Extrait du livre "La révolution des Messies" chapitre 4 – Albert Soued, écrivain www.chez.com/soued  – éditions de l'Harmattan - Paris

 

OCCULTÉ  LE MAHDI  VA  REVENIR

Shia'h, Islam, occultation, Irak, hostilité sunnite, lacérations corporelles

UNE NAISSANCE PARRAINÉE

 

Pour pouvoir parler de l'attente messianique en Islam, il faut remonter aux origines de celui-ci et décrire les conditions de la succession du prophète Moh'amed.

 

L'Islam jaillit des sables d'Arabie ensemencés par la foi judéo chrétienne, en milieu païen. Quand, à quarante ans au début du septième siècle, Moh'amed eut la révélation du Dieu-Un, les tribus juives de Médine et les chrétiens de Najrane crurent qu'une nouvelle secte chrétienne était née. Les sectes étaient nombreuses à cette époque dans la péninsule arabique.

Dès le début, Moh'amed intégra dans son prêche les prophètes bibliques et en particulier Ibrahim (Abraham) et Moussa (Moïse). Il s'attacha en  particulier à I'ssa (Jésus) et à  Mariam (Marie) comme modèle familial. Orphelin très tôt et n'ayant pas eu de descendance directe masculine, Moh'amed était proche de la famille de sa fille Fatima, de son gendre A'li et de ses petits-fils H'assan et H'ussein.

L'honneur, le mariage, le statut social et la fraternité étaient déterminés par la puissance de la tribu à laquelle on appartenait et par le halo de sa propre position dans la tribu. Le courage et le succès dans les combats étaient les critères de choix pour une place au soleil. Pour pouvoir survivre toute tribu demandait et obtenait la protection d'une tribu plus puissante, d'où la constitution de clans et l'équilibre des pouvoirs. La plupart des tribus bédouines de la péninsule arabe étaient païennes adorant des idoles de pierre et de bois.

Moh'amed est né dans la tribu Qouraysh, qui avait une position dominante à la Mecque, bourgade au carrefour des pistes chamelières et des voies de commerce. Cette tribu avait en charge la protection d'un sanctuaire important des divinités, la pierre de la Kaaba.

Orphelin à huit ans, Moh'amed fut mis à la garde de son oncle Abou Taleb, riche commerçant de la famille Banou Hashem. Il accompagnait son oncle dans ses voyages d'affaires, notamment en Syrie chrétienne.

A vingt cinq ans, Moh'amed s'était déjà marié avec une bienfaitrice Khadija, son aînée de quinze ans, qui l'avait pris sous sa protection pour qu'il s'occupe de ses affaires.

Un jour qu'il méditait aux environs de la Mecque, Moh'amed eut la vision de l'ange Gabriel qui lui demanda de répéter des phrases liées à l'unité du divin. Terrorisé par une telle apparition, il courut en faire part à Khadija qui le crut, puis à A'li, son cousin fils d'Abou Taleb, son cadet, qui le crut également. A'li fut son premier disciple et devint plus tard son gendre. L'Islam était né.

 

Quatre ans plus tard, Moh'amed commença à prêcher la révélation de l'unité d'Allah à la Mecque, mais il rencontra une farouche opposition au point de devoir s'exiler et de se réfugier en Ethiopie, demandant la protection d'un roi chrétien. A son retour à quarante neuf ans, il avait perdu à la fois sa femme bienfaitrice et son oncle protecteur, et le pouvoir de sa tribu fut donné à un opposant. Moh'amed se sentait nu, vulnérable et, humilié, il dut accepter la protection d'un idolâtre. Il poursuivit néanmoins son prêche et son enseignement dans la clandestinité, réussissant à convertir une tribu puissante d'une ville voisine Yathrib, future Médine.

Les tribus de la Mecque en prirent ombrage et décidèrent de le faire assassiner pendant son sommeil. Ayant eu vent de ce projet, son cousin A'li dormit à sa place, Moh'amed allant se réfugier dans une caverne, puis à Médine. Il avait alors cinquante deux ans, en 622, année de son émigration vers Médine et début de l'ère islamique (hégire ou higra).

A Médine, Moh'amed apporta un esprit nouveau et réussit à unifier les tribus "judaïsantes" autour de la nouvelle foi. Pendant deux ans, il reçut également l'enseignement traditionnel des tribus juives. A cinquante cinq ans, il dut affronter les tribus de la Mecque qui avaient attaqué Médine. D'issue incertaine, les batailles et les escarmouches durèrent plus de cinq années, avec de nombreuses défections de part et d'autre, ainsi que des retournements de situation. Moh'amed finit par signer un traité de non belligérance avec les Mecquois et profita de ce répit pour expulser ou massacrer les tribus juives de Médine avec lesquelles il était en désaccord. De même, aguerri par des batailles menées au Nord contre les forces byzantines et chrétiennes, il réussit à lever une armée puissante et à attaquer la Mecque, profitant de ses divisions, et dénonçant ainsi le traité signé avec les Qouraysh. A soixante ans, il réussit à s'imposer aux tribus de la région et à entrer triomphalement à la Kaaba où il détruisit les idoles avec l'aide de son cousin et gendre A'li. Malade, il mourut deux ans après, laissant une foi nouvelle dans un Dieu-Un et dans sa propre mission comme envoyé de Dieu, ainsi que  la croyance dans le jour du Jugement Dernier et dans la Résurrection.

 

LA SUCCESSION DU PROPHÈTE EST CONTESTÉE

 

Une succession mouvementée  

 

Moh'amed ne laissa aucune transcription des paroles qui lui ont été révélées. Celles-ci ont été transmises oralement, puis consignées par un de ses successeurs, O'thman. A sa mort, les tribus se mirent d'accord pour choisir un successeur dans la famille Qouraysh, un homme politique fédérateur. Un fidèle compagnon du prophète fut désigné, Abou Bakr, mais il mourut au bout de deux ans.

Beaucoup de tribus apostasièrent à cette époque, revenant à leurs idoles plus commodes et moins contraignantes. En dehors de la foi en Dieu-Un et dans son prophète, l'Islam naissant n'avait pourtant imposé aux croyants que cinq obligations, les cinq prières quotidiennes, le jeûne du mois de Ramadan, les aumônes, le pèlerinage à la Kaaba et la guerre sainte contre les idolâtres. La nouvelle religion était à la mesure de l'homme, sachant tenir compte de ses limites et de ses faiblesses, n'exigeant pas de lui de se surpasser. D'après le "h'adith", la tradition de l'Islam:

"Cette religion est facilité. Allah vous veut de l'aise et ne vous veut pas de gêne".

Abou Bakr choisit O'mar comme successeur "khalifa", dans la même tribu. O'mar régna dix ans pendant lesquels l'Islam conquit les empires perse et byzantin, d'une façon fulgurante et à la stupéfaction de tous. Ce début de l'apogée de l'Islam a fait couler beaucoup d'encre. Parmi les explications possibles, la plus plausible est qu'à forces égales la mobilité du nomade lui donne un avantage sur le sédentaire. Le mode de conquête promettant le butin suivant à ceux qu'on vient de battre facilite les opérations et les rend encore plus dynamiques. L'arrière est aisément pacifié par une grande tolérance et le respect des traditions locales.

