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LES EFFETS DE LA SECOUSSE

 

 

Par Thomas L Friedman, journaliste

Article paru dans le New York Times du 6 Août 2003

Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued

 

Peu après que les 25 membres du Conseil de Gouvernement provisoire aient été nommés en Irak, le chef de la Ligue arabe, Amr Moussa mit en doute la légitimité de cette initiative des Américains. "Si ce Conseil avait été élu, il aurait eu un pouvoir et une crédibilité plus grande" dit-il en se plaignant.

 

J'adore cette déclaration! D'abord parce qu'elle est une image osée, fougueuse, impudique de