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INTERVIEW DE BERNARD LEWIS

démocratie, moyen orient, irak, Israël, Palestine, ONU, dictatures  

Par Fiamma Nirenstein, journaliste.

Article paru dans le Jerusalem Post International Edition du 26 mars 2004

Traduit par Albert Soued, écrivain, www.chez.com/soued

 

Bernard Lewis est un éminent professeur à Princeton University, reconnu sur le plan international comme l'expert de l'histoire du Moyen Orient et auteur de très nombreux ouvrages sur la région et sur l'Islam comme la "Crise de l'Islam" et plus récemment "De Babel à Dragomans, interpréter le Moyen Orient". Lors d'une récente visite ce mois-ci en Israël Il a donné l'interview suivante recueillie par Mme. F Nirenstein.

 

Êtes-vous en faveur d'élections immédiates en Irak?

Je ne voudrais pas qu'on répète ce qui est arrivé en Algérie, où des élections ont débouché sur des massacres. On doit avancer prudemment. Les élections doivent stabiliser un pays et non pas le détruire. Autrement des dictatures comme l'Iran pourraient en prendre le prétexte pour déconsidérer toute démocratie et faire en sorte qu'elle ne puisse s'enraciner dans aucun pays du Moyen Orient. Il ne faut pas perdre de vue que les groupes terroristes trouvent des appuis financiers et logistiques en Iran.

 

L'Amérique peut-elle affronter d'autres états directement responsables de terrorisme?

Je ne pense que d'autres guerres soient nécessaires. Si l'opposition n'est pas éliminée en Iran, ce pays est à la veille d'une révolution démocratique. Quant aux autres pays qui financent la terreur, je prévois la chute de régimes minoritaires et corrompus qui persécutent et appauvrissent leurs citoyens, à plus ou moins brève échéance.

 

Croyez-vous que la démocratie prévaudra en dépit de tout?

Le dictateur minoritaire Baa'thiste, Saddam Hussein a été nourri d'abord par le nazisme, ensuite par le communisme, deux idéologies totalitaires européennes. S'il y a un risque de ne pas parvenir à éliminer ces dictatures moyen-orientales fragiles, cela serait alors dû plutôt à l'histoire des rapports entre l'Islam et l'Occident qu'à des racines musulmanes. En déclin depuis plusieurs siècles, l'Islam a toujours recherché des appuis de circonstance pour contrer son ennemi, la démocratie occidentale. D'abord, il a aidé les pays de l'Axe (fasciste) contre les Alliés (occidentaux), ensuite le communisme contre l'Amérique (capitaliste), avec comme résultat deux désastres. Aujourd'hui il cherche la protection de l'Europe contre les Etats-Unis, qu'il considère comme le principal ennemi (le Grand Satan). Il y a un débat difficile en Europe entre ceux qui accepteraient ce rôle et ceux qui le refusent. Je ne cherche pas à comparer l'Europe à l'Allemagne nazie ou à l'URSS, je parle surtout du soutien que recherche le monde arabe en Europe par différents moyens de pression y compris la terreur.

 

Comment la guerre contre la terreur a-t-elle affecté les terroristes?

La guerre qui a mis en branle tout le Moyen Orient menace le terrorisme, et par conséquent, elle contribue à stimuler les défenses des terroristes. Aujourd'hui l'Irak pourrait devenir une démocratie au milieu du Moyen Orient. Les médias parlent tous les jours d'attaques terroristes, mais en réalité le pays est en pleine effervescence constructive, de nouveaux journaux, de nouvelles institutions locales, une nouvelle police, une nouvelle armée….La situation est bien meilleure qu'elle ne l'était sous Saddam Hussein. Il faut avancer calmement et avec prudence, et ne pas précipiter des élections qui nécessitent des listes électorales et des structures qui restent à définir.

 

Quelle sera l'incidence du tribunal de la Haye sur le processus de paix au Moyen Orient?

La saisie du tribunal de la Haye est une absurdité, cela tombe sous le sens. Tout le monde sait qu'il ne s'agit pas d'une question légale, mais politique, et qui ne peut être résolue que lorsque les parties auront décidé de le faire, sur le plan politique… Le monde a toujours été harcelé par des questions de frontière, ne serait-ce que l'Alsace-Lorraine, territoire dont les limites ont demandé plusieurs siècles avant d'être définies. L'Onu aurait pu poser la question de manière légaliste (et non légale), mais ce n'est pas le cas ici. Mon impression est que l'organisation internationale a pris le parti des Palestiniens et de ce fait, on ne sait pas si le débat concerne les frontières d'Israël, le comportement de ce pays ou de son existence-même.

