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Article de Thomas L Friedman paru dans le New York Times du 4 mai 2005
Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued/conf.htm
Pour www.nuitdorient.com
Ces dernières semaines, non seulement l'Irak a été déstabilisé par de multiples attentats
à la bombe-suicide, mais l'Egypte et l'Arabie Saoudite ont elles aussi subi des attaques similaires par des "jihadistes" fanatiques. Comment trouve-t-on autant de gens prêts à se suicider sur commande, jour après jour? Que se passe-t-il ?
Dans une certaine mesure, le monde arabo-islamique ne fait que récolter ce qu'il a semé. Quand ces attentats étaient dirigés contre des Israéliens, nombre d'intellectuels et de leaders religieux et politiques chantaient les louanges de l'attentat-suicide. Maintenant ils voient comment cette arme du nihilisme – autrefois sanctifiée et glorifiée –peut être utilisée contre leur propre société. Ce n'était pas juste hier de l'utiliser contre des Juifs et ce n'est pas juste aujourd'hui de l'utiliser contre des Musulmans. On ne peut pas construire une société décente sur les tombes de ces gens qui se font sauter et sur celles de leurs victimes.
Mais ces attentats sont aussi le signe que le combat important que mènent les Etats-Unis
pour tenter d'ériger la démocratie en Irak a fait mouche. Le biographe et traducteur de l'écrivain égyptien Naguib Mahfouz, Raymond Stock, qui est aussi mon ami, a longtemps résidé au Caire. Il prétend que nous assistons aujourd'hui aussi bien à Bagdad, à Riyad qu'au Caire à l'"incarnation" moderne de plusieurs guerres profondément enracinées dans les mentalités et qui s'emboîtent les unes dans les autres. C'est d'abord la vieille guerre en Islam entre les "Rationalistes" et les "Traditionalistes", qui remonte au 9ème siècle à Bagdad. S'ajoute la lutte ardente entre frères "sunnites" et shiites" qui remonte au temps des premiers califes et née des conflits de succession. Et puis il y a la confrontation Islam-Occident qui remonte aux premières conquêtes arabes du 7ème siècle et aux Croisades.
Dans l'incarnation moderne de chacun de ces conflits, les tenants de la minorité "sunnite – traditionaliste - jihadiste" sont en train de perdre la guerre. D'où leur acharnement et leur violence, pour ne pas perdre un monde révolu qu'ils cherchent à perpétuer, et qui est rejeté par d'autres Arabes et d'autres Musulmans qui n'ont pas la même vision de l'avenir.
R Stock me dit "Les élections en Irak ont été un véritable choc pour ces militants jihadistes. Ils avaient menacé leurs compatriotes "tu votes-tu meurs" et ils ont été défiés par des millions d'Irakiens qui leur ont dit en votant "je vote-je décide". Et ce qu'ils ont décidé, ce n'est pas "d'obéir à l'Amérique", mais de construire leur propre société arabe, ouverte à la modernité, avec une interprétation de l'Islam qui permette l'innovation, le progrès et l'adaptation au monde qui évolue".
Les forces du jihad n'aiment pas du tout cette liberté de choix et voient la lutte pour la démocratie comme une invention du diable, une abomination par rapport à leurs croyances: interprétation littérale de l'Islam, rejet de la modernité, de l'émancipation de la femme et du pluralisme politique ou religieux.
Abou Moussab al Zarqaoui, le jihadiste jordanien qui est
derrière la plupart des attentats en Irak a bien résumé la situation dans une
déclaration de janvier 2005: "On doit s'opposer à la démocratie parce
qu'elle signifie qu'on peut choisir sa foi, et ceci est contraire à la loi
d'Allah…Ô peuple d'Irak où est votre honneur? Avez-vous déjà accepté
l'oppression de ces putains de Croisés? "
Zarqaoui et ses alliés saoudiens et égyptiens essaient de défaire l'Amérique et sa coalition au cœur même de l'univers arabo-musulman, mais Zarqaoui et Cie sont en train de perdre la guerre et ils le savent, d'où leur extrême violence et leur sauvagerie.
"Ils ont déjà perdu la bataille avec leurs congénères, dans leur propre communauté, car ils sont incapables de leur offrir un avenir tangible. Ces jihadistes-sunnites-traditionalistes commencent à s'affoler au prix de 3 à 4 attentas-suicide par jour. Ils savent que si la démocratie s'installe dans cette partie du monde, ils sont refaits", dit Raymond Stock. "La majorité de la population n'adhère ni à leurs méthodes, ni à la plupart de leurs idées et ne veut pas vivre la vie des Talibans. Si la démocratie se propage dans le monde arabe, ce ne sera pas forcément avec des sentiments pro-américains, mais des sentiments surtout de "survie" et non de "suicide". La culture de la vie aura eu raison du "culte de la mort". La couverture récente du magazine égyptien Rose al Youssef montre deux chanteuses pop arabes connues, avec le commentaire "Plus fortes que l'extrémisme".
C'est vrai, nous avons un long et dur combat à mener en Irak; c'est vrai aussi que les forces de la décence morale et du pluralisme avancent lentement, mais sûrement. Cela ne se fera pas en un clin d'œil. L'armée américaine et le nouveau gouvernement librement élu ne contrôlent pas encore la totalité du terrain. Il faudra certainement trouver le moyen d'intégrer des sunnites réalistes, voire même des jihadistes déçus, s'ils souhaitent participer à un avenir meilleur de leur pays.
Les "méchants" ne gagneront pas cette guerre; mais les "bons" non plus, s'ils ne tendent pas la main à tous ceux qui se sont fourvoyés dans une lutte sans issue (1).
Note du traducteur:
(1) Ce genre de conclusion me sidère, car il faudrait que Mr Friedman, un homme intelligent tenant compte de propos sensés de son ami Raymond Stock, m'explique comment on fait pour intégrer des terroristes dans un pouvoir dit démocratique!…