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KOFI ANNAN ET LES HÉRÉSIES DE L'ONU

Raoul Wallenberg, Bosnie, Rwanda, serbie, Irak, terreur 

Par Per AHLMARK, essayiste, ancien adjoint du premier ministre suédois 
Paru dans 
Project Syndicate le 15 avril 2004

 

Aucune autre organisation n'est autant respectée que les Nations unies. Ceci est peut-être naturel, puisque l'ONU personnifie les rêves les plus nobles de l'humanité. Pourtant, comme le montre le scandale actuel autour de la gestion onusienne du programme d'échange de vivres contre du pétrole en Irak, au moment où la communauté internationale se remémore le génocide rwandais qui se produisit il y a dix ans, ce respect n'est pas vraiment mérité et le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, est peut-être un faux prophète...

Depuis Dag Hammarskjöld, aucun autre leader des Nations unies n'avait été autant acclamé que Kofi Annan. Et ceci est compréhensible, dans une certaine mesure. Annan garde habituellement une attitude imperturbable, empreinte de dignité. Il possède un certain charme, dit-on, et même du charisme. Cependant, un leader doit se juger à l'aune de ses actes quand les situations en jeu sont importantes. Les échecs d'Annan dans de telles situations sont presque toujours dissimulés.

Entre 1993 et 1996, Annan fut sous-secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix puis sous-secrétaire général. Le massacre serbe de 7 000 personnes dans la ville bosniaque de Srebrenica est l'une des deux grandes catastrophes où sa responsabilité est largement engagée, le pire massacre que l'Europe d'après-guerre ait jamais connu.

En 1993, il fut promis aux musulmans de Bosnie que les forces onusiennes les protégeraient. Cet engagement représentait la condition sine qua non de leur désarmement. Les Nations unies déclarèrent que Srebrenica était un «lieu sûr» que 600 Casques bleus néerlandais allaient «protéger» au nom des Nations unies. En juillet 1995, les forces serbes attaquèrent et les Nations unies ne respectèrent pas leur serment. L'administration d'Annan publia des communiqués confus et évasifs. Inconsciente, apparemment, de la gravité de la situation, elle fut incapable d'alerter la communauté internationale de manière appropriée et n'intervint pas.

Les Casques bleus néerlandais ne tirèrent pas une seule fois. La puissance aérienne de l'Otan aurait pu arrêter les Serbes mais Annan ne demanda pas à l'Otan d'intervenir. Ratko Mladic, commandant serbe et criminel de guerre, déporta les femmes et les enfants sous les yeux des Nations unies, tandis qu'il capturait et assassinait les hommes et les adolescents. Personne ne devrait s'étonner de l'inaction des Nations unies, puisque l'année précédente, elles avaient fait preuve de leur totale incompétence à faire face au génocide le plus rapide de l'histoire : le massacre de 800 000 Tutsis modérés au Rwanda en une centaine de jours. Les forces des Nations unies au Rwanda en 1994 relevaient de la responsabilité d'Annan avant et pendant la crise.

Annan fut alerté quatre mois avant que les activistes hutus n'entament leurs assassinats de masse par un fax du général canadien Roméo Dallaire, commandant des forces des Nations unies au Rwanda. Dallaire décrivait en détail comment les Hutus préparaient «l'extermination anti-Tutsi». Il indiqua que sa source était «un Hutu» et que l'armement nécessaire avait été rassemblé pour le nettoyage ethnique qui se préparait.

Dallaire demanda la permission d'évacuer son informateur et de saisir les caches d'armes. Annan rejeta ces deux demandes et proposa à Dallaire d'informer le président rwandais, Habyarimana, un Hutu, de l'identité de son informateur bien que ce dernier ait expressément indiqué que l'entourage proche du président était à l'origine du plan d'attaque du génocide. Annan est resté d'une passivité extrême, même après le crash de l'avion où le président Habyarimana trouva la mort, crash qui fonctionna comme déclencheur du génocide.


On pourrait penser qu'Annan s'était bien trop compromis pour le poste de secrétaire général, mais ce n'est pas ainsi que fonctionnent les Nations unies. Au lieu d'être obligé de démissionner après les événements du Rwanda et de Srebrenica, il fut promu secrétaire général. C'est la culture du Palais de verre... Il a même été réélu à l'unanimité et a reçu le prix Nobel de la paix. C'est le diplomate Téflon par excellence. Les médias font parfois grimper l'admiration pour Annan en précisant que sa femme est suédoise et une parente proche de Raoul Wallenberg. Il nous faudrait donc en conclure qu'en plus de tous ses talents, Annan partagerait les idéaux personnifiés pendant les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale par le plus célèbre des Suédois des temps modernes...


Or, Wallenberg, au lieu de laisser tomber ses responsabilités et de s'adonner à des tâches conventionnelles en Suède, fit chemin jusqu'en Hongrie, scène de la dernière orgie homicide de Hitler contre les juifs. A Budapest, il exploita le moindre contact disponible, ayant recours à tous les stratagèmes, pour sauver de l'Holocauste autant de personnes que possible. Il ne se laissa jamais duper par la clique de Hitler.

Peut-être ne devrait-on jamais juger le bilan de quelqu'un en le comparant aux succès de Wallenberg – un titan d'une force, d'un courage et d'une persévérance certains. Le problème avec Kofi Annan est que, quand des événements similaires se sont produits, il a fait défaut. Pourtant, il a toujours eu à sa disposition tous les instruments de pouvoir et d'opinion qui ont manqué à Wallenberg...

 

Maintenant, en dépit des révélations récentes sur la corruption dans le programme onusien pétrole contre nourriture à Bagdad, la communauté internationale s'apprête à mettre entre les mains d'Annan l'avenir de plus de 20 millions d'Irakiens qui ont survécu à la dictature de Saddam Hussein. Cela est dû à ce que sont devenues les Nations unies : une institution où aucune faute ou erreur n'est, semble-t-il, préjudiciable à son auteur...