 

Est-ce qu'Israël viole la loi internationale en construisant une clôture de sécurité?

Le seul accord d'armistice qui traite des frontières est celui qui a été signé à Rhodes le 6 janvier 1949. Le 2ème alinéa de l'article 5 dit que les lignes de cessez-le-feu ne doivent pas être interprétées comme des frontières politiques ou territoriales et que leur tracé ne préjuge pas des droits des parties eu égard au règlement définitif du conflit en Palestine.

Toutes les résolutions suivantes de l'Onu sont construites à partir de ce texte et sont suspendues à une structure politique non encore établie.

 

Et si la clôture suivait la Ligne Verte?

Cela ne changerait rien au problème. On a offert des frontières aux Palestiniens à plusieurs reprises. En 1936, par la Commission Peel, en 1947 par l'Onu, plusieurs fois par Israël, la plus récente étant l'offre d'Ehoud Baraq à Arafat à Camp David en 2000, avec les bons soins de Bill Clinton. Les événements et l'histoire nous montrent que la politique palestinienne est basée sur un refus implicite de l'existence d'un état d'Israël. Et je ne crois pas que cette position politique change cette fois-ci encore.

Istraël dit qu'il édifie une clôture pour se défendre contre la terreur. Il s'agit d'une position justifiée, car il faut être réaliste, la terreur n'est un phénomène en déclin, pas dans cette région, pas en Irak, pas dans le reste du monde, où on est constamment en état d'alerte.

Il y a deux formes de terreur, mais elles ne sont pas antinomiques, car souvent leurs actions sont conjointes et il ne faut pas avoir d'illusions là dessus. La première forme se drape de grandes idéologies dans le but de protéger une tyrannie qui sévit. La deuxième forme a pour but de soumettre tout l'Occident par la peur qu'elle provoque, et c'est le cas d'al Qaeda.

 

Comment jugez-vous le passage de l'Onu de créatrice de l'état d'Israël à accusatrice?

Regardons les faits. D'abord la rhétorique palestinienne n'a pas changé d'un iota depuis 1947. Elle persiste à rejeter toute existence d'une nation considérée comme un ennemi, un corps étranger au Moyen Orient. Ses écoles, ses médias enseignent et propagent ces incitations à la haine.

Maintenant considérons un autre problème où l'Onu est impliquée: les réfugiés. En exigeant le droit au retour des réfugiés dans l'état d'Israël, les Palestiniens cherchent à éliminer tout état juif. Et l'attitude de l'Onu n'a jamais démontré que cette organisation était d'une opinion différente de celle des

Palestiniens. L'histoire est limpide sur ce sujet. Au 20ème siècle, des millions de réfugiés ont été déplacés à cause de conflits locaux. La plus importante migration a eu lieu entre l'Inde et le Pakistan en 1947 et portait à l'époque sur plus de 7 millions d'individus. En 1945 des dizaines de millions de personnes se sont déplacées entre la Pologne et l'Allemagne orientale, et toutes ont été recasées. Dans le conflit lié au partage de la Palestine, l'Onu a créé pour 725 000 (1) arabes déplacés un organisme permanent qui, par son existence, empêche de recaser les réfugiés palestiniens, l'UNRWA.  En 1929, des Juifs ont été tués à Hébron et d'autres ont fui la région; en 1948, à Jérusalem, des Juifs ont été tués et d'autres obligés de s'enfuir: avez-vous jamais entendu parler de réfugiés juifs protégés par l'Onu? De même qu'en est-il des 800 000 réfugiés juifs des pays arabes? L'Onu ne s'en est jamais préoccupée (2).

Je voudrais apporter une précision. Quand le 17 décembre 1947, la Ligue Arabe a rejeté la résolution du Conseil de Sécurité de l'Onu partageant la Palestine, cette même Onu n'a jamais émis la moindre objection devant la dénonciation d'un texte légal qu'elle venait de produire. L'Onu n'a pas dit un mot quand les pays arabes ont interdit l'entrée de leur territoire aux Juifs du monde entier et aux Israéliens, punissant de ce fait les pèlerins musulmans d'Israël souhaitant se rendre à la Mecque. L'Onu n'a pas réagi non plus quand en 1954 la Jordanie a offert la citoyenneté jordanienne à tous les habitants de Palestine, sauf les Juifs….etc

 

Notes de la traduction

(1)   d'autres estimations donnent 650 000 réfugiés

(2)   d'autres estimations donnent 900 000 réfugiés

 

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