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LES AMÉRICAINS DOIVENT ENVAHIR LA SYRIE !
Par David Ignatius - The Washington Post
Traduit
et publié par Courrier international - n° 793 - 12 janv. 2006
Interrogé
par The Washington Post, le leader de la gauche libanaise, le Druze
Walid Joumblatt, appelle les Etats-Unis à intervenir en Syrie pour chasser
Bachar El-Assad du pouvoir par la force.
Dans les films
de gangsters, on sait que ça va barder quand un vieux boss mécontent décide
de changer de camp et de lâcher le jeune parrain. C’est à peu près ce qui
est en train de se passer en Syrie – et, dans un Moyen-Orient déjà turbulent,
c’est une bombe à retardement. Le boss qui, dans le cas présent, a décidé
de retourner sa veste n’est autre que l’ancien vice-président syrien Abdel
Halim Khaddam. Depuis son exil en France, il a récemment accordé une interview
fracassante dans laquelle il dénonce le rôle du régime du président syrien
Bachar El-Assad dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic
Hariri, survenu en 2005.
Khaddam a dévoilé des détails dévastateurs. Il affirme que, après la mort
de Hariri, il est allé voir Assad pour dénoncer le chef des services de renseignements
syriens au Liban, le général Rustom Ghazali. “J’ai dit à Bachar qu’il devrait
rappeler immédiatement ce criminel [Ghazali] et lui couper la tête pour avoir
créé cette situation au Liban.” Ces révélations ont aussitôt fait de Khaddam
le témoin clé dans l’enquête des Nations unies sur la mort de Hariri, et ont
sérieusement accentué la pression sur Assad et son régime. Au cinéma, Khaddam
se verrait proposer des mesures de sécurité par les autorités et les caïds
sortiraient leurs sulfateuses. Dans la réalité, les choses pourraient se passer
de manière assez similaire. Mais cette guerre entre mafias risque de s’élargir
jusqu’à impliquer des armées bien réelles en Syrie, au Liban, en Israël et
jusqu’au lointain Iran.
Pour comprendre les récents développements intervenus en Syrie et au Liban,
j’ai joint au téléphone Walid Joumblatt, qui est le chef de la communauté
druze libanaise et lui-même une sorte de caïd. Il a qualifié les révélations
faites par Khaddam – qu’il définit comme “l’un des principaux architectes
de la politique syrienne depuis trois décennies” – de “coup très dur”
pour Assad et son principal allié libanais, la milice chiite du Hezbollah.
Mais plus Assad se sentira acculé, prévient Joumblatt, plus la situation deviendra
dangereuse pour le Liban. “Plus vous ferez pression sur les Syriens,
dit-il, plus ils deviendront agressifs ici au Liban.”
Le chef druze se terre dans sa forteresse ancestrale de Moukhtara, dans les
montagnes libanaises du Chouf. Comme d’autres Libanais que j’ai pu interroger,
il craint une nouvelle agression violente de la part des Syriens, qui pourraient
être tentés de raviver les conflits religieux au Liban – ce qui permettrait
à Assad de gagner du temps en détournant l’attention du monde de l’affaire
Hariri. Pour Joumblatt, la seule solution effective serait un changement de
régime à Damas, une “solution à la Milosevic” qui amènerait Assad devant
la justice grâce aux Nations unies.
Ce qui rend la situation syro-libanaise aussi explosive, souligne Joumblatt,
c’est que la Syrie est liée au nouveau régime radical du président iranien
Ahmadinejad. Pour lui, l’Iran se sert de son alliance avec Assad et le Hezbollah
dans son combat stratégique contre Israël et les Etats-Unis. “C’est comme
si nous défendions les installations nucléaires iraniennes depuis la frontière
libanaise”, dit-il. Joumblatt espère que les Etats-Unis continueront à
soutenir la révolte des Libanais. “Si Bush considère le Liban comme l’une
de ses plus grandes réussites, l’heure est venue de le protéger”, souligne-t-il.
Interrogé sur ce qu’il attend des Etats-Unis, il me répond : “Vous êtes
allés en Irak pour porter la majorité au pouvoir. Vous pouvez faire la même
chose en Syrie.”
Que peuvent raisonnablement faire les Etats-Unis pour empêcher la situation
syro-libanaise de dégénérer ? Il importe tout d’abord que soit menée jusqu’au
bout l’enquête des Nations unies qui met peu à peu au jour la vérité concernant
la mort de Hariri. Le nouveau procureur belge, Serge Brammertz, a déclaré
qu’il souhaitait interroger Assad lui-même, et, d’après certaines rumeurs,
il s’apprêterait à demander à la Syrie d’arrêter le général Ghazali en tant
que suspect numéro un. Le défi, pour les Etats-Unis, est d’aider le Liban
à se renforcer suffisamment pour être en mesure de résister à l’hégémonie
syrienne. Un accord conclu sous l’égide des Etats-Unis sur un retrait israélien
du secteur des fermes de Chebaa, le long de la frontière libanaise – dans
le cadre d’un accord des Nations unies stipulant que ces territoires appartiennent
au Liban –, représenterait une avancée significative. Elle fournirait une
victoire symbolique à un gouvernement libanais aux abois et priverait du même
coup le Hezbollah de toute raison de continuer à entretenir sa milice.