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Le Dernier Bastion de la Laïcité en Islam Est en Péril

 

Par Albert Soued, écrivain, http://soued.chez.com pour www.nuitdorient.com

26 mars 2010.

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Depuis 1923, la Turquie n'est plus le siège du califat mondial de l'Islam. Lors de la 1ère Guerre mondiale 1914/18, la Turquie s'est rangée du mauvais côté et elle a perdu la guerre, non sans avoir procédé à un gigantesque massacre organisé, véritable génocide de ses Arméniens, disséminés dans l'Empire Ottoman et rassemblés à Alep, avant d'être éliminés (1). Inspirée par la discipline et l'organisation allemande, menée par Kemal Ataturk, la nouvelle génération d'officiers, les Jeunes Turcs, voulait remodeler le pays à l'Occidentale. Ataturk a imposé d'une main de fer l'alphabet latin, la laïcité et le modernisme à un Islam déclinant et corrompu. La Turquie a vécu ainsi pendant 80 ans, une démocratie, sous la surveillance d'une armée vouée à la mémoire du Grand Chef Ataturk.

Epuisée par un excès de corruption et poussée par un nouvel islamisme de plus en plus envahissant, la démocratie turque a élu au pouvoir en 2002 un parti islamique, l'AKP, le Parti de la Justice et du Développement. En 8 ans de pouvoir, l'AKP et son chef Recep Tayip Erdogan ont progressivement transformé une démocratie laïque en une oligarchie islamique. Au point qu'en 2007, suite à des élections où l'AKP a amélioré son score, Abdallah Gul, un islamiste est devenu président de la Turquie, malgré la coutume que ce poste soit réservé à un laïc et malgré les réticences de l'armée.

Pour réussir, Erdogan s'est appuyé d'une part sur une mouvance occulte qui se développe d'une manière étonnante en Islam, depuis une quarantaine d'années, la mouvance "Gulen", et d'autre part sur le nationalisme turc, en l'exaltant et en s'attaquant aux états qui pourraient lui porter ombrage, notamment les Etats-Unis et Israël et ses Juifs, tout en essayant d'apaiser la minorité agissante kurde.

Pour réussir, Erdogan doit aussi neutraliser les anciens cadres laïcs de l'armée et du pouvoir judiciaire, après avoir purgé l'enseignement, de nombreuses municipalités, la police et les services secrets.

 

La mouvance Gulen soutient Erdogan et son parti l'AKP

 

Sous l'empire ottoman, la Turquie était un modèle d'islam tolérant s'appuyant sur la tradition soufie dont les confréries se développaient harmonieusement dans tout le Moyen Orient. Depuis près d'un demi-siècle, l'islam radical a supplanté cette vision, et les soufis sont persécutés, voire interdits en Arabie et en Iran. En Turquie un mouvement "opaque" appelé "Gulen" a fait tache d'huile, à grande allure, réunissant des millions d'adeptes sous la houlette d'un richissime érudit, Gulen Fethullah. Inspiré par le soufisme, mais ressemblant étrangement aux "Frères Musulmans" de Hassan el Banna. Ce mouvement, appelé FGH, a créé plus d'un millier d'écoles et autant de centres caritatifs dans le monde. Comme l'Islam salafiste ou wahabi, l'Islam de Gulen a une vision précise et très particulière sur la politique, le fonctionnement du gouvernement, l'éducation, les affaires, la vie publique et privée…, un mode vie visant à remplacer progressivement celui institué par le grand chef Kémal Ataturk.

Notre point de vue est que la mouvance Gulen ou FGH est le prélude à une réinstallation d'une espèce de Califat mondial de l'Islam. Or Gulen Fethullah s'est enfui de Turquie en 1999, de peur d'être arrêté par l'Armée et vit aux Etats-Unis, en Pennsylvanie. Pourtant sa mouvance a réussi à s'infiltrer partout dans les médias et les rouages de l'état turc, notamment dans la police et les services de renseignement, surtout depuis la prise du pouvoir par Erdogan en 2002.

Gulen Fethullah cherche à se venger de l'Armée turque, dernier bastion de la laïcité en Islam, et il a fomenté deux faux complots en 2007 (affaire Ergenekon, société secrète) et récemment en février 2010 (plan Balyoz) au cours desquels des dizaines d'universitaires, et même des présidents d'Université, des centaines d'officiers, la plupart retraités, ont été jetés en prison, sans aucune raison sérieuse. En fait l'AKP et le FGH cherchent à intimider et à transformer l'armée turque en islamisant son encadrement (2).

Gulen Fethullah (3) préconise un Islam de compassion, sans effusion de sang, mais dans lequel on a le droit de mentir. Lors d'une émission à la télévision turque en 1999, il dit "pour servir Allah, toute méthode, toute voie est acceptable, y compris de mentir au peuple" (Soner Cagaptay dans www.ForeignPolicy.com 25/02/2010). Lors d'une interview il nie toute organisation centralisée contrôlant son mouvement, rejette toute forme de terrorisme, préconisant la réconciliation de l'Islam avec les sciences et les technologies.

