importé. Il y a lieu de
s'assurer que l'investissement dans les capacités de production est suffisant
par rapport à la demande potentielle des prochaines années et que les stocks de
pétrole sont à un niveau qui permette une influence sur la stabilité des prix;
en plus ces stocks sont un moyen de pallier une pénurie due à un chantage
quelconque.
Les
événements du 11 septembre 2001 sont le creuset où une nouvelle politique se
modèle au Moyen Orient. Il apparaît aujourd'hui que l'argent du pétrole
saoudien a été à l'origine de la résurgence de l'Islam militant et terroriste à
travers le monde. On a besoin de chasser les mythes éculés de la puissance du
pétrole saoudien pour établir une nouvelle politique réaliste et saine pour la
région.
(1) note
du traducteur: on ne m'enlèvera pas l'idée que l'extrême déférence vis à vis
d'un tiers qui ne le mérite pas, au delà de la crainte, est le résultat d'une
forte corruption.