A la mort d'Omar un conseil de six sages choisit O'thman comme troisième khalifa. Il régna douze années pendant lesquelles l'iniquité et l'arbitraire se développèrent au point qu'il mourut assassiné. Le Coran fut rédigé pendant son règne, mais il fut "tronqué de son sens caché".

 

Une succession contestée

 

A'li avait neuf ans quand Moh'amed prit conscience de sa mission prophétique. La Tradition du H'adith (1) raconte que lorsqu'il commença à prêcher en public, Moh'amed réunit quarante membres de la tribu Abou Hashem dans un banquet où il désigna A'li "comme frère et homme de confiance et comme successeur", le plus jeune et le seul convive à l'avoir accepté, à la grande hilarité du groupe. En effet, des hommes d'âge mûr ne pouvaient rendre hommage à un enfant! A'li devint le secrétaire particulier de Moh'amed. Au combat, il était le plus courageux et il devint ainsi son "porte-étendard". Bien qu'admirant la hardiesse de son cousin, Moh'amed le laissait à l'écart des grandes batailles décisives, à la grande amertume d'A'li qui ne disait mot. Était ce pour l'épargner, ou pour qu' "il ne lui porte pas malheur ou ombrage"? Moh'amed le rassurait en le comparant au prêtre Aaron, le considérant comme un frère. Mais il laissait entendre aussi qu'il était lui-même le Moïse de l'Islam, le seul chef et le seul prophète. Moh'amed a confirmé son affection à A'li et à sa famille, à plusieurs reprises. La Tradition rapporte ses propos:

"Je suis la Cité de la Connaissance et A'li en est sa porte (bab)".

Prenant les mains de ses deux petits fils H'assan et H'ussein, il dit en public:

"Quiconque m'aime, aimera ces deux garçons, leur mère et leur père, et sera à mes côtés le jour du Jugement Dernier et lors de la Résurrection".

Il avait l'habitude d'appeler la famille d'A'li "ahl al bayt", la considérant comme sa propre famille. Au retour de son dernier pèlerinage à la Kaaba, Moh'amed aurait confirmé A'li comme successeur, ou "khalifa", lors d'un discours rapporté par la tradition du h'adith. Malade, il aurait voulu consigner cette volonté par écrit mais il en fut dissuadé par O'mar.

Lorsqu'un homme fidèle et dévoué au prophète, Abou Bakr, fut désigné comme premier khalifa pour maintenir la cohésion et l'unité des tribus dans la nouvelle foi, le groupe constitué autour d'A'li s'est senti frustré d'une succession. A'li était sans doute l'héritier spirituel naturel mais il n'était pas forcément considéré comme l'homme politique du moment. Comme il n'y avait pas de tradition d'un double pouvoir temporel et spirituel, il ne pouvait y avoir qu'un seul chef, donc un seul successeur, désigné par consensus. Après sa désignation, Abou Bakr alla demander l'allégeance d'A'li et de son groupe. Après maintes tergiversations et des menaces de part et d'autre, A'li accepta une décision qu'il considérait comme injuste, afin de ne pas scinder la communauté et afin de préserver l'héritage de son beau-père. A'li coopéra avec Abou Bakr, mais se tint sur la réserve avec O'mar et se montra franchement hostile à O'thman, rendu impopulaire par la corruption, le népotisme et les dépenses inconsidérées. Le fossé s'élargit entre les tenants de la succession réaliste et ceux de la fidélité spirituelle. Le pouvoir se délita et, une fois désigné, O'thman dut faire appel à son adversaire A'li pour rassembler les tribus. Après l'assassinat du troisième khalifa, A'li accepta la succession et devint le quatrième khalifa, après avoir attendu vingt quatre ans dans l'ombre.

 

Le schisme et la naissance du shii'sme

 

Homme sincère et magnanime, A'li avait du mal à tenir tête à des chefs de tribu rusés et retors. Homme cultivé et lettré, il n'était pas compris par des opposants ignares et brutaux. Très rapidement, il se trouva confronté à un pouvoir politique émietté et contestataire.

Il faut faire ici une parenthèse sur la racine "kh-l-f" du mot "khalifa" qui donne comme sens aussi bien  "succéder à" que "s'opposer, ou contester, ou différent". Ainsi par définition, un khalifa est différent de celui qui le précède et il peut être contesté. Le mode de désignation d'un successeur bien que définie ne faisait pas l'unanimité. On a vu que le groupe des tribus n'avait pas suivi Moh'amed dans son choix, lorsqu'il avait désigné A'li comme son successeur.

Les tribus arabes venaient de conquérir rapidement une grande partie du monde civilisé et s'étaient énormément enrichies en peu de temps. Homme de pouvoir, le gouverneur de Syrie, Moua'wiya s'estimait capable de présider au nouveau destin de l'Islam. Sentant le danger de l'excentricité de Médine, par rapport aux nouveaux territoires, A'li transféra sa capitale à Koufa en Mésopotamie, pensant consolider le nouvel empire. Bien qu'il fut un homme conciliant, A'li fut pris au piège des intrigues et des luttes intestines pour le pouvoir. Au bout de cinq ans d'effort et de combat, il finit par être assassiné par un opposant fanatique. Il était le quatrième khalifa, mais aussi le premier "imam" d'un nouveau mode de pensée de l'Islam qui germait déjà, et qui donnera naissance au "messianisme" de l'Islam. A partir de la mort d'A'li, une double lignée s'installa, celle des khalifa et celle des imam, avec une méfiance et une hostilité réciproque.

 

Il faut revenir ici aux définitions. La lignée des khalifa ou successeurs est devenue héréditaire après A'li, de père en fils ou de frère à frère, en tout cas dans la même famille. Depuis le début le pouvoir était essentiellement politique et temporel. Le pouvoir religieux était entre les mains d'experts théologiens. La succession était réglée par voie de consensus. Cette façon de procéder est appelée "la voie tracée" par les premiers khalifa ou "sunna", d'où le groupe des sunnites, représentant  aujourd'hui près de quatre vingt dix pour cent de l'Islam. Cette voie tracée ou règle de conduite est devenue la norme, puis la loi. Pour ce groupe dominant, Moh'amed est le dernier des prophètes et  il est ainsi le "sceau" de la prophétie. Après lui, l'Islam est une foi et une Tradition qu'il faut transmettre à la lettre, une conquête pour asseoir l'unité d'Allah et une gestion tolérante pour subvenir aux besoins de tous.

