www.nuitdorient.com

accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site

LA VALEUR DES PLANS DE PAIX? DU PAPIER

 

Par Charles Krauthammer

Jewish World Review  18 mai 2007, texte repris par le Jerusalem Post du 24/5/07

http://jewishworldreview.com/cols/krauthammer051807.php3

Adaptation française de Sentinelle 5767, revue par www.nuitdorient.com

 

Il n’y a pratiquement jamais eu de plan de paix au Moyen-Orient au cours des 40 années passées – y compris la version saoudienne actuelle – qui n’exigeât pas un retour au statu quo du 4 juin 1967. Pourquoi cette date est-elle si sacrée ? Parce que c’était le jour qui précédait le déclenchement de la Guerre des Six Jours, au cours de laquelle Israël a remporté l’une des plus stupéfiantes victoires du 20ème siècle. Les Arabes ont passé quatre décennies à tenter d’annuler les conséquences de cette victoire.

 

En fait, le véritable anniversaire devrait se situer aujourd'hui, soit 3 semaines plus tôt. Le 16 mai 1967, le président égyptien, Gamal Abdel Nasser, donna l’ordre d’évacuer la péninsule du Sinaï à la force d’interposition de l’ONU qui avait maintenu la paix entre Israël et l’Egypte pendant 10 ans. Les Nations Unies s'y plièrent, à partir de quoi Nasser imposa un blocus du seul débouché naval d’Israël par le sud, le port d’Eilat – un acte de guerre délibéré.

 

Comment l’Egypte en vint à cette provocation téméraire, c’est une histoire bien compliquée (1) faite d’un dessein agressif, mêlé d’erreurs de communication et, plus fatale encore, de désinformation. L’Union Soviétique avait raconté de façon pressante et fausse à ses clients du Moyen-Orient, la Syrie et l’Egypte, qu'Israël massait des troupes sur la frontière syrienne pour l’attaquer. Israël essaya désespérément de neutraliser cette accusation, en invitant à trois reprises l’ambassadeur soviétique en Israël à visiter le front. Il refusa. Les avertissements soviétiques conduisirent à une cascade de manœuvres chez les Arabes, qui à leur tour conduisirent Nasser, le champion du panarabisme, à une confrontation mortelle avec Israël, dans un Sinaï remilitarisé et un blocus du Sud.

 

Pourquoi ceci est-il important encore aujourd'hui ? Parce que cette période de trois semaines séparant le 16 mai du 5 juin aide à expliquer la réticence d’Israël depuis 40 ans de restituer les fruits de cette guerre – la péninsule du Sinaï, les Hauteurs du Golan, la Rive Occidentale, et Gaza – en échange de garanties de paix en papier. Israël avait des garanties identiques après la guerre de Suez en 1956, après laquelle Israël évacua le Sinaï en échange d’une force d’interposition de l’ONU, et d’assurances des puissances occidentales d’un libre passage à travers le détroit de Tiran.

 

Tout cela disparut d’un revers de main de Nasser. Pendant ces trois semaines interminables, le Président Lyndon Johnson essaya de préparer en toute vitesse une armada de pays pour lever le blocus et assurer l’ouverture au sud d’Israël. Cet effort échoua lamentablement.

Il est difficile de s’exagérer la situation en Israël pendant ces trois semaines. Déjà alliée avec la Syrie, l'Egypte forma un pacte militaire d’urgence avec la Jordanie, l’Irak, l’Algérie, l’Arabie saoudite, le Soudan, la Tunisie, la Libye et le Maroc, qui commencèrent à envoyer des forces pour se joindre à la bataille à venir. Avec des troupes et des blindés massés sur chaque frontière d’Israël, des émissions jubilatoires dans chaque capitale arabe acclamaient la solution finale imminente qui visait à exterminer Israël. "Nous détruirons Israël et ses habitants", proclamait le chef de l’OLP Ahmed Choukheiry, "et pour les survivants – s’il en reste – les bateaux sont prêts à les expulser".

 

Pour Israël, l’attente était insoutenable et démoralisante. L’armée des citoyens d’Israël devait être mobilisée. Alors que ses soldats attendaient sur les divers fronts que le monde secoure la nation dans le péril, la société israélienne s'était figée, et son économie commençait à être saignée à mort. Le chef d’Etat Major Général de l’Armée, Itzhak Rabin, qui devait plus tard être salué comme un héros de la guerre, et plus tard encore, comme un martyr de la paix, eut une dépression nerveuse. Il était arrivé à un point d’incapacité allant jusqu’à l’incohérence, du fait de la tension insupportable de l’attente, avec la survie de son pays en balance, sachant qu’attendre trop longtemps permettrait aux armées de 100 millions d’Arabes de frapper en premier un pays de 3 millions d’habitants.

 

Nous connaissons la suite de l’Histoire. Rabin récupéra à temps pour conduire Israël à la victoire. Mais nous avons oublié l’extrême péril où se trouvait Israël. La victoire a prévalu grâce à une attaque réussie contre les forces aériennes égyptiennes, le matin du 5 juin. C’était un pari osé. Israël envoya le gros des 200 avions de sa force aérienne pour cette mission, totalement exposée à la DCA et aux missiles anti-aériens. S’ils avaient été détectés, et si la force aérienne avait été détruite, le nombre d’avions restant à l’arrière pour défendre le territoire d’Israël – ses villes et ses civils – contre les attaques combinées de 900 avions des forces aériennes arabes était de… 12 !

 

Nous oublions aussi que l’occupation de la Rive Occidentale du Jourdain n’était pas du tout recherchée. Israël supplia le roi Hussein de Jordanie de se tenir en dehors du conflit. Engagé dans un combat féroce contre l’Egypte numériquement supérieure, Israël n’avait aucun désir d’ouvrir un nouveau front à quelques enjambées de la Jérusalem juive, et à quelques kilomètres de Tel Aviv. Mais Nasser téléphona personnellement à Hussein lui racontant que l’Egypte avait détruit la force aérienne et les terrains d’aviation d’Israël, et qu’une victoire totale était à portée de main. Hussein ne put pas résister à la tentation de se joindre à la bataille. Il s’y joignit. Il perdit.

 

Le monde sera bientôt inondé de rétrospectives du 40ème anniversaire de la guerre – et d’exégèses sur les ères de paix qui nous attendent, si Israël voulait seulement en revenir aux lignes du 4 juin 1967. Mais les Israéliens sont prudents. Ils se souviennent de la terreur de ce 4 juin, et de ce mois de mai insupportable quand, alors qu'Israël n’était pas en possession du moindre territoire palestinien, la totalité du monde arabe préparait furieusement l’extinction imminente d’Israël. Et le monde restait de bois.

 

Note

(1) rapportée au jour le jour dans l'histoire magistrale "Six Days of War", 6 Jours de guerre,  de Michael Oren