LE MAROC S'ISLAMISE

Dans le royaume l'extrémisme remplace la modération

 

Par Olivier Guitta, consultant en affaires étrangères et contre-terrorisme à Washington

Paru dans le Weekly Standard le 02/10/06 – Vol 12 – Article 3

Traduit par Bertus pour www.nuitdorient.com

 

Il y a un peu plus de 3 ans, le Maroc a vécu le terrorisme islamique de plein fouet. Le 16 mai 2003, Casablanca a été secouée par 4 attaques simultanées qui ont laissé 45 morts et des centaines de blessés. Ces attaques ont été exécutées par des citoyens marocains membres du Groupe Islamique du Combattant Marocain, affilié à al Qaeda (acronyme GICM). Point n'est besoin de dire que le royaume fut stupéfait que certains de ses fils soient devenus aussi violents contre leur patrie. Aujourd'hui le démantèlement d'une vaste cellule islamiste confirme le fait que l'extrémisme se répand dans un pays réputé depuis longtemps comme le plus modéré dans le monde arabe.

Dans une série d'arrestations le mois dernier, les autorités marocaines ont appréhendé 59 personnes et saisi 30 kg de TNT, plus que ce qui avait été utilisé lors des attaques de 2003, mais le même explosif. Les cibles visées étaient des chefs politiques et militaires, le site de Marrakech, première destination touristique, la base aérienne de Salé et l'ambassade américaine à Rabat.

Mais ce sont les membres qui constituent l'aspect le plus troublant de cette cellule. Alors qu'en 2003, les bombes-suicide venaient des quartiers pauvres de Casablanca, aujourd'hui les suspects interpellés viennent de tous les milieux, 5 militaires, 3 policiers, un officier de la sécurité intérieure, 2 imams, et 4 dames de la société. Deux d'entre celles-ci, épouses de pilotes de la Royal Air Maroc, étaient volontaires pour une mission-suicide en Irak et en Israël.

Le chef de cette cellule, Hassan Khattab, a passé 2 ans en prison pour son soutien aux attentats de 2003 et il a persuadé les dames de financer les prochains attentats, parce que le Maroc était "l'allié des américains et des sionistes". Par coïncidence, ces dames étaient les amies de Fatiha Hassani, la veuve du chef d'al Qaeda au Maroc, tué par les forces Saoudiennes en avril 2005. Les membres interpellés sont accusés de comploter "des actes terroristes pour renverser le régime et pour installer un califat islamique".

L'infiltration de l'armée par des "jihadistes" a vraiment alarmé les autorités et dès le 31août, elles ont supprimé le service militaire obligatoire, pour éviter de former de futurs terroristes. De même, il a été interdit à tout militaire d'aller à la prière du vendredi en uniforme.

En dehors de l'armée, il y a d'autres signes évidents de l'islamisation rapide de la société marocaine. D'abord l'habillement féminin, en quelques années les Marocaines sont passées de la minijupe au hijab. Une professeur de lycée se dénommant Soukaina (elle évite de donner son nom par peur de représailles) a été interviewée par le quotidien français Le Monde il y a quelques mois. Elle a précisé qu'elle ne reconnaissait plus son propre pays. Il y a 20 ans, son lycée n'avait qu'une prof voilée, aujourd'hui tout le monde est voilé, prof comme élèves. Il y a un an, Soukaina a été obligée de démissionner, sous la pression subtile des Islamistes qui lui demandaient de porter le hijab. Elle a conclu que ce n'était plus qu'une question de temps avant que les Islamistes ne gouvernent le pays.

Partout dans les villes comme dans les villages, les vendeurs des rues proposent de la propagande islamiste en cassettes vidéo, CD et DVD, appelant au jihad et à la soumission des femmes, crachant leur antisémitisme et leur haine de l'Occident. Un des CD "best sellers" est une harangue d'un prêcheur salafiste appelé Abdallah Nihari, qui enseigne que "la femme est une créature de Satan", même quand elle est voilée. Pour lui, la libération de la femme est l'origine du mal dans la société. Les islamistes ont aussi leur propre police religieuse, des bénévoles qui opèrent en toute illégalité, surtout sur les plages, visant les couples non mariés pour les harceler, les assaillant et même, dans certains cas, les assassinant.