Mais sous l'impulsion de A'li, le groupe qui lui était resté fidèle ne donnait pas le même sens à la succession de Moh'amed. Certes, il croyait dans l'unité d'Allah inconnaissable et ineffable. Certes, il croyait dans le prophète Moh'amed à qui la loi divine a été révélée. Mais ce groupe de disciples pensait que l'homme ne peut vivre sans guide spirituel. Le successeur ou khalifa, chef temporel qui maintient l'ordre dans le monde, avait aussi une mission de guide: il marche en avant pour éclairer la route, il est aussi l'"imam". Il explicite et il interprète la Loi du Coran. Il partage avec son groupe non seulement les idées reçues mais celles divulguées petit à petit par une recherche spirituelle à travers le sens secret du Coran. Ce groupe qui dans le temps a acquis des idées nouvelles et une forme de pensée originale, s'est "mis à part" de la ligne dominante. Il a été appelé "shia'h", groupe à part, une forme de schisme, avec un chef spirituel, l'imam. L'imam ne reste pas figé dans sa culture, il est progressivement initié aux sept "profondeurs ésotériques", depuis le sens littéral du Coran jusqu'à son essence, jusqu'à l'idée de base ou archétype. Initié, l'imam explicite la loi divine à l'homme ordinaire et l'aide dans son cheminement terrestre.

Par ailleurs, le groupe exige de son chef qu'il soit un homme sans tache, sans péché, "infaillible", car il est une "lumière" du divin et il est le garant que le monde ne sombre pas dans l'iniquité. Son âme doit s'élever "au-dessus de la cime de l'arbre le plus lointain", au niveau du septième ciel. Il est en quelque sorte un être surnaturel. Pourtant l'imam n'a pas la "vision directe" du divin comme Moh'amed, mais il entend la voix de l'ange qui l'inspire. Il gouverne par l'autorité de "la Maison de David".

Ainsi l'imam, un humain ayant des qualités surhumaines, est devenu dans la shia'h une autorité à laquelle le croyant obéit aveuglément. De plus chaque imam désigne "par testament" son successeur qui doit appartenir à la descendance d'A'li.

 

L'intermède de Saba

 

A'bdallah ibn Saba serait un juif yéménite qui aurait participé aux épisodes de la succession de Moh'amed et se serait converti à l'Islam naissant. On l'appelait aussi Ibn al Sawdah, fils de la négresse; venant d'Arabie du Sud, sa mère avait la peau foncée. Bien qu'extrémiste, A'bdallah était un homme doué prêchant la métempsychose et connaissant les arcanes des trois religions présentes en Arabie. Il serait devenu un conseiller important du gouverneur d'Egypte à Fostat, à l'époque du khalifa O'thman dont il aurait fomenté l'assassinat. Pour des raisons d'opportunité, certains historiens auraient tendance à lui donner une place centrale dans les divisions de l'Islam naissant et à lui imputer la responsabilité du schisme de la shia'h. Pour notre propos, l'originalité d'A'bdallah était d'affirmer que Moh'amed était le Messie et qu'il allait réapparaître en temps opportun. En attendant, son représentant terrestre était A'li, dont il était lui-même un disciple fidèle et dévoué. D'après certains historiens, il se serait pris lui-même pour un prophète, souhaitant qu'A'li se déclare l'incarnation de Dieu. A'li l'aurait de ce fait exilé. La qualification d'"extrémisme" ou "ghoulat", exagération, est née à cette époque et désigne ceux qui croient dans la métempsychose, font de l'anthropomorphisme ou pensent que  l'esprit divin peut s'incarner dans un homme. Les "extrémistes" ne sont pas considérés comme des musulmans. Après l'assassinat de A'li, A'bdallah niait qu'il fût mort, affirmant que son cadavre n'était que celui d'un démon ayant pris les traits de A'li. A'li se serait caché dans les nuages et réapparaîtrait pour rétablir un Royaume de justice. Cette doctrine de l'occultation trouverait des précédents dans une secte chrétienne locale, mais serait recensée dans le Coran (Soura 4/156). La conception mystique d'A'bdallah, d'un double Messie, Moh'amed et A'li, est néanmoins plus proche de celle du judaïsme que de celle de la shia'h.

Toujours est-il que cet homme est mis en avant encore aujourd'hui, pour des raisons partisanes, comme étant celui qui a miné l'Islam de l'intérieur.

Notons qu'une secte dérivée de la shia'h, les alaouites, présente encore actuellement en Syrie, où elle a le pouvoir politique, bien que minoritaire, et en Turquie, dans la région entre Tripoli et Antioche, pousse le culte de la personnalité au point de diviniser A'li, comme le préconisait A'bdallah ibn Saba.

 

Les nouveaux martyrs

 

Comme on l'a vu, H'assan et H'ussein étaient les petits fils préférés du Prophète. Après la mort de A'li à Koufa, H'assan avait trente sept ans et devait normalement succéder à son père en tant que khalifa pour les uns et imam pour les autres. Mais c'était sans compter avec l'appétit de pouvoir de Moua'wiya, gouverneur de Syrie qui revendiquait la succession. Usant de subterfuges, ébruitant de fausses nouvelles et achetant des amitiés, il accula son rival à abdiquer en sa faveur. Réaliste, H'assan plia devant l'épreuve de force pour éviter un bain de sang. Sage et miséricordieux, il se retira à Médine où il mena une vie tranquille, grâce aux subsides de son nouveau protecteur; jusqu'à sa mort, sept ans plus tard, empoisonné par sa femme, sur l'instigation de Moua'wiya qui voulait être sûr de son vivant que son fils Yazid lui succèderait.

Après H'assan, son jeune frère H'ussein devint le chef de la "maison de A'li". Les activités du groupe de la "shia'h" devinrent de plus en plus discrètes, voire secrètes, de crainte de représailles du pouvoir politique. Moua'wiya n'eut cesse de le provoquer en le maudissant dans ses sermons publics. Dix sept compagnons de la maison d'A'li se démasquèrent en se révoltant contre le khalifa usurpateur. Ils furent exécutés à Damas, devenant les premiers martyrs du peuple de la shia'h. Se sentant lié par le serment de fidélité de son père à Moua'wiya et ne souhaitant pas la confrontation, H'ussein évita de répondre aux provocations du khalifa. Moua'wiya meurt en 680, s'étant arrangé pour que son fils, un vulgaire ivrogne, lui succède. Yazid était déconsidéré du peuple et H'ussein se sentait libéré du serment paternel. Jugeant la situation favorable, il décide de prendre le chemin de Koufa malgré les avertissements de ses amis. Il part avec quelques fidèles. Zayid lui expédie un émissaire pour le dissuader de continuer. H'ussein accepte de changer de route et part à Kerbala. Yazid persiste en lui envoyant un second émissaire qui l'encercle et le menace, lui demandant de signer un "pacte d'allégeance" en bonne et due forme. Manquant d'eau, H'ussein accepte de négocier et de rentrer à Médine, tout en refusant de signer un acte humiliant. A l'aube d'une journée d'automne, H'ussein s'adresse alors à la troupe adverse d'une façon émouvante, avant de se jeter dans une bataille perdue d'avance. Le dix du mois de moh'aram son groupe est taillé en pièces, H'ussein et ses compagnons décapités et leur tête empalée, dans une longue procession jusqu'à la capitale. Les captifs seront libérés en signe d'apaisement et renvoyés à Médine. Le troisième imam est mort en martyr à cinquante sept ans.