 

Erdogan exalte le nationalisme turc et islamique

 

Après avoir malmené les Américains en leur refusant son territoire pour mener la campagne contre Saddam Hussein en 2003, en rappelant son ambassadeur à Washington parce que le Congrès a décidé récemment de reconnaître le génocide arménien, depuis l'opération "Plomb durci" à Gaza, Erdogan a intensifié ses attaques contre Israël et les Juifs. Récemment, il a affirmé que la Tombe de Rachel et le Caveau des Patriarches n'ont jamais fait partie du Patrimoine juif, mais musulman, qu'Israël cherchait à s'emparer de la Mosquée d'al Aksa. En Turquie une série télévisée "La Vallée des Loups, la Palestine" calomnie l'armée israélienne et défend les thèses des "frères de Gaza".

Par ailleurs, Erdogan cherche à intimider la Communauté Juive. Lors de l'office du  shabat "Zakhor", des inspecteurs de police sont entrés dans la grande synagogue d'Istanbul "Brit Shalom" demandant aux fidèles leurs papiers d'identité. La plupart des fidèles ne transportant pas leurs documents d'identité, le shabat, les inspecteurs leur ont alors demandé de se présenter le lendemain au service de la municipalité, afin de prouver qu'ils étaient bien résidents d'Istanbul. (4)

En ce qui concerne la minorité kurde très agissante, Erdogan lui a accordé une très large autonomie, espérant calmer "cette plaie ethnique" dans le corps turc.

 

Erdogan veut transformer l'Armée et le pouvoir judiciaire

 

Nous avons vu les vrais-faux complots pour purger l'Armée de ses cadres laïcs, susceptibles de fomenter en effet un coup d'état pour ramener le pays dans le giron du Grand Chef Kémal Ataturk. Avec les nouvelles générations de recrues imprégnées d'Islam, cette menace s'éloigne dans le temps.

Mais en 2008, le pouvoir judiciaire laïc avait entamé sans succès une procédure auprès de la Cour Constitutionnelle qui a failli conduire à la dissolution de l'AKP, considéré comme un parti cherchant à miner la nature laïque de la Turquie. Le Procureur Général Abdurrahman Yalcinkaya avait préparé un acte d'accusations contre le gouvernement d'Erdogan, comme l'autorisation de porter le voile à l'université, ou la limitation d'usage de l'alcool à des "zones rouges" et il avait demandé 5 années d'interdiction de politique pour le 1er ministre Erdogan et le Président Abdallah Gul. Aujourd'hui Erdogan va présenter au Parlement une révision de la Constitution qui réduirait le pouvoir des instances judiciaires qui lui sont hostiles, quitte à devoir passer par un référendum.

 

Malgré de nombreux succès dans ses tentatives d'islamiser le pays, le gouvernement actuel n'est pas au bout de ses peines. Sa cote de popularité a baissé de 47% en 2007 à 29% aujourd'hui.

Il n'est pas à l'abri de manifestations populaires dans les villes du fait de la crise économique et d'un autoritarisme de plus en plus grand.

Amnistiés et de retour au pays, les Kurdes de l'étranger ont accru leurs exigences, provoquant des émeutes locales qui enveniment le climat politique et la coexistence ethnique.
Faisant suite aux arrestations pour complot, l
'armée a nié toute activité illégale et le chef d'état-major, le général Ilker Basbug a averti "notre patience a des limites". Bien qu'un coup d'Etat soit peu probable, la situation reste tendue et incertaine après les différents coups de main de la police et des services secrets.

La nouvelle orientation de la Turquie au Moyen Orient, en direction de l'axe Iran-Syrie-Hezbollah augure mal d'un rapprochement avec l'Europe.

Le dernier bastion de la laïcité en Islam est à la croisée des chemins: soit il bascule d'une manière irréversible dans l'islamisme, avec l'application de la "sharia'h" comme mode vie à l'instar de l'Arabie, ou bien il parvient à se ressaisir dans un sursaut de survie, en essayant de trouver un compromis de tolérance et "de compassion" entre laïcité et islam… Pour beaucoup de commentateurs, les jeux sont faits.



Notes

(1) Ce génocide de 1,5 million d'Arméniens pendant la 1ère Guerre mondiale a été le prélude et le galop d'essai de celui qui a suivi lors du second conflit mondial. Après des rafles systématiques, des convois entiers de charrettes ont convergé de tout l'empire vers la ville d'Alep où l'élimination systématique a eu lieu d'une façon artisanale: égorgement des hommes jetés dans le fleuve et éloignement dans le désert des femmes et des enfants morts de faim et d'épuisement et détruits par les rapaces.

(2) En 2007, selon le pouvoir central, un groupe de généraux et de politiques laïcs auraient créé une société secrète l'Ergenekon, ou "Fils du Loup" en vue d'un coup d'Etat. En février 2010, le plan Balyoz ou "Massue" aurait eu pour but de créer un climat de tension par des attentats contre des mosquées, des lieux publics….

(3) En 2008, Gulen Fethullah a été élu comme le plus grand intellectuel public parmi la centaine proposée dans un sondage par www.ForeignPolicy.com à ses internautes, les adeptes turcs se précipitant tous pour voter en sa faveur.

(4) De même, les autorités turques ont informé les dirigeants de la communauté juive et de toutes les autres minorités, dont la minorité chrétienne, que désormais, il n'y aura plus qu'un seul et unique leader spirituel qui représentera toutes les minorités auprès du pouvoir central. Ce leader serait donc chrétien, puisque que la communauté juive ne compte que 30 000 âmes, en diminution constante.

 

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