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NON A CEUX QUI REGNENT PAR LA TERREUR SUR LA PENSEE MUSULMANE !

 

Par Antoine Sfeir [Directeur de la rédaction des Cahiers de l'Orient, auteur avec Nicole Bacharan de Américains-Arabes : l'affrontement (Seuil). Publiera en octobre Vers l'Orient compliqué (Grasset)].

Le Figaro du 19 septembre 2006

 

Les réactions quasi unanimes aux déclarations du Pape Benoît XVI concernant l'islam posent plusieurs questions et appellent autant de réponses. Serait-il interdit désormais d'avoir un apport critique vis-à-vis des religions ? Durant des siècles, intellectuels et théologiens ont engagé le fer avec les tenants du dogme. Teilhard de Chardin hier et Drewermann ou Hans Küng aujourd'hui connaissent de sérieux ennuis avec leurs hiérarchies respectives. On se souvient des débats qui secouent encore les communautés juives partout dans le monde. Cela serait-il interdit en islam ? À moins que l'on considère qu'il est interdit de parler de l'islam si l'on n'est pas musulman ! Le débat intellectuel et théologique serait-il définitivement tabou ?

 

Qu'a dit le Pape ? Pour appuyer ses propos concernant les rapports de la religion et de la raison et pour rejeter définitivement l'instrumentalisation de Dieu dans le recours à la violence, il a cité un dialogue notoire entre Manuel II Paléologue et un érudit d'Ispahan, dialogue qui interrogeait les croyants sur les rapports du Prophète de l'islam à la violence. A-t-il dit quelque chose d'erroné ? A-t-il proféré une idée blasphématoire ?

 

Revenons sur l'histoire. Entre 610 et 622, la prédication du prophète Mahomet s'articule autour des relations de l'homme avec son créateur. Cette période s'inscrit dans la droite ligne des écritures du monothéisme. Bien plus, elle les parachève en éliminant toute médiation entre l'homme et le divin. «Il n'y a pas de contraintes en religion», martèle alors le Prophète de l'islam. «Je vous ai créé plusieurs nations pour que vous puissiez vous parler», ajoute-t-il.

A partir de 622, la prédication change de nature. À Médine, elle s'articule désormais autour des relations de l'homme avec les autres hommes : l'islam devient englobant et confond désormais le sacré et le temporel. Devenu religion englobante, l'islam s'empare à la fois de la sphère privée et de l'espace public.

 

Mahomet, organisateur de la communauté médinoise, se doit d'édicter des règles administratives, sociales, économiques et politiques. Il fait la guerre à ceux qui ont refusé le message divin, ces Mecquois qui l'ont chassé de la ville sainte. Il guerroie contre les tribus, les clans réticents à son autorité ou contre les juifs de Médine. Les versets de cette période sont dans leur essence différents de ceux de La Mecque : «O croyants, ne prenez pas pour amis les juifs et les chrétiens. Ils sont amis les uns des autres. Celui qui les prendra comme amis finira par leur ressembler et Dieu ne sera point le guide des pervers» (V- 56). Ou encore : «Combattez-les jusqu'à ce que vous n'ayez point à craindre la tentation et que tout culte soit celui du Dieu unique. S'ils mettent un terme à leurs actions, plus d'hostilité. Les hostilités ne seront dirigées que contre les impies» (II, 19).

 

Mais le message reste oral. Ce n'est que vingt ans après la mort du Prophète, en 652, que le groupe d'hommes réunis par le troisième calife Othman, décide d'en faire un livre, le Livre. La parole, désormais écrite, acquiert une double immuabilité, par son caractère à la fois divin et scripturaire.

 

La fièvre qui s'est emparée du monde musulman depuis les années 1970 se réfère de plus en plus exclusivement à cette période médinoise qui, en aucun cas, ne reflète et ne représente la seule face de l'islam. Période démentie dans les faits par sept siècles de présence lumineuse de l'islam en Andalousie, sous réserve de la dhimmitude dans laquelle sont néanmoins restés confinés les gens du Livre.

Mais depuis lors, cet islam semble avoir été occulté, rejetant la raison. Non seulement les voies de l'interprétation se sont tues depuis les temps médiévaux, sonnant le glas de l'âge d'or de l'islam, mais la percée des islamistes au XXe siècle n'est pas sans rappeler les pages sombres de l'inquisition dans l'histoire de l'Église catholique, pages dont on ne retrouve aucune trace dans les textes évangéliques.

 

Ces islamistes se sont proclamés porte-parole de Dieu et disent le licite et l'illicite. Ils n'y ont aucune légitimité : «Seuls ceux qui possèdent le savoir ont le droit d'interpréter», a dit le Prophète. Les islamistes s'en sont abusivement emparés ; ils instaurent la terreur intellectuelle et font le lit du terrorisme barbare de Ben Laden, Zawahiri, et autres «voleurs de Dieu». Tout un chacun prétend vouloir et pouvoir interpréter le Coran et lui faire dire ce qu'il veut.

Le plus tragique est la réaction des bien-pensants ou des ignorants, à moins que ce ne soit celle des hypocrites en France ou en Europe qui, par peur des vagues, trouvent que «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil». Ce n'est certainement pas en associant leur voix aux dénonciateurs du Pape qu'ils vont aider la majorité des musulmans à faire entendre la voix de la sagesse, de la raison, et de la modernité.

 

Comment leur dire que les premières victimes de ce dévoiement de l'islam sont les musulmans, ces musulmans qui dans leur immense majorité appellent à un aggiornamento au sein de l'islam ? Comment leur dire que les propos du Pape appelaient au dialogue et à la raison ? Benoît XVI en sait quelque chose, lui dont l'institution a été, au nom de Dieu, un long chapelet de massacres ?

 

Aujourd'hui, les réactions populaires et officielles à son appel reflètent une hypocrisie indigne. Elles sont, hélas, une fois de plus à l'antipode de la raison.