Un autre signe d'islamisation se trouve dans les enquêtes faites auprès des jeunes. Une étude réalisée par l'Economiste en janvier 2006 montre que 44% des Marocains de 16/29 ans pensent qu'al Qaeda n'est pas une organisation terroriste, 38% ne savent pas et seulement 18% la considèrent comme telle. De plus en juillet 2006, un rapport du Ministère du Plan intitulé "Maroc 2030" révèle que la plupart des bacheliers rêvent de libérer la Palestine, la destruction d'Israël et la chute des Etats-Unis.

Dans un tel environnement, il est naturel que le principal parti islamiste, le PJD (parti de la justice et du développement), lié aux Frères Musulmans, puisse avoir le vent en poupe. Déjà 3ème parti au Parlement, un sondage réalisé par l'Institut Républicain International prévoit que le PJD obtiendra 47% des voix aux élections parlementaires de 2007. Il deviendrait alors le plus grand parti du pays et le roi serait obligé de lui demander de former le nouveau gouvernement.

Le PJD est un parti qui utilise couramment le double langage, se présentant prudemment comme la version marocaine de la Démocratie Chrétienne allemande, l'âme de la modération, afin de ratisser large. Mais son histoire, son programme, ses adhérents ne laissent aucun doute sur ses intentions réelles. Dans son non officiel journal "Al Tajdid", le Renouveau, le PJD dévoile sa vraie nature. Mais le parti prétend qu'il n'a rien à voir avec al Tajdid, alors que les rédacteurs et les journalistes de ce journal sont les dirigeants du PJD, nombre d'entre eux étant des parlementaires exprimant des points de vue extrémistes, notamment sur les problèmes d'ordre moral ou de politique étrangère, vis-à-vis des Etats-Unis ou d'Israël. Ainsi par exemple, Al Tajdid explique le tsunami de décembre 2004 par la corruption des pays asiatiques et la punition divine qui s'est abattue sur eux, car ils ne suivent pas un Islam véritable… Le journal prédisant le même sort au Maroc, pour les mêmes raisons, (s'il ne s'amende pas).

Mais ce qui est plus préoccupant ce sont les liens entre le PJD, Al Tajdid et le terrorisme. Juste après les attentats de 2003, la police marocaine arrêta le trésorier du parti à Kénitra, pour son implication dans le complot. A l'époque, l'idée du roi Mohamed VI et de la plupart des partis, était de mettre hors la loi le PJD. Mais on sait par la presse marocaine que le roi abandonna cette idée à cause des pressions de l'ambassadeur américain.

De même le site web d'al Tajdid a un lien permanent avec l'Union du Bien, une organisation-mère regroupant tous les organismes caritatifs du Hamas, cinq d'entre eux classés comme terroristes par les Etats-Unis (specially designated global terrorist entity ou SDGT) et deux, accusés de soutien à al Qaeda. Enfin, selon le quotidien marocain Al Ah'dath al Maghrébia, Hassan Khattab, le chef terroriste qu'on vient d'arrêter, a été initié à l'islamisme par des membres du PJD, y compris le directeur d'al Tajdid, Abdallah Benkirane.

Si on prend en compte tous ces éléments, il est déroutant que le rédacteur en chef d'Al Tajdid, Moustafa Khalfi ait reçu pour l'exercice 2005/6 un poste à l'association de science politique Fulbright. Cet honneur lui a donné l'occasion de travailler pour le membre du Congrès Jim MacDermott à Washington, de suivre des cours à l'Université John Hopkins et d'être un professeur visiteur à la Fondation Carnegie pour la "Paix Internationale". De même le patron du PJD, Saad el Din Othmani, a visité récemment Washington et rencontré des membres du Congrès. C'est assez pour conclure que certains à Washington se sont tranquillement faits à l'idée d'une victoire du PJD.

 

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