D'après certains historiens spécialistes de l'Islam, H'ussein aurait pu rassembler à Médine les forces nécessaires pour parvenir à Koufa, battre Zayid et se faire proclamer khalifa. Mais son objectif était ailleurs. Pour lui une victoire militaire était vaine, parce que suivie de défaites et de victoires, sans finalité essentielle et se terminant dans l'oubli, à force de se suivre et de se ressembler. H'ussein souhaitait une totale révolution de la conscience religieuse des nouveaux musulmans. La victoire obtenue par la souffrance et le sacrifice est éternelle car elle laisse une trace indélébile dans les mémoires.

Signer l'acte d'allégeance demandé par Yazid, c'était cautionner l'injustice et l'immoralité. Le martyr de H'ussein a confirmé par les faits la pensée shii'te et l'a perpétuée par des rites et des pratiques originales, d'une grande force.

Ainsi jusqu'à aujourd'hui, les shii'tes commémorent la débâcle de Kerbala et le martyr de H'ussein. Ce grand deuil de l'"A'shoura" est l'occasion de manifestations de piété et d'exaltation religieuse. Lors d'une procession funèbre simulant celle du martyr, les femmes vêtues de leur tchador hurlent de douleur et les hommes vêtus de noir se lamentent en répétant des litanies plaintives saccadées. Certains portent des piques surmontées d'une main représentant "les cinq", Moh'amed et la famille de Fatima. D'autres se dévêtent pour se flageller ou pour se lacérer le dos et le front jusqu'au sang, en lançant en chœur des malédictions contre ceux qui ont usurpé le pouvoir après la mort du Prophète. Frustrés de ne pas voir dans sa succession la lignée de Fatima et de A'li, les shii'tes ont gardé une haine ancestrale enfouie au fond de leur cœur. Ainsi dans les mosquées lors des sermons, ils se saisissent d'un sabre et l'agitent avec violence en signe de vengeance. Qu'il soit concrétisé par d'interminables et lugubres récits ou par des psychodrames macabres sur des scènes improvisées, tout le folklore religieux tourne autour des circonstances de la mort des martyrs et du souvenir de leur humiliation.

 

 

L'OCCULTATION EST UNE FORME DE RÉSISTANCE

 

Les occultés de l'islam

 

Après le martyr de H'ussein, un certain nombre de fidèles de Koufa se sentirent coupables de ne pas avoir pu lui porter secours. Ils se réunirent en secret pendant quatre ans et sont connus sous le nom du groupe des "pénitents". Ils se décidèrent à sortir de l'ombre pour marcher contre l'armée des Omeyades, à un contre dix, et trois mille pénitents furent massacrés. Ce sacrifice à grande échelle frappa l'imagination des musulmans de Perse et un certain Moukhtar essaya de canaliser l'émotion des croyants vers un homme, fils de A'li, par la tribu des H'anafya. Une secte fut créée autour de cet homme inspiré et, quand il mourut, ses fidèles considérèrent qu'il n'était pas mort, mais simplement occulté, et qu'il réapparaîtrait. C'est ainsi que sont nés deux concepts dans la pensée shii'te, celui du Juste inspiré dans sa génération et celui de son occultation provisoire et de son retour comme rédempteur des hommes.

Ce Juste occulté fut appelé "Mahdi". Il faut ouvrir ici une parenthèse sémantique. Mahdi au sens large est un "initié", un être guidé par Dieu, mais aussi quelqu'un qui facilite l'entrée dans un groupe ou dans une doctrine, celui qui défriche, prépare ou aplanit le terrain, une difficulté. Mahdi a aussi le sens de berceau, de lieu d'origine. Ainsi le Mahdi  va chercher son inspiration à la source, puis il initie les apprentis au sens caché du Coran, la science secrète, progressivement, en fonction de leur niveau spirituel. Lui-même acquiert un complément de formation lors de son occultation, qui lui permettra à sa réapparition, de sauver le monde de l'injustice. L'imam occulté devient Mahdi, une sorte de messie eschato-logique. Mais il ne peut y en avoir qu'un seul mahdi, la shia'h s'est fractionnée très tôt en plusieurs sectes, tendances ou mouvements.

 

Fils de H'ussein, le quatrième imam, appelé "le pur" était un homme discret et pieux, vivant en marge de la cité et passant son temps à pleurer les martyrs de Kerbala et à prier. Il mourut empoisonné par ordre du khalifa. Huit imams lui succédèrent pendant cent soixante ans, jusqu'en 873, la plupart ayant disparu d'une manière violente. Investis d'un pouvoir spirituel non reconnu par la majorité des musulmans, les imams ont presque toujours subi l'hostilité du pouvoir temporel du khalifa, notamment a'bbasside. Leur vie étant en danger, ils vivaient dissimulés, quand ils n'étaient pas jetés en prison ou mis sous résidence surveillée. La notion d'occultation venait ainsi tout naturellement dans l'esprit de la shia'h.

 

Le sixième imam Jaafar as Sadiq a désigné son fils Ismai'l pour lui succéder, mais son fils mourut avant lui, ce qui posa de nouveau le problème de la désignation du successeur d'un imam. Un groupe de fidèles pensait que Ismai'l étant mort, il fallait annuler sa désignation et chercher un successeur ailleurs. Un autre groupe pensait qu'on ne pouvait annuler une désignation déjà faite! Et dans ce dernier groupe, certains soutenaient que Ismai'l n'était pas mort réellement, mais seulement occulté pour sa sécurité, et qu'il réapparaîtrait en Mahdi: on les appela les "ismaélites". D'autres croyaient qu'après Ismai'l, il y aurait une dynastie d'imams cachés: de ce groupe est née la dynastie des khalifa fatimides qui régna en Egypte. La secte des druzes en est également dérivée; elle croit dans la réincarnation divine du khalifa d'Egypte Al H'akem (voir ci-dessous). L'ensemble des sectes croyant dans l'occultation du septième imam Ismai'l est appelée "shii'te septimain". La secte des "Assassins" d'A'lamout (h'ashashine) et celle de l'aga Khan de Bombay en sont dérivées.

Après la mort du onzième imam H'assan al A'sqari, certains prétendirent qu'il n'avait pas de descendance. D'autres affirmaient qu'il avait épousé secrètement une esclave, Nargis, rachetée par son père, et qu'elle lui avait donné un fils, Moh'amed, à Samarra en 869. Celui-ci avait quatre ans quand il surgit une seule fois à la mort de son père, lors des funérailles. Puis il disparut se cachant dans la montagne. Il est considéré par la shia'h régulière et principale comme le douzième et dernier imam, qui reviendra en son temps, comme "mahdi de justice", rétablissant les shii'tes dans leurs droits usurpés. Cet imam occulté Aboul Qassim Moh'amed ibn H'assan fut surnommé l'Attendu, la Preuve, Celui qui s'élèvera, le Reste de Dieu …

L'ensemble des sectes croyant dans l'occultation de ce douzième imam est appelé "shii'te duodécimain".

 

On s'est attaché ci-dessous à analyser l'occultation shii'te principale, ainsi que trois hérésies de la shia'h, les druzes, les babistes et les mahdistes. Rappelons ici que la shia'h est considérée elle-même comme une hérésie par la sunna (2).

