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Meral
Aksener, la « Louve » qui veut Battre le Sultan Erdogan
Après
avoir créé le Bon parti en octobre 2017, l’ex-ministre turque de l’Intérieur
semble avoir une chance de s’opposer à Recep Tayyip Erdogan à la présidentielle
de 2019.
Par
Samia MEDAWAR
| OLJ
26/02/2018
Après
avoir créé le Bon parti en octobre 2017, l’ex-ministre turque de l’Intérieur
semble avoir une chance de s’opposer à Recep Tayyip Erdogan à la présidentielle
de 2019.
On la surnomme « Asena », du nom de la louve de la mythologie
turque qui, selon la légende, donne naissance aux premiers Turcs. La
comparaison entre Meral Aksener et cet animal particulièrement admiré des Turcs
n’est pas fortuite. Son courage face à ses adversaires est bien connu. Quand
l’armée organise un énième coup d’État en 1997, Meral Aksener est ministre de
l’Intérieur. Elle tient tête aux généraux et refuse de se laisser intimider.
Même quand l’un d’entre eux menace de l’empaler sur un pieu. Elle balaie alors
la menace d’un revers de main. Une autre explication, bien moins reluisante,
est à l’origine de son surnom : son appartenance au Parti d’action
nationaliste (MHP), qui entretient des relations très étroites avec les Loups gris,
une formation armée ultranationaliste et d’extrême droite. Comme de nombreux
membres du MHP, Meral Aksener fait souvent le signe de ralliement du groupe,
l’index et l’auriculaire pointés vers le haut, et les autres doigts unis en
triangle, comme pour former une tête de loup.
Mais cette musulmane pratiquante se défend de tout racisme, et n’apprécie pas
particulièrement les comparaisons récurrentes avec Marine Le Pen. Elle préfère
se dire centriste, comme Emmanuel Macron, dont elle apprécie la volonté d’aller
vers les autres, d’être à l’écoute du peuple. « Meral Aksener tente de
défier la politique populiste d’Erdogan avec une alternative centriste, alors
que Le Pen représente une alternative populiste à la politique centriste en
France. Elle tente de modérer un mouvement nationaliste en le déplaçant vers le
centre, une stratégie qui pourrait renforcer la politique centriste en
Turquie », avance Aykan Erdemir, chercheur à la Fondation pour la défense
des démocraties et ancien membre du Parlement turc, qui l’a bien connue.
Cette historienne de formation se dit capable de rassembler les Turcs. Pour ce
faire, elle crée son propre parti le 25 octobre 2017. Iyi Parti, ou le Bon
parti, qui se veut nationaliste et laïc, a été créé avec des dissidents du MHP,
déçus de la voie prise par Recep Tayyip Erdogan, dont la dérive autoritaire est
de plus en plus contestée. « Mais elle a trop tardé », estime
Abdullah Bozkurt, ancien rédacteur en chef de la version en anglais du
quotidien Zaman, président du Stockholm Center for Freedom et auteur de Turkey
Interrupted.
Quand elle se décide à se lancer en politique en 1994, elle a 40 ans et manque
d’expérience. Elle monte très vite en grade, cependant, jusqu’à devenir
ministre de l’Intérieur en novembre 1996. À l’époque, elle est l’une des rares
femmes à avoir un poste élevé en politique, avec Tansu Ciller, Première
ministre de 1993 à 1996. À l’époque, les temps sont agités, et elle finit par
perdre son poste. Les dix années qui suivent, elle reste au Parlement. Début
2001, elle flirte brièvement avec l’AKP, mais finit par intégrer le MHP en
2007, devenant conseillère du chef du parti, Devlet Bahçeli. Devenue
vice-présidente du Parlement, elle devient si populaire que Bahçeli en prend
ombrage. « Elle a toujours été équilibrée et accessible. Elle a de très
fortes compétences humaines. Contrairement à Erdogan, qui a un tempérament
colérique, Aksener a une capacité unique à désamorcer les tensions par
l’humour », raconte M. Erdemir, qui l’a côtoyée de près malgré leurs
différences politiques.
Popularité croissante
Sa popularité seule ne suffit pas
expliquer la fissure au sein du parti, tient à souligner Abdullah Bozkurt, pour
lequel les liens unissant Bahçeli et Erdogan lui ont attiré les foudres
d’Aksener et de nombreux membres du parti. Le chef du MHP finit par réussir à
la marginaliser, au point de lui faire quitter le parti en 2016. Elle serait
partie en entraînant 70 % des membres du parti, d’après le journal Le
Monde. Elle s’oppose avec virulence au référendum d’avril 2017 sur une
présidentialisation des pouvoirs. Sa popularité croissante est révélatrice des
divisions du pays. Mais elle représente une menace pour le président Erdogan,
qui multiplie les mesures de dissuasion : fermetures de locaux réservés à
l’usage de meetings, coupures d’électricité, barrages policiers dissuasifs
avant les réunions, menaces… Meral Aksener ne se laisse pas intimider.
Jusque-là, pourtant, la « dame de fer », comme la surnomment
certains, s’entendait plutôt bien avec le chef de l’État, qui est même témoin
au mariage de son fils unique en 2015. « Ironiquement, Erdogan a contribué
à la popularité croissante d’Aksener », qui émerge renforcée de sa lutte
contre le président turc, qui a de bonnes raisons de s’inquiéter, s’amuse Aykan
Erdemir. Quand elle finit par créer le Bon parti, les observateurs n’hésitent
pas à affirmer qu’elle semble bien partie pour s’opposer au
« sultan » en novembre 2019, à l’occasion de la prochaine
présidentielle. Elle a les qualités d’un « candidat fourre-tout qui peut
recevoir des votes à la fois de la droite et de la gauche du spectre politique
turc », estime M. Erdemir. Pour ce faire, elle a besoin d’amasser le
nombre de signatures nécessaire. Et même si elle y arrive, « elle aurait
plusieurs défis majeurs, avance Abdullah Bozkurt, comme convaincre un maximum
d’électeurs, surtout au cœur du pays ». Le président Erdogan contrôle en
outre la commission électorale, composée notamment de juges de la Cour suprême.
« Lors du référendum sur la réforme constitutionnelle d’avril 2017, de
nombreuses urnes non scellées ont été acceptées par la commission, ce qui viole
la loi », rappelle le journaliste, selon lequel il est fort probable que
le même scénario se répète. Et un troisième défi, avance-t-il, serait de
collecter assez de fonds pour faire campagne, ce qui serait difficile étant
donné que la plupart des donateurs sont acquis aux partis traditionnels,
surtout l’AKP d’Erdogan.
D’ici là, rien n’est sûr pour celle qui se dit ouvertement candidate pour 2019.
Sa proximité avec les Loups gris fait peur, malgré ses discours soigneusement
nuancés. À ses débuts, aussi, l’AKP donnait espoir, avant sa dérive
autoritaire…