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POUR SAUVER L'IRAK, LAISSONS DE COTE LA POLITIQUE POLITICIENNE

 

Par Henry A Kissinger, ancien Secrétaire d'Etat, dirige la société de conseil Kissinger et associés.

Article distribué par Tribune Media Services et publié par l'IHT le 16/09/07

Traduit par Albert Soued, écrivain, dernier ouvrage paru Quand le Moyen-Orient verra-t-il la lumière ?

 

Deux réalités couvrent tout débat valable sur la politique à l'égard de l'Irak. Primo, on ne peut pas mettre fin au conflit par des moyens militaires seulement. Secundo, de même, on ne peut pas y mettre un terme, en cédant le champ de bataille au jihad, dont le radicalisme n'a pas de limite.

Un retrait brutal d'Irak ne fera pas cesser la guerre, mais la redirigera vers les conflits génocidaires entre sectes et vers la résurrection de bases terroristes. Si l'Amérique abdique, le Liban sera dominé par le Hezbollah, aux ordres de l'Iran, une guerre Israélo-syrienne pourrait éclater, Israël pourrait frapper les installations nucléaires d'Iran, afin de desserrer l'encerclement islamiste, la Turquie et l'Iran séviraient chacun contre ses autonomistes kurdes et les talibans d'Afghanistan s'enhardiraient. Voilà ce que signifie un départ précipité. Les Etats-Unis perdraient toute initiative pour façonner les événements, en Irak même, dans la lutte contre l'islamisme radical, et dans le monde en général.

 

Le bon niveau des troupes qu'on doit laisser en Irak ne dépend pas de compromis politiques chez nous. Si la réduction du niveau des troupes devient une mise à l'épreuve de la politique locale américaine, tout retrait générera des demandes pour d'autres retraits jusqu'à l'effondrement du système politique, militaire et psychologique. Toute stratégie correcte implique une direction politique, qui doit être l'alliée de la stratégie militaire et non sa divorcée. Des retraits symboliques demandés par des élus âgés et sages tels que les Sénateurs républicains de Virginie, John Warner, et d'Indiana, Richard Lugar pourraient en effet apaiser les inquiétudes du public. On doit néanmoins les comprendre comme des palliatifs.

L'argument que la mission des forces américaines devrait être confinée à la lutte contre le terrorisme, à la protection des frontières, à prévenir l'émergence de structures telles que celle des Talibans et rester en dehors de la guerre civile est tentant. En fait il est difficile de distinguer entre les différents aspects du conflit. Certains prétendent que le meilleur résultat politique peut être obtenu par un retrait total. Mais en fin de compte, vis-à-vis de leur population et de l'histoire, les chefs politiques seront tenus responsables non seulement de leurs attentes, mais aussi de leurs craintes.

Rien dans l'histoire du Moyen Orient ne montre que l'abdication donne de l'influence. Ceux qui suggèrent ce processus devraient assumer les terribles conséquences d'un retrait brutal, prévues par une majorité d'experts et de diplomates. Ce qui manque ce n'est pas un calendrier de retrait des troupes, mais un dessein politique et diplomatique, lié à la stratégie militaire globale. Le problème n'est pas que tel ou tel pays arabe ou musulman adopte la démocratie, mais comment peut-il devenir une démocratie avec l'aide militaire américaine, dans un délai acceptable pour le public américain.

 

Dans les sociétés homogènes, la minorité aspire à devenir la majorité après des élections. Cette transformation est peu probable dans des sociétés où des griefs historiques existent entre sectes et ethnies. Et l'Irak est multi-sectaire et multiethnique. La secte sunnite a dominé la majorité shiite et soumis la minorité kurde dans toute son histoire de moins d'un siècle.

Les exhortations américaines pour une réconciliation nationale sont basées sur des principes constitutionnels tirés de la culture occidentale. Et il est impossible d'obtenir un résultat en 6 mois, période définie pour la contre-insurrection, dans cet état artificiel ravagé par des conflits sectaires et ethniques millénaires. L'expérience doit nous apprendre qu'essayer de manipuler une structure politique fragile, résultant notamment d'élections sponsorisées par l'Amérique, fait le jeu des éléments radicaux. Et nos frustrations actuelles devant un gouvernement Irakien peu performant ne doivent pas être l'excuse pour les transformer en désastre pour nous. De nombreux Américains cependant ne sont pas d'accord avec notre intervention en Irak et avec la politique menée depuis. Mais les Etats-Unis sont en Irak aujourd'hui, en grande partie pour servir notre engagement pour l'ordre global, et non comme faveur à un gouvernement de Bagdad. Il est possible que la structure actuelle à Bagdad soit incapable de réaliser une réconciliation, parce que les éléments la composant ont été élus sur une base sectaire.

 

Une 1ère voie plus sage serait de se concentrer sur les 3 principales régions et de promouvoir dans chacune d'elle une administration technocratique, efficace et humaine. Un gouvernement régional pourrait réduire la violence chez lui et progresser vers un état de loi et vers une économie viable. Au bout d'un certain temps, apaisé, le peuple Irakien pourrait alors considérer une réconciliation nationale, surtout si chaque région n'est pas assez dominante pour imposer sa volonté aux autres. Sinon, le pays pourrait bien sombrer dans la partition de fait, sous le prétexte d'autonomie, comme c'est le cas aujourd'hui dans la région kurde. Cette perspective devrait encourager les forces politiques de Bagdad à se diriger vers une réconciliation.

La 2ème voie pour dépasser cette crise se trouve dans la diplomatie internationale. Aujourd'hui les Etats-Unis portent la majeure partie du fardeau sur tous les plans. Pourtant beaucoup d'autres pays savent que leur survie dépend de ce qui peut survenir en Irak et devraient être concernés pour éviter que la situation n'échappe à tout contrôle. Leur passivité ne peut pas durer. La meilleure voie pour ces pays est de participer à la reconstruction de la société civile irakienne. Et nous devons encourager cette reconstruction progressive par la voie multilatérale.

Ces objectifs ne pourront être atteints que pas à pas. L'effort militaire doit être reconnu et appliqué par des exigences internationales. La conférence internationale des pays voisins de l'Irak, comprenant les membres permanents du Conseil de Sécurité, est déjà un forum possible. L'Onu devrait encourager une action dans ce sens.

Cette stratégie est la meilleure pour pouvoir réduire à terme notre présence en Irak. Cependant aucun de ces objectifs ne peut être réalisé sans 2 conditions: la nécessité d'une présence américaine dans la région sur laquelle nos amis puissent compter et que nos ennemis puissent prendre au sérieux. Et surtout, notre pays doit comprendre la nécessité d'être uni, sans tactique politicienne.

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