 

Pourquoi se cacher?

 

La shia'h se distingue par une frustration du pouvoir et, en conséquence, par une contestation de tout pouvoir. Elle est basée sur une absence momentanée de chef temporel et spirituel. Celui-ci est toujours occulté et certains pensent qu'il est caché dans un palais souterrain et qu'il continue à gouverner à travers des émissaires. Réalistes, d'autres croient qu'il est mort et qu'il réapparaîtra en temps opportun pour reprendre une place usurpée. Pendant cette absence provisoire, l'imam s'imprègne des connaissances secrètes qui lui sont transmises par Moh'amed. Celui-ci lui enseigne aussi le sens caché du Coran. Il habite un monde intermédiaire appelé "H'our-qalya", équivalent au monde de l'imaginaire de l'Islam sunnite ou "Barzakh". Il reviendra en Mahdi pour faire régner la Justice et la Vérité.  Le Coran ne mentionne pas de Mahdi, terme introduit par la Tradition du h'adith (1). Par contre, il mentionne de nombreuses fois le Messie, en référence à Jésus, qui ressuscitera pour rétablir la justice et généraliser l'Islam dans le monde, après avoir tué Dajjal, l'Antéchrist:

 

"Alors résonneront les trompettes et les yeux des pécheurs deviendront bleus de terreur".

 

La petite occultation (ghaybah al soghrah)

 

Lorsque Moh'amed ibn H'assan apparut aux fidèles lors des funérailles de son père H'assan al A'sqari en 873, la plupart ignorait son existence. En effet les notables s'étaient retournés vers le frère du défunt Jaafar pour lui proposer la succession. Ce dernier était prêt à porter le "manteau", lorsque l'enfant surgit pour lui dire: "Oncle! Reste où tu es! C'est moi qui vais conduire les funérailles de mon père, car je suis plus habilité que toi!". Puis il disparut. Affirmant qu'il n'avait rien vu ni rien entendu, Jaafar fut appelé "le menteur". La légende veut que l'enfant ait été caché dans une caverne à laquelle on accède par un puits, pour éviter qu'il ne soit tué. Il faut noter ici que les dixième et onzième imam se sont volontairement éclipsés d'une vie publique, pour éviter d'être assassinés par les khalifas a'bbassides. Ils se sont rarement montrés à leurs disciples, toujours derrière un rideau. De même, les imams avaient pris l'habitude de communiquer avec les croyants à travers un intermédiaire, appelé la porte ou "bab", qui convoyait les messages et ramassait les aumônes et les dons, permettant aux imams de vivre. O'thman al Amri contrôlait pour les deux derniers imam l'ensemble des messages. Ce type de dissimulation prudente est appelé la "petite occultation". Après la mort du onzième imam, elle a duré soixante dix ans, période pendant laquelle O'thman al Amri et son fils ont revendiqué le rôle de représentants de l'imam occulté. Après leur mort il y eut deux autres agents. Les quatre agents furent désignés par les expressions "porte ou bab", "ambassadeur ou safir", "député ou naeb". Le dernier message convoyé en 941, annonce la fin de la petite occultation, précisant même que toute revendication au rôle de messager serait un mensonge. Moh'amed de la tribu Qouraysh était le dernier prophète, Moh'amed ibn H'assan était le dernier imam, et maintenant on se trouve devant le dernier "bab" ou messager du dernier imam qui, lui, venait d'entrer dans la grande occultation.

 

La grande occultation (ghaybah al qobrah)

 

Le dernier imam avait bel et bien disparu et était reconnu dès ce moment comme le "mahdi", l'initié et l'initiateur de l'humanité. La légende prétend qu'il est toujours caché mais que Dieu ayant prolongé ses jours, il réapparaîtrait au jour du Jugement Dernier. Il continue néanmoins à contrôler les affaires des hommes sans se dévoiler à un intermédiaire. Il apparaît à certains hommes pieux dans des rêves ou des visions. Il est appelé depuis sa disparition le "compagnon du temps" ou "sah'eb al zaman", mais il ne communique plus avec le commun des mortels pour interpréter la loi et le guider dans la vie de tous les jours. Pourtant il reste toujours dans son cœur.

Mais par qui et comment la communauté des croyants est-elle dirigée? Il y a ainsi un paradoxe entre la théorie de l'occultation et les réalités politiques.

Tant que le pouvoir n'est pas entre les mains de la shia'h, le paradoxe n'est pas flagrant. Mais quand le pouvoir politique est shii'te, et ce cas se pose de temps à autre, le dirigeant "usurpe" en fait une partie des prérogatives de l'imam caché, notamment en matière de religion. D'où les fortes tensions entre tout pouvoir politique à coloration shii'te et ses notables religieux qui attendent le retour de l'imam.

 

La réapparition

 

L'imam occulté réapparaîtra (zouhour) un peu avant le jour du Jugement Dernier et de la Résurrection (qiyama). Il reviendra non seulement avec ses amis mais aussi avec ses ennemis dirigés par Dajjal (l'imposteur), un être surnaturel ayant un seul œil, équivalent à l'Antéchrist. Avec l'aide des forces de la Justice, le Mahdi se mesurera à Dajjal, qui dirigera les forces du Mal. Ayant eu raison de celles-ci, l'imam régnera alors quelques années apportant au monde la paix et la prospérité jusqu'à la résurrection de Jésus et de tous les imams occultés, des prophètes et des saints.

 

La doctrine du Mahdi dans la shia'h

 

On a vu qu'après les échecs successifs pour la prise du pouvoir, les disciples de A'li, frustrés, ont échafaudé la doctrine de l'occultation de leur chef et de son retour en un sauveur qui allait les rétablir dans leurs droits légitimes.

Tout croyant de la shia'h atteste sa foi dans une trilogie de Dieu, de son prophète et de l'imam devenu Mahdi. Il croit dans une interprétation de la lettre du Coran par l'imam. Il croit que le Mahdi lui dévoilera en son temps le sens caché de ce Coran. Il croit dans un équilibre harmonieux entre le sens littéral et le sens caché, entre la révélation du prophète et l'enseigne-ment de l'imam. Un croyant de la shia'h est un mystique qui se sent proche de Dieu parce qu'il est guidé par l'imam et qu'il pense que l'imam est un être non seulement exceptionnel, mais aussi surnaturel, ayant en lui un parfum divin.

 

Le prophète Moh'amed est assimilé à une lumière visible et claire. Les douze imams sont des voiles de cette lumière, qui devient alors invisible. Entre la lumière visible et la lumière invisible, il y a un confluent, une femme, Fatima. L'ensemble de ces "éons de lumière" est appelé le plérôme des quatorze immaculés. A son retour, le douzième imam devenu mahdi "initié" et "initiateur" déchirera le voile qui empêche l'homme de voir la vérité.

 

 

 

L'UNIVERS DU MAHDI RESSEMBLE À CELUI DU MESSIE

 

Le Mahdi porte le nom de Moh'amed, il est le descendant du prophète par sa fille Fatima. Il ressemble au messie eschatologique judéochrétien.

