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Et si Téhéran Rejetait l'Accord sur le Nucléaire…

 

Par Daniel Pipes
The Washington Times  20 août 2015

Version originale anglaiseIf Tehran Turns Down the Nuclear Deal
Adaptation française: Johan Bourlard

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La question de l'adoption ou du rejet de l'accord de Barack Obama sur l'Iran par les démocrates du Congrès américain est d'une importance capitale et concentre sur elle, à juste titre, une attention de dimension internationale. Mais il y a sur le Plan d'action global conjoint une autre question en jeu actuellement et d'une importance peut-être plus cruciale encore, à savoir celle qui se pose en Iran. Le Guide suprême, Ali Khamenei, l'homme fort du pays, pourrait tout simplement rejeter l'accord enfanté dans la douleur et qu'il a contribué à négocier.

D'une certaine manière, cela n'a pas de sens. Comme l'ont montré quantité d'analyses, l'accord de Vienne est largement favorable à la République islamique d'Iran qui voit ses recherches en matière nucléaire légitimées, son futur programme d'armement nucléaire garanti, son économie soutenue et ses objectifs offensifs à l'échelle internationale encouragés. Au vu de tous ces avantages, on pourrait considérer comme absurde le fait que Khamenei n'accepte pas un accord qui réjouit en outre la plupart des Iraniens.

Mais un rejet peut avoir du sens si on délaisse ces avantages immédiats pour considérer les dangers futurs qui planent sur la viabilité du régime iranien. Les dirigeants du gouvernement fanatique et brutal comme Khamenei placent invariablement en tête de leurs priorités la pureté idéologique et le pouvoir personnel. Et sur ce point, Khamenei ne fait pas exception. Vu sous cet angle – celui de l'impact sur la pérennité du régime – l'accord présente deux problèmes.

D'une part, il trahit la conception de l'ayatollah Khomeiny d'une hostilité inflexible à l'égard des États-Unis, un principe clé qui guide la République islamique depuis sa fondation par Khomeiny en 1979. Un nombre substantiel de dirigeants iraniens, dont Khamenei fait partie, reste fidèle à une vision pure et dure selon laquelle tout type de relations avec les États-Unis est inacceptable et confine à la traîtrise. C'est pour cette raison que Téhéran est depuis longtemps la seule capitale au monde à ne pas chercher à améliorer ses relations avec Washington. Ces partisans du rejet méprisent les avantages d'un accord qu'ils refusent pour une question de principe.

Leur position n'est pas un cas unique, loin s'en faut. De la même manière, les Palestiniens partisans du rejet s'opposent à tout traité avec Israël, quels que soient les bénéfices qu'ils pourraient en tirer, car ils ne veulent pas traiter avec l'ennemi (Pensons aux Accords d'Oslo de 1993 qui leur donnaient des terres, de l'argent, la légitimité et des armes). Les principes passent avant les considérations pratiques.

D'autre part, les opposants iraniens au Plan d'action global conjoint s'inquiètent de l'érosion des valeurs islamistes de la révolution khomeyniste. Ils craignent que les hommes d'affaires, les touristes, les étudiants, les artistes et d'autres viennent fondre sur un Iran qui ouvre à peine ses portes pour ensuite détourner la population locale du chemin étroit de la résistance et du martyre au profit du consumérisme, de l'individualisme, du féminisme et du multiculturalisme. Ils méprisent et redoutent à la fois tout ce qui vient d'Amérique : les vêtements, la musique, les vidéos et l'éducation. Khamenei lui-même déclare que le gouvernement américain cherche un moyen de « pénétrer dans le pays ». De leur point de vue, l'isolement et la pauvreté ont leurs vertus et permettent de maintenir vivante la révolution iranienne.

Bref, l'accord fait véritablement débat en Iran. Il met en opposition d'une part, ceux qui argumentent en faveur des avantages à court terme qu'il procure et d'autre part, ceux qui craignent pour les dangers à long terme qu'il recèle. Khamenei est mis devant un choix difficile.

 

En Occident, les opposants à l'accord se réjouiront sans aucun doute si Khamenei venait à le rejeter. Mais cette éventualité présenterait pour eux aussi un problème. Après avoir affirmé qu'Obama a bradé les négociations, ils seront bien embarrassés de voir que les dirigeants iraniens ont décliné l'offre. Si Obama finit par apparaître comme un défenseur de la ligne dure qui a protégé les intérêts américains et a surenchéri sur les marchands de bazar, leur argumentation s'effondrera. L'accusation que porte Obama à leur encontre de « faire cause commune » avec les partisans iraniens du rejet se révélera alors convaincante et terriblement accablante. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui n'est pas en odeur de sainteté auprès d'Obama, risque particulièrement d'être déconsidéré et traité comme un insensé.

Pour éviter un tel sort, les opposants à l'accord doivent dès à présent se préparer à l'éventualité d'un « non » de la part de l'Iran.

Ce qui signifie qu'ils doivent prendre certaines résolutions : devancer Khamenei en prévoyant et même en prédisant qu'il rejettera l'accord. Expliquer (comme je l'ai fait ici) que ses raisons n'ont rien à voir avec le contenu de l'accord mais ont tout à voir avec le maintien de la pureté idéologique et de l'esprit de la révolution. Se familiariser non seulement avec les termes de l'accord mais aussi avec leurs implications sur la scène intérieure iranienne. Affiner l'argumentation anti-Obama (comme par exemple : il s'est fourvoyé en pensant qu'il avait face à lui un partenaire de négociations qui, en fait, n'existait pas). Élaborer à l'égard de Téhéran une politique détaillée consistant à restaurer les sanctions économiques et à en imposer d'autres. Trouver des alliés sur le plan international qui aideront à l'application de ces nouvelles sanctions. Préparer l'opinion publique à l'éventualité d'une destruction des infrastructures nucléaires iraniennes.

Le rejet de l'accord de Vienne par Khamenei serait une grande nouvelle pour tout le monde et particulièrement pour les opposants à l'accord. Mais il importe que ces derniers se préparent de toute urgence à une telle éventualité.