La paupérisation et l'échec économique du monde arabe inquiètent le FORUM DE DAVOS

 

Par Eric le Boucher - LE MONDE du 23.01.04

 

Les organisateurs, qui s'intéressent depuis longtemps à la région comme une source de "menaces", s'interrogent aujourd'hui sur une "renaissance arabe".

 

Le 11 septembre 2001 a mis les projecteurs sur le monde arabe, considéré depuis comme la source première de l'insécurité mondiale. "Toutes les menaces terroristes existantes viennent de ces pays-là", selon Gareth Evans, président de l'institut belge International Crisis Group. De cette partie inquiétante du monde, il est beaucoup question dans la station suisse de Davos, où se tient actuellement le Forum économique mondial. L'insécurité gêne le business. Quand le monde arabe changera-t-il pour cesser d'être "la" grande menace ?

Les organisateurs du Forum s'intéressent depuis longtemps à la région et, notamment, au conflit entre Israéliens et Palestiniens. Yasser Arafat a souvent été un invité de marque de Davos. Amr Moussa, président de la Ligue arabe, est un intervenant régulier. Mais cette année, les interrogations ont changé de nature. De politiques, elles sont devenues économiques, avec cette conviction que le manque de développement de la région est pour beaucoup dans la déception des populations, dans leur attirance pour le fondamentalisme musulman, dans le basculement de certains dans le terrorisme.

 

L'échec économique du monde arabe est désormais peu contesté, après les rapports du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) ou du Forum économique mondial. Malgré le pétrole, les pays arabes n'ont connu, en moyenne, qu'une croissance faible, parfois inférieure à leur fort accroissement démographique. Avec pour résultat une baisse du revenu par tête, dont l'Arabie saoudite est le triste exemple. La paupérisation provoque, d'Alger à Riyad, un chômage de masse qui touche surtout les jeunes.

 

Une sorte de réveil

 

Que faire ? Réunis à Davos, jeudi 22 janvier, sur le thème d'"une renaissance arabe", des hommes d'affaires et des responsables ont tenu un discours tranché.

"Nous devons nous en prendre à nous-mêmes. Nous ne savons pas gérer nos affaires. Nous nous complaisons à nous présenter comme victimes", a déclaré Mohammed Alabbar, patron immobilier émirati.

Le discours officiel habituel du "C'est la faute à Israël et-ou aux Américains" est rejeté. "L'année 2002 a provoqué une sorte de réveil, commente Chafik Gabr, homme d'affaires égyptien. Nous avons compris que notre manque de développement venait, tout simplement, de notre compétitivité défaillante et pas d'autre chose." Dans la grande compétition mondiale entre l'Amérique, l'Europe, l'Asie, la région du Moyen Orient n'a pas su trouver sa place et valoriser ses "avantages comparatifs".

Le Bahreini cheikh Salman Ben Hamad Al-Khalifa confirme: "Nous avons encore des barrières insurmontables à la circulation des marchandises, des hommes et des idées. Le marché commun arabe n'existe pas."

 Bassem Awadallah, ministre jordanien du plan et de la coopération internationale, renchérit : "Quelle liberté économique avons-nous installée ? Quelle réforme de l'éducation ? Qu'a fait la société civile pour les femmes ?"

L'intervention américaine en Irak vient-elle au secours du changement ou, au contraire, l'inhibe-t-elle ? Le débat ne semble pas tranché entre ceux qui comptent sur "la pression" internationale et ceux qui estiment que les vraies réformes viendront de l'exaspération croissante des populations devant l'impéritie de leurs gouvernements.

"Les hommes politiques ont de bonnes intentions. Mais ils ne savent pas quoi faire", plaide pour eux Mohammed Allabar. Pourtant, "les faiblesses sont connues et les solutions aussi". Et de réclamer l'établissement de l'Etat de droit, un engagement véritable contre la corruption et la réforme du secteur public.

Le cheikh Al-Khalifa dresse sa liste des urgences : "Libérer les marchés, installer l'Etat de droit, rétablir la justice." D'autres insistent sur l'éducation, domaine où l'échec est encore plus patent qu'ailleurs, surtout en comparaison avec les pays asiatiques ou ex-communistes.

Une renaissance ? Beaucoup de gouvernements repoussent les idées réformatrices et, face au chômage, rêvent encore de protectionnisme. Les classes politiques arabes demeurent "traditionnelles", regrette Gamal Moubarak, du Parti national démocratique au pouvoir en Egypte. Le blocage principal est là.

 

L'enjeu, lui, est annoncé : pour absorber les jeunes classes d'âge qui vont arriver sur le marché du travail dans les prochaines années, la région devra créer 6 millions d'emplois par an pendant quinze ans. Il faudra, pour ce faire, qu'elle obtienne une croissance moyenne de 4 % l'an. Une performance jamais atteinte dans le passé. Ces perspectives et cette urgence n'ont pas rassuré les businessmen américains et européens de Davos.