 

Les conditions de son apparition

 

Avant sa venue, le monde sera plongé dans le mensonge et la permissivité, dans la méfiance et la folie, dans le meurtre et les taux usuraires. On vivra un monde sans grâce et sans discernement, un monde où la tyrannie devient une source d'orgueil, où l'immoralité, la corruption et l'oppression seront la loi, où les dirigeants seront méprisables, les livres seront falsifiés, les femmes seront perverses, où les hommes paraîtront comme des femmes et où les femmes paraîtront comme des hommes… et le meilleur endroit pour vivre à cette époque sera Jérusalem!

A cette époque il ne restera plus rien du Coran en dehors de sa forme extérieure, rien de l'Islam, sauf son nom. Les mosquées seront pleines d'ignorants sans guide vertueux, les responsables religieux étant plongés dans le mal.

 

Les signes précurseurs de la réapparition

 

Il y aura des bouleversements naturels apocalyptiques. Deux types de mort se répandront, la mort rouge par l'épée et la mort blanche par la peste. Le soleil se lèvera à l'ouest et une étoile aussi brillante que la lune se lèvera à l'Est.

Les arabes se seront débarrassés du joug de l'étranger, reprenant possession de leurs territoires. La mort et la peur affligera le peuple d'Irak et de Bagdad. Un feu apparaîtra dans leur ciel et un nuage rouge les couvrira. Il y aura un grand et long conflit en Syrie jusqu'à sa destruction.

Une voix venant du Ciel et plusieurs personnages précéderont le Mahdi: Dajjal ayant un seul œil, Soufyani et Yamani, ainsi que l'"âme pure", qui sera assassinée.

 

"Si tu vois un étendard noir, alors essaye de le rejoindre même si tu es obligé de ramper dans la neige, car il annonce l'arrivée du Mahdi".

 

Le Mahdi

 

Il viendra dans une année paire et se déclarera à la Mecque entre le Coin de la Kaaba et le Lieu d'Abraham, et il demandera l'allégeance du peuple, puis il ira à Koufa.

Il est jeune, beau et de taille moyenne. Il est brun avec une belle barbe et sa chevelure noire lui tombe sur les épaules. Son visage resplendit de lumière. Comme le prophète, il démolira les structures de l'Ignorance et il apportera la Connaissance, une nouvelle Cause, un nouveau livre et une Loi nouvelle.

Il gouvernera sept, neuf ou dix neuf ans, apportant une ère de justice et détruisant toute iniquité, selon les règles de la "Maison de David" et de Moh'amed. Les routes seront sûres et la terre donnera les meilleures récoltes. A cette époque de prospérité, on ne trouvera plus personne à qui faire la charité.

La connaissance sera partagée par tous car le Mahdi apporte avec lui les vingt cinq lettres manquant à l'humanité pour les compléter à vingt sept!

 

LES HÉRÉTIQUES DE LA SHIA'H SONT AUSSI DES INSOUMIS

 

On compte sept apparitions de l'imam caché lors des dix derniers siècles, considérées comme des hérésies par la shia'h régulière. On décrira deux d'entre elles qui ont donné naissance à des religions ayant des fidèles à ce jour et une autre qui a surgi au dix neuvième siècle au Soudan et qui donne un certain éclairage sur des événements récents.

 

Les étonnants inspirateurs des Druzes

 

Cette religion syncrétique est née il y a près de mille ans dans des conditions rocambolesques sinon dramatiques. Le sixième caliphe fatimide al H'aqem (le juge) arrive au pouvoir à onze ans, en 985 au Caire. Bien que personne n'ait diagnostiqué qu'il fut paranoïaque, il était certainement dérangé à l'âge où il commence à s'occuper des affaires du pays. Son premier acte fut de faire exécuter son tuteur qui le protégeait de ses ennemis, "parce qu'il ne lui montrait pas assez d'affection". Son tempérament versatile montrait une multiplicité de visages, à la fois généreux et cruel, courageux et craintif, présomptueux et pusillanime, ambitieux et inconsistant. Toujours est-il que pendant son règne on a compté dix huit mille victimes de ses excentricités morbides. Ainsi se targuant d'être astronome, musicien et physicien, il était jaloux de tout concurrent, qu'il faisait bannir, sinon exécuter. Sa justice étant expéditive, il faisait décapiter sommairement tout délinquant sur sa route.

D'aspect gracieux et fier, il imposait par son regard bleu foncé que peu de gens pouvaient soutenir. Il avait l'aspect d'un lion, avec une voix effrayante. Il portait un caftan noir, laissait pousser ses cheveux qui coulaient sur ses épaules, un tissu blanc lui serrant la tête.

Il faisait des rondes nocturnes pour espionner ses sujets, écoutant l'opinion toujours mauvaise qu'on avait de lui. Pour se débarrasser de ses détracteurs, il organisait des simulacres de vol et faisait désigner le coupable par un sphinx creux dans lequel il avait dissimulé un homme de paille. Il avait interdit un certain nombre de produits qu'il abhorrait, l'épinard "mouloukhyah", plat populaire égyptien, le poisson sans écailles, le miel, le lupin et il faisait fouetter tout contrevenant qui en usait, avant de le faire décapiter!

Ses idées et ses sentiments étaient considérés comme incohérents, ses colères non maîtrisées. Il persécutait les femmes et les minorités, interdisait les chiens et le cheval en ville. Recevant des lettres d'insulte de ses administrés, il décida un  jour de livrer le Caire au pillage, faisant incendier la capitale. Après trois jours d'extravagances ses propres soldats le menacèrent de mort; alors il grimpa sur son âne et alla leur présenter des excuses.

En dehors de cela, il pouvait se montrer généreux ou magnanime à ceux qui savaient lui parler. Et c'est dans ce climat que deux aventuriers lettrés arrivèrent à entrer dans son intimité. Il faut préciser ici qu'al H'aqem avait des prétentions mystiques et qu'il se retirait souvent sur le plateau désertique du Moqattam, près du Caire, où il conversait avec le Créateur. Alors il se lie d'amitié avec un missionnaire perse ou russe, Darazi surnommé "Saif al iman" ou Épée de la foi. Appartenant à une secte ismaélite ésotérique, Darazi fit croire au khalifa que son âme était celle d'Adam. Croyant bien faire, il lui présenta aussi son maître H'amza, d'origine perse ismaélite, qui prit très vite un ascendant sur le khalifa. Féru de religions et très rusé, H'amza commença alors à jeter les bases d'un nouveau syncrétisme, en puisant dans les religions établies et dans les sectes environnantes, flattant les goûts de son maître. Celui-ci avait une prédilection particulière pour la planète Saturne et pour Pythagore!

