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SADDAM A BIEN PRÉPARÉ L’APRÈS-SADDAM

 

Article de Ali Ballout, journaliste au  "The Daily Star" (extraits), Beyrouth

Traduit et publié par Courrier International du 28 août 2003- numéro 669

Dès juillet 2002, Saddam Hussein constituait des réserves d’armes et d’argent et se rapprochait des nationalistes arabes et des islamistes, affirme un journaliste proche de l’ancien dictateur.

Dès l’invasion du Koweït, en août 1990, Saddam Hussein a tenté d’établir le dialogue avec Washington. En 1993, il me demanda de transmettre un message à l’administration Clinton illustrant son désir de parvenir à un accord général avec les Etats-Unis. Je reçus pour toute réponse : “Nous voulons bien le corps de l’Irak mais pas la tête.” Dès lors, Saddam Hussein s’efforça - tout en réorganisant son armée - de gagner du temps. En juillet 2002, huit mois avant d’apprendre par les services de renseignements allemands que la guerre aurait lieu, il adressait aux principaux responsables du parti Baas une circulaire les avisant de se préparer à subir une attaque américaine “à tout moment”. Ce document prédisait que l’Irak serait “vaincu militairement à cause du déséquilibre des forces en présence”. On rétablirait l’équilibre “en attirant l’armée américaine dans les villes, les villages et le désert, et en recourant à des tactiques de résistance”.

Saddam Hussein travaillait déjà depuis quatre ans à adapter son armée à la pratique de la guérilla. Il m’a confié à plusieurs reprises en privé que la hiérarchie militaire était dépassée et avait besoin de sang neuf. C’est lui qui a recruté les chefs des nouvelles unités de guérilla - des hommes âgés pour la plupart de moins de 35 ans, certains de 18. Saddam Hussein a constitué, avant l’invasion américaine [en mars 2003], des réserves de troupes, d’armes et d’argent dans tout le pays. Les armes légères - lance-grenades, explosifs, grenades à main et AK-47 - abondaient. Elles ont été fabriquées dans des lieux secrets répartis dans tout le pays. Mais il y avait encore plus d’argent que d’armes. Saddam Hussein a investi à l’étranger une partie de l’immense richesse accumulée en détournant les revenus du pétrole. Il a commencé à se débarrasser de ces actifs en 2002 pour se procurer un stock de liquidités, qu’il a réparti dans le pays. Après l’invasion américaine, l’ancien président coupa tout contact avec la plupart des hauts responsables du parti Baas. Même ses gardes du corps personnels disparurent. Saddam Hussein a mis sur pied la résistance en partant du principe qu’elle devait réunir les éléments nationalistes, baassistes et islamistes. Les chefs devaient être indépendants mais reliés à un commandant suprême - lui-même. Il a défini les grands traits du mouvement en s’inspirant de l’histoire islamique, en particulier du triomphe du prophète Mahomet après son exil à Médine. Après la chute de Bagdad, en avril, plusieurs cadres du parti Baas se sont réfugiés dans d’autres pays arabes. Ils devaient servir de lien entre la résistance intérieure et les masses arabes d’Egypte, de Jordanie, de Syrie, du Liban, du Yémen, du Maroc et de Mauritanie, où le parti Baas a des cellules depuis 1968.

Aujourd’hui, l’armée sans visage de Saddam Hussein compte trois groupes. Le premier, ce sont les Moudjahidin - des Irakiens non membres du parti Baas et des volontaires islamiques qui ont combattu en Afghanistan et en Tchétchénie. Les seuls membres du parti Baas sont des Arabes non irakiens. Il est impossible de déterminer précisément leurs effectifs. Le général Taher Jalil Habboush, le chef des services de renseignements irakiens, que j’ai rencontré en janvier, m’a déclaré à l’époque qu’il y avait environ 6 000 combattants arabes et islamiques à Bagdad, pour la plupart entraînés à la guérilla. Le deuxième, Al Ansar (les partisans), regroupe des éléments du parti Baas choisis personnellement par Saddam Hussein - qui a gardé leur engagement secret vis-à-vis de la vieille garde du parti. Ils sont présents dans tout le pays. Leurs moyens de communication sont primitifs mais sûrs. Les messages écrits, la radio ou les téléphones par satellite sont interdits. Chaque cellule dispose de messagers qui ont pour mission de relayer les messages oraux aux autres cellules. Le troisième, Al Muhajirun (les émigrants), regroupe certains membres de l’élite et quelques responsables du Baas, dont des physiciens et des stratèges militaires. Ils représentent le noyau du nouveau régime que Saddam espère diriger après avoir vaincu la coalition anglo-américaine. Toutes les unités qui constituent ces groupes de résistants sont autonomes tant militairement que financièrement.

Le 8 avril, vingt-quatre heures avant la chute de Bagdad, Saddam Hussein demanda à son cousin Ali Hassan al-Majid, connu sous le nom d’Ali le Chimique [récemment arrêté], de quitter Bassorah pour rallier Bagdad et lui confier la direction de la résistance si lui-même venait à disparaître. L’ancien vice-président Taha Yassin Ramadan, qui a été capturé à Mossoul [le 19 août], fut nommé à la tête d’Al Ansar, et Izzat Ibrahim al-Douri, l’ancien commandant en chef adjoint des forces armées irakiennes, à celle des Moudjahidin. C’est à Douri, qui entretient des liens étroits avec les personnalités islamistes du monde arabe et musulman, qu’on doit l’islamisation de la société irakienne depuis 1992. Saddam Hussein n’a pas voulu confier de responsabilités aux autres membres de la hiérarchie baassiste, d’une part parce qu’ils étaient trop âgés, d’autre part parce qu’ils étaient trop reconnaissables.