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DEMOCRATIE A L’EGYPTIENNE

 

Par Benjamin Balint et Nir Boms - Benjamin Balint est un écrivain basé à l’Institut Van Leer de Jérusalem. Nir Boms est vice-Président du Centre pour la Liberté au Moyen-Orient (www. Middleeastfreedom.org)                  

Paru dans le Jerusalem Post du 4 mars 2007

Article traduit par Fred Rothenberg pour www.nuitdorient.com

 

L’activiste,  leader du mouvement démocratique égyptien, Saad Eddin Ibrahim orne son petit bureau du Caire au Centre Ibn Khaldoun pour les études sur le développement de deux photographies. L’une le montre avec le Vice-Président US Dick Cheney à la Maison Blanche et l’autre est un portrait du leader du Hezbollah le Sheikh Hassan Nasrallah.

La juxtaposition traduit avec intensité certaines des surprenantes ambiguités qui caractérisent l’opposition pro-démocratique en Egypte.

Trois forces principales participent à la vie publique de ce pays de plus de 70 millions d’habitants : le Parti National Démocratique au pouvoir et conduit par Hosni Moubarak ; les islamistes qui ont fait progresser leur représentation parlementaire de 2% en 1984 à près de 20% aujourd’hui ; et les démocrates, visés à la fois par les autocrates et les théocrates.

La première de ces forces est à la fois la plus puissante et la plus immuable. Dans son discours de novembre dernier lors de l’inauguration de la session parlementaire, Moubarak, qui est président depuis 1981, a émis le vœu de rester président jusqu’au dernier battement de son cœur. Il a aussi pris des mesures pour assurer la succession à son fils Jamal, une motion qui devrait être proposée comme mesure destinée à assurer la « stabilité » de l’Egypte.

Moubarak emprisonne régulièrement ses adversaires, des hommes comme Ayman Nour, candidat aux élections présidentielles de 2005 (qui a recueilli 7% des voix), Talaat el-Sadat, membre du parlement et neveu d’Anwar Sadat, qui a critiqué l’armée égyptienne, et Ibrahim, emprisonné en 2000 avec plusieurs dizaines de membres de son équipe et acquitté trois ans plus tard.

Le programme des islamistes, comme celui de Moubarak est clair. Les Frères musulmans qui continuent à se renforcer sous le slogan « l’Islam est la solution » sont considérés par certains comme les vrais bénéficiaires de la « révolution démocratique ». Mais leurs résultats électoraux doivent aussi être évalués à l’aune des 500 millions de livres égyptiennes qu’ils auraient dépensé en distribuant des enveloppes et achetant des votes au cours de cette dernière élection. Avec seulement 23% d’inscrits se présentant au vote, ces éléments tactiques prennent une importance disproportionnée.

 

L’opposition pro-démocratique est toutefois beaucoup plus difficile à comprendre. Bien que sur le papier il y ait 23 partis d’opposition, en réalité seulement trois ont de l’importance : le Parti libéral Wafd (interdit de 1952 à 1978), le Parti Nationaliste Arabe Nassérien, et le parti de gauche Tagammoua'h.

Chacun à sa manière propose des mesures pour développer une authentique démocratie et un système judiciaire indépendant, la libre expression des partis politiques, la privatisation des médias et l’abolition de l’état d’urgence en Egypte. Les réformateurs s’efforcent aussi d’amender l’article 77 de la constitution pour imposer une limite de deux mandats au président.

Ils partagent aussi les doléances sur le déclin économique et culturel d’un pays habitué à se présenter comme le symbole de la fierté arabe. Ils ne se contentent pas de souligner la pauvreté choquante de l’Egypte, mais mettent aussi en relief la perte de son aspect cosmopolite, ses liens branlants avec l’Occident, et l’état dramatique de son système scolaire.  Le Conseil National de l’Education a indiqué que la dépense annuelle de l’Egypte par étudiant à l’université est de 743 $, environ un dixième de la même dépense dans les pays en voie de développement, et environ un cinquantième de la dépense des pays développés.

 

Sur un point, toutefois, les réformateurs égyptiens sont en accord avec les autocrates et les théocrates : En surface tout le moins, ils partagent une attitude critique envers les efforts américains pour démocratiser le Moyen-Orient. Ils considèrent les annonces américaines de 2005 sur un  « printemps arabe » occasionnées par la « Révolution du Cèdre » au Liban, les élections sans précédent en Irak, et dans les territoires palestiniens et la première élection présidentielle à candidature multiple en Egypte depuis 50 ans, comme prématurément optimistes.

A en juger par les files d’attente aux portes de l’ambassade, les égyptiens continueraient à penser que l’Amérique est un pays d’opportunités. Mais le ressentiment reste fort devant ce qu’Ibrahim qualifie par exemple de démocratisation  « mal informée et excessivement idéologique » .

Rafaat El-Saeed est une référence en ce domaine. Membre du Conseil de la Shoura (la chambre haute du parlement), il dirige l’opposition de gauche Tagammoua'h, qui prône l’égalité des droits pour les chrétiens et pour les femmes, des réformes démocratiques, et la justice sociale. Et pourtant il n’est pas pro-américain. « Les Egyptiens », expliquait-il l’autre jour « ne peuvent imaginer que ceux-là même qui ont abusé de prisonniers irakiens à Abu Ghraieb, qui dirigent le camp de détention de Guantanamo et sans cesse oublient l’agression israélienne sont aussi d’authentiques démocrates. »

        

Et même à part ces péchés, El-Saeed pense que l’initiative américaine de démocratisation est fondamentalement abusive. « La démocratie est une affaire intérieure ; vous ne pouvez l’exporter par tonne. » Motivés par de tels ressentiments, les politiques égyptiens pro-démocratiques restent critiques des efforts américains de promotion de la démocratie au Moyen-Orient. Mais contrairement aux autocrates et aux théocrates, leurs ressentiments sont aussi curieusement mêlés avec certains autres sentiments : une déception liée à la disparition de la pression américaine sur leurs alliés autocratiques. Les réformateurs notèrent particulièrement que lors de sa dernière visite au Caire et à Louxor à la mi-janvier, la Secrétaire d’Etat Condoleeza Rice évita remarquablement la rhétorique sur la démocratisation qu’elle avait employée lors de son précédent voyage en 2005.

El Saeed termina notre conversation avec une autre critique : l’initiative américaine pour la démocratie au Proche-Orient, expliqua-t-il s’est montrée hésitante et inconsistante- pour ne pas dire contradictoire. C’était une plainte, mais aussi une demande voilée pour une persévérance tempérée par une sensibilité aux complexités d’un pays qui commence à peine à développer une classe politique. L’incidence est claire : Plutôt que d’abandonner ses efforts pour promouvoir la démocratie dans la région, les Etats-Unis devraient écouter plus attentivement ses alliés naturels dans les pays arabes et poursuivre ses efforts d’une manière à la fois plus régulière et moins gauche.        

 

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