Devenu ministre d'al H'aqem, H'amza abolit alors toute religion et inventa une nouvelle foi. En l'an 400 de l'hégire, il commence par déifier le khalifa, se réservant la place de l'imam attendu, et il se déclare le Messie du nouveau Dieu. Il annonce que si al H'aqem a une figure humaine, et non divine, c'est pour ne pas éblouir ses sujets. Il annonce clairement tous ses pouvoirs de "fils de Dieu":

"Il m'a privilégié et donné la prééminence, en ce qu'il m'a honoré de ses révélations et de ses bénédictions. Louange à celui qui m'a formé de sa lumière et qui m'a favorisé de son esprit de sainteté, qui m'a donné la science préférablement à tous les autres, qui m'a remis l'intendance de ses affaires, et m'a fait confident des plus profonds de ses mystères, tellement que je suis l'origine de ses créatures, le confident de ses secrets et le dépositaire de ses privilèges, de sa science et de ses bénédictions. Je suis la voie droite  et, par son ordre, je suis sage et savant, je suis le Mont Sinaï et le registre où sont écrites les œuvres de tous les hommes et la maison abondante. Je suis le prince du jour du jugement et des rétributions. Je suis celui qui a soufflé, avec la permission du maître glorieux, dans les corps sans âme. Je suis le pontife des saints et l'enseigne manifeste, la langue des vrais croyants et l'appui des unitaires. Je suis la trompette du jour du jugement, et par mes mains se distribuent les grâces continuelles. Je suis l'abolisseur des lois et l'exterminateur des peuples qui suivent les nouvelles sectes et l'"association" (shia'h)…Je suis le Messie des Nations…"

 

Entre temps, Darazi est très actif, propageant la doctrine de son maître et  publiant "les merveilles qu'il voyait faire sous ses yeux". Il diffuse notamment la théorie de la transmigration des âmes avec un certain succès. H'amza en prend ombrage et l'expédie prêcher en Syrie avec beaucoup d'argent. Là Darazi réussit à emporter l'adhésion d'un grand nombre de sympathisants, distribuant simultanément des idées de licence religieuse et des subsides. La nouvelle foi qu'il propage libère les croyants des contraintes de l'Islam, autorisant le vin, le sexe, et transférant les biens des récalcitrants aux croyants. A son retour, au bout de deux ans, sa popularité est tellement grande que al H'aqem le nomme ministre. H'amza commence à avoir des griefs contre son élève qui prêche pour lui-même une foi éloignée de la sienne. Il l'accuse même de battre une fausse monnaie! En retour Darazi traite H'amza d'imposteur caché sous le "manteau" d'un imam. Le torchon brûle entre les deux hommes et H'amza fait assassiner Darazi. Les partisans de Darazi fomentent des troubles pendant trois jours puis sont massacrés par la troupe.

Al H'aqem ne dit pas un mot. Mais sa fille Sayedet al Moulq, maîtresse de H'amza, craignait pour la vie de ce dernier. Elle arriva à convaincre le chef de la police Saif al Dawlat ibn Daouash de tendre un piège à son père et de l'éliminer. Al H'aqem avait l'habitude d'aller se promener sans escorte le vendredi à H'élouan près du Caire. Un vendredi, il disparut. H'amza s'empressa de faire disparaître également le chef de la police et de faire croire que al H'aqem s'était "retiré dans le Ciel". A trente six ans, l'imam-khalifa est occulté.

Son fils A'li Daher lui succède et s'empresse de se débarrasser de la secte nouvelle des "unitaires" qui l'assimile alors à l'Antéchrist. Prudent, H'amza entre aussi dans une véritable "occultation", puis il disparaît. Les fidèles se rassemblent autour d'un nouveau venu qui semble sincère, Moqtana ou Bahaédin, et ils définissent de nouveaux et nobles objectifs pour leur secte dont le nom druze ou "dourzi" viendrait du mot arabe "al dars", l'étude, la méditation. Toujours est-il que la religion druze ne retient de l'Islam que la profession de foi liée à Dieu-Un et à son prophète Moh'amed, rejetant les autres règles. Et elle vénère ses fondateurs légendaires "hauts en couleur" et non pas ceux qui se sont montrés besogneux. En fait, elle est essentiel-lement contestataire (3).

 

La mystérieuse porte des "Babistes"

 

Mille années lunaires après l'occultation de l'imam Moh'amed ibn H'assan, l'approche de l'an 1260 de l'hégire, ou 1844, donna un espoir insoupçonné aux masses shii'tes en Iran. Profitant de cet engouement, Sayed A'li Moh'amed, un mystique de l'école "Shaykhiste" (voir ci-dessous) revendique à 25 ans, à Shiraz, le titre de "Bab", soit la porte à l'imam caché. Ayant rassemblé de nombreux fidèles, il annonce, quatre années plus tard, qu'il est lui-même l'imam occulté qui réapparaît pour abroger le Coran et les lois des autres religions, et pour instaurer un nouveau cycle prophétique universel. Brillant, il apportait avec beaucoup de charisme des réponses subtiles à toute question théologique. Il écrit un nouveau livre saint appelé "bayan", la révélation, qui devait remplacer le Coran. Sa secte abolit la polygamie et le concubinage entre autres, et prône l'unification des religions. Son apparition engendra de violentes manifesta-tions pour et contre lui au point que le shah Nasr-el-Din s'en est ému et le fit fusiller à 31 ans comme hérétique. Cinq mille fidèles périrent lors de ces événements et, parmi eux, une poétesse portant le joli nom de "prunelle de l'œil".

Cet illuminé avait pris soin d'annoncer avant son exécution l'arrivée prochaine d'un autre personnage messianique, sans le nommer. Un disciple inconnu Mirza H'ussein A'li Nouri se déclara à ses adeptes en 1863, puis publiquement trois ans plus tard, comme celui qui a été annoncé par le "Bab". Il prit le titre de Baha-oullah ou "Gloire de Dieu"  et se sépara de l'Islam, revendiquant l'universalisme d'une nouvelle religion, le "baha-isme". Il est jeté dans la prison d'Acre jusqu'à sa mort. On compte aujourd'hui quelques millions de fidèles dans le monde entier avec un centre international majestueux à H'aifa, à trente km au sud d'Acre.

 

Notons que le "shaykhisme" d'où est issu le "babisme" est une école de la shia'h qui se distingue à la fois par une extrême vénération de l'imam caché, frôlant l'idolâtrie, et par la conception d'un monde intermédiaire, analogue à celui de la Qabalah, appelé "H'ourqalya", monde des archétypes, une façon d'expliquer tous les paradoxes. Si l'imam qui réapparaît n'a aucune ressemblance avec l'imam caché, c'est qu'il est son archétype transformé. Ce n'est pas le corps physique du prophète Moh'amed qui s'est envolé vers Jérusalem, mais son archétype, ou corps subtil du monde intermédiaire. "H'ourqalya" est aussi un moyen d'expliquer l'immanence de Dieu dans le monde créé par rapport à sa transcendance. Aux professions de foi de la shia'h, le shaykhisme ajoute la croyance dans un troisième intermédiaire, en plus de Moh'amed, sceau des prophètes, et de l'imam caché devenu Mahdi: le "Bab", un disciple parfait, le "quatrième pilier" qui ouvre la porte de l'Intelligence, le Dieu-Un étant le premier pilier. On notera la similitude avec les quatre mondes séphirotiques de l'Arbre de Vie (voir annexe 3).

Le "babisme" s'inspire largement de cette doctrine, et après lui, le baha-isme. Inconnaissable dans son essence, Dieu a créé le monde, puis il a confié aux Imams successifs "un certain pouvoir créateur", à travers le monde intermédiaire de l'esprit. D'où l'importance des chiffres et des lettres dans la révélation de cette secte, ainsi que l'exégèse symbolique. Élevé à un niveau quasi divin, l'imam a besoin d'une "porte" pour communiquer avec le commun des mortels, d'où le "Bab". Voici quelques transformations apportées au rite musulman: l'année a dix neuf mois de dix neuf jours; le culte public et la prière sont abolis; le rituel de pureté est allégé et la condition de la femme nettement améliorée; le capital et le revenu sont taxés pour subvenir aux besoins des pauvres et, en conséquence, la mendicité est interdite…

 

Moh'amed Ah'mad al Mahdi

 

Né près de Dongola au Soudan, Moh'amed al Mahdi (1848-1885) était un apprenti modèle, fabriquant des bateaux. Très tôt, il se tourne vers les études religieuses et l'ascétisme, puis milite pour un nationalisme religieux contre les occupants turcs et égyptiens. Installé dans l'île Aba sur le Nil Blanc, il commence à réunir des disciples et se déclare Mahdi-Messie à trente-trois ans. Il a comme objectif de débarrasser le monde du Mal, le Soudan des infidèles et de mener une guerre sainte pour la Justice! Il réussit à mener plusieurs batailles militaires victorieuses notamment à Al O'beid en 1883 contre un corps d'armée égyptien dirigé par un britannique, occupant toute la province occidentale du Darfour. La Grande Bretagne envoie le général Gordon à Khartoum pour évacuer les troupes égyptiennes. Le Mahdi assiège la ville pendant dix mois et, pris au piège, Gordon demande des renforts. Mais avant que ceux-ci n'arrivent, Gordon et sa garnison sont submergés par les groupes islamistes et décimés en 1885. Al Mahdi contrôle alors tout le Soudan et commence à jeter les bases d'un état islamique. Atteint par le typhus, il meurt quelques mois après sa victoire.

 

DES SYMBOLES DE TRANSMISSION, DE DEUIL ET D'EXPIATION

 

Le manteau

 

Comme le prophète Elie a couvert son disciple Elisha de son manteau, pour lui transmette l'enseignement qu'il a lui-même reçu, Moh'amed a couvert de son manteau la famille de Fatima, lui conférant ainsi son pouvoir spirituel. Cette tradition remonte à Adam, puis à tous les initiés qui lui ont succédé. Plus qu'un livre, le manteau suggère une transmission, puisqu'on porte quelque chose d'intime appartenant à l'autre, mais aussi la protection puisqu'on se couvre, et également la soumission, puisqu'on accepte les idées transmises.

 

Le puits

 

Le dernier Imam disparaît dans un puits s'ouvrant sur un palais. Le puits est ici le symbole du secret, de la dissimulation. Le puits  est aussi un moyen de communication, puisque le croyant, faute d'intermédiaire lors de la grande occultation (voir ci-dessus) est amené à envoyer dans le puits des messages à l'imam, pour lui demander aide et conseil. Le croyant reçoit la réponse directement "dans son cœur et dans son esprit".

Le puits est aussi un lien intermédiaire entre le monde humain et le monde inaccessible, appelé divin. Séjour provisoire du Mahdi, le puits est aussi un symbole de connaissance dans le silence de la sagesse contemplative.

 

Le chiffre vingt sept

 

A son retour, le Mahdi complètera à vingt sept le nombre de lettres du Coran. Le chiffre vingt sept est lié étroitement à neuf, puisque trois fois neuf et deux plus sept. Comme son nom l'indique en français, neuf annonce aussi en arabe et en hébreu un monde nouveau. A son retour le Mahdi apportera au monde un livre nouveau et une loi nouvelle.

Ceci est le reflet de la nature contestataire, voire révolutionnaire, mais rénovatrice de la shia'h.

Vingt-sept est aussi la somme de dix et de dix-sept. Dix est la totalité des quatre premiers nombres assimilés aux quatre univers séparant l'homme de Dieu. Dix est le retour à l'unité d'Allah. Dix-sept est le nombres des gestes liturgiques des cinq prières quotidiennes, le nombre de mots qui composent l'appel à la prière, le nombre d'initiés, compagnons de A'li, les martyrs qui seront ressuscités. Ainsi ce nombre est devenu aussi bien dans la tradition de la shia'h que dans la pensée soufi l'image de la transfiguration des formes en vue d'un nouvel équilibre.

 

L'œil unique de Dajjal

 

Une paire d'yeux est la normalité. Un seul œil est une anomalie, un impair, une régression; elle annonce une force primitive cachée, une force de destruction. A la limite, l'œil du cyclope est l'œil du Mal, le mauvais œil.

La généralisation du Mal précède la venue du Mahdi-Messie. Certaines sectes shii'tes avaient l'habitude de crever un œil de l'étranger mécréant un peu trop curieux de leurs mœurs, pour simuler l'arrivée de Dajjal, l'être à un seul œil, et accélérer ainsi la venue du Mahdi.

 

La main

 

La main surmontant une perche lors des processions funèbres de la shia'h a plusieurs sens. Elle représente d'abord l'union et la solidarité familiale des "cinq", le prophète Moh'amed et sa famille, Fatima et A'li, H'assan et H'ussein. Elle est aussi le signe d'une main vengeresse, celle qui voit l'injustice et qui va rétablir l'équité dans la succession de Moh'amed. La main est celle du Mahdi qui va revenir remettre de l'ordre dans les affaires d'un monde dominé par le mal.

 

La couleur noire

 

La shia'h est en deuil permanent, ce qui explique sa prédilection pour le noir, plutôt que pour le vert, couleur habituelle de l'Islam. L'étendard et les vêtements sont noirs.

Au delà de la suggestion d'une mort violente, le noir est une absence de couleur, donc de lumière. Le noir est aussi le signe de l'ignorance. Depuis la mort des martyrs jusqu'au retour du Mahdi, le monde est plongé dans l'ignorance. Le Mahdi réapparaîtra pour l'éclairer, ayant lui-même reçu lors de son séjour hors de ce monde un complément de formation.

Le noir absorbe la chaleur. Groupe à part et solidaire, la shia'h est unie par la chaleur reçue de chacun de ses membres.

 

Les lacérations corporelles

 

Les lacérations jusqu'au sang ou jusqu'à l'os, avec des chaînes munies de lames frappent l'imagination de ceux qui ont suivi ces convois funèbres simulant le transport du catafalque de H'ussein, martyr de la shia'h. Il s'agit ici d'un rite de sacrifice, d'expiation et de purification, pour exorciser la culpabilité de n'avoir pu sauver le martyr de la mort ou de n'avoir pu rétablir une situation inique. C'est aussi une forme de communion par le sang avec le martyr. L'imprégnation du front avec le sang est le signe qu'on n'oublie pas l'injustice commise.