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LE NATIONAL-ISLAMISME : UN PARADOXE IRANIEN ?

 

Par Masri Feki, né au Caire, président de l’Association Francophone d’Etudes du Moyen-Orient et auteurs de nombreuses publications sur le Moyen-Orient, dont « L’axe irano-syrien, géoplitique et enjeux », Editions Studyrama, Paris, juillet 2007.

 Paru dans le Turkish Daily News du 17 juillet 2007

Original : http://www.turkishdailynews.com.tr/article.php?enewsid=78385

Traduit de l’anglais par Nadine Makram pour la presse francophone

 

Tantôt « panchiite », tantôt « persocentrique », ce qui semble être un paradoxe iranien n’en est pas un. En réalité, il existe une dialectique traditionnelle entre les deux articulations évoquées : le panchiisme renforce les positions de l’État-nation iranien comme acteur régional, tandis que l’existence d’un sanctuaire chiite renforce la volonté de conversion au chiisme de tout le monde musulman.

 

Un des succès de l’Irak de Saddam Hussein dans sa longue guerre contre l’Iran de Khomeyni (1980-1988) est d’avoir contribué à l’isolement régional de Téhéran et d’être parvenu à contrer la politique panislamiste de la naissante théocratie, puisque les pays arabes étaient majoritairement pro-irakiens. Téhéran était ainsi dépeint dans la propagande arabe comme la capitale d’une communauté d’hérétiques qu’on appelait « Perses » ou « mages », faisant allusion à l’ancienne religion zoroastrienne qui aurait détourné le véritable islam, orthodoxe, vers l’hérésie chiite. Téhéran n’a pu rétablir des relations de confiance avec son voisinage arabe (à l’exception de l’Irak baasiste) qu’une dizaine d’années après le cessez-le-feu de juillet 1988. Seule la Syrie baasiste de Hafez el-Assad a fait exception puisqu’elle trouvait profit à soutenir l’Iran, dès le début du conflit, contre son rival baasiste irakien.

 

Malgré l’isolement confessionnel et nationaliste entraîné par ce conflit sanglant, Khomeyni a tenté en vain d’affirmer ses prétentions hégémoniques sur le monde musulman : tentative de contrôle du pèlerinage à la Mecque en 1987 (1), revendication de la défense intégrale du Coran par la fatwa (2) émise contre le romancier indo-britannique Salman Rushdie (accusé d’apostasie et de blasphème) en 1989… Les fréquents appels à l’éradication de l’État d’Israël de l’actuel président iranien s’inscrivent sans doute dans la continuité de cette logique de séduction adressée essentiellement aux musulmans du Moyen-Orient.

 

Le discours des dirigeants de Téhéran n’est cependant qu’une simple rhétorique, une surenchère qui masque une politique traditionnelle d’influence régionale. Ainsi l’Azerbaïdjan peut-il être dominé depuis des siècles par les chiites azéris. Mais, dans son bras de fer avec l’Arménie chrétienne, c’est cette dernière que Téhéran soutient, aux côtés de Moscou, pour faire face aux tentations irrédentistes des Azéris dans leur province du nord de l’Iran. Ainsi la minorité chiite hazara d’Afghanistan (25%) est elle soumise depuis des décennies au joug de la majorité sunnite rigoriste des Pachtounes dans l’indifférence totale des Iraniens qui ne leur ont jamais fourni assez d’armes ni de matériel pour constituer une vraie force politique dans ce pays. A l’inverse, dans les Territoires palestiniens, vides de chiites, l’Iran est en train de devenir le champion de la cause palestinienne et le principal soutien de groupes terroristes comme le Hamas et le Djihad islamique, pourtant très proches, tous les deux des mouvances intégristes sunnites. L’Iran qui peine à étendre son influence sur l’Irak et à arrêter les massacres entre chiites et sunnites dans ce pays, ne voit sans doute pas d’autre solution que de retourner les deux parties contre un ennemi, l’État juif, une cible plus « neutre » qui ferait l’unanimité des musulmans.

 

L’objectif premier de la diplomatie iranienne est de maintenir la puissance régionale de l’Iran et, pour cela, de tenir à distance ses rivaux traditionnels : la puissance turque, avec laquelle il se trouve en position de rivalité dans le Caucase, et par l’Arabie saoudite dont la rivalité dans le golfe Persique est aggravée par le clivage durable entre le sunnisme dur des wahhabites (3) et le chiisme orthodoxe des Iraniens. A cela s’ajoutent, pour les dirigeants de Téhéran, d’autres « menaces », comme celle du Pakistan avec lequel l’Iran se trouve en concurrence en Afghanistan et en Asie centrale. De manière générale, les trois puissances sunnites évoquées (turque, saoudienne et pakistanaise) sont perçues comme des agents de l’impérialisme américain – puisque toutes ont des accords militaires avec les États-Unis et l’OTAN – qui réservent un sort fort peu enviable aux chiites.

 

Pour les dirigeants iraniens, les communautés chiites du Moyen-Orient sont au service du chiisme – le véritable islam. Et comme l’Iran est le leader de la Révolution islamique, ces communautés doivent être à son service.

 

Notes 

(1) Dès l’instauration du régime islamique en Iran, en 1979, le pèlerinage annuel aux lieux saints musulmans de la Mecque et de Médine est devenu l’occasion d’affrontements récurrents entre pèlerins iraniens et policiers saoudiens.

(2) Avis juridique donné par un spécialiste de loi religieuse islamique sur une question particulière.

(3) Le wahhabisme désigne la doctrine du salafisme, forme rigoriste de l’islam sunnite, telle qu’enseignée par le théologien Mohamed ibn Abd al-Wahhab (1703-1792).