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Ma mère , la Musulmane…
Par
H'anan al Shaykh - 8/1/02 – paru dans
Newsweek du 13 au 20/1/02
Écrivain libanais, elle rend hommage aux femmes qui ont
souffert sous la loi des Taliban et se demande comment des femmes américaines pourraient
épouser des hommes qui approuvent Ben Laden.
Traduction
par Albert SOUED, www.chez.com/soued ,
le site des Symboles dans la Bible.
Les
Taliban se sont propulsés dans la chambre de ma mère à travers les journaux que
je lisais pendant que j'attendais dans la section des soins intensifs. J'ai
rêvé qu'ils étaient entrés dans l'hôpital à Beyrouth et que je ne pouvais les
chasser du lit de ma mère. J'avais peur que leur longue barbe ne touche les
draps, que leur souffle ne pollue l'air, qu'ils ne l'enlacent ou ne la serrent
de trop près pour l'éloigner des médecins mâles, parce que, vous le voyez, ma
mère est une Musulmane.
Ma
mère, ma beauté, était étendue sur un lit qui monte et qui descend – si
Shéherazade devait raconter un conte de plus qui s'ajouterait aux "Mille
et une nuit", cela pourrait être ce "lit magique" – couverte
d'un enchevêtrement de tuyaux et de fils électroniques qui insufflait la vie en
elle, la nourrissait par le nez et lui injectait des sédatifs par le bras.
Ma
mère la Musulmane qui ne cachait pas ses opinions et qui ne bridait pas sa
parole, croyait que l'oppression était un péché et que la justice était
"juste". Ma mère avait 14 ans quand elle s'est mariée et elle était
privée du droit de lire et d'écrire. Toute sa vie elle garda cette honte comme
un tatouage dans son âme.
Mon
père avait l'habitude de dire "La connaissance est une lumière, on devrait
la rechercher aussi loin qu'en Chine!" mais cette lumière était pour ses
filles, pas pour sa femme. Elle appartenait à une génération de souffrance,
nous étions dans une génération d'espoir. Mon père croyait dans l'Islam, dans
la tradition, mais il croyait aussi dans un futur pour ses enfants. Aujourd'hui
quelle foi en l'avenir reste-t-il?
Partout
je vois "leur" terrible intrusion. A la salle d'attente de l'hôpital,
elles sont de plus en plus nombreuses à être voilées. Un magazine pour femmes
en arabe me demande de changer la couleur de mes vêtements s'ils étaient
bordeaux, car le vin est interdit…La télévision transforme les hommes de
religion en stars, quand des écrivains, des conteurs, des journalistes paient
de leur sang les mots qu'ils écrivent. Comme des rayons X, le fanatisme pénètre
les plus petites molécules de la pensée.
Maintenant
qu'il est manifeste qu'elle est en train d'expirer, ma mère essaie
désespérément de nous dire quelque chose à travers cet enchevêtrement de tubes
qui bloquent ses cordes vocales et emprisonnent ses mots. Elle s'exprime par
les yeux, avec ses mains. Comment pourrions déchiffrer ce code? Peut-être
qu'elle pourrait dessiner une image comme elle le faisait pour son carnet
d'adresses, une caricature, un symbole. Une tête d'homme en forme de pleine
lune riante qui était le numéro d'appel de l'électricien, ou un pigeon, symbole
de sa fille qui a fui le Liban pour trouver une autre vie ailleurs.
Ma
mère mourut le septième jour et nous étions un groupe debout autour de sa
tombe, hommes et femmes mélangés. Une blonde oxygénée portait un short, une
chemise noire serrée, une autre avait du kohl autour des yeux et du rouge aux
lèvres. Elles se mêlaient à celles qui portaient le voile et avec celles qui se
couvraient la tête seulement pour l'occasion. Je remarquai un homme qui fixait
la blonde et un poème ésotérique me traversa l'esprit, écrit par une femme
pashtoune, plein de soupirs de désir, d'amour, de
douleur
et de manque:
quand
ils me verront traverser le village,
dévoilée,
les cheveux libres au vent!"
Et
alors ma pensée erra à propos de la peur qu'ont les hommes des femmes.
Une
femme devient comme une chose qu'on garde au frigo, comme une douceur, quand
son mari en aurait envie. Mais même enfermée, sa femme l'inquiète. Car il se
dit "et si mon voisin lui aussi avait envie d'une douceur?" Alors
maître de tout, il se demande pourquoi il doit être affaibli par cette femme
dont il n'a besoin que quelques minutes par jour! Alors il voudrait qu'elle
disparaisse de la terre!
Je
pense aussi à ces américaines qui voudraient se marier avec des hommes qui
admirent les talibans et les défendent, et je me demande quel problème
personnel elles ont. Veulent-elles changer le monde pour se changer
elles-mêmes? Elles doivent être vraiment déçues de leur mari et de leur vie!
Et je
pense aux femmes arabes que j'ai vu manifester en faveur de Ben Laden,
brandissant sa photo. Il est probable qu'elles portaient les bannières
annonçant leurs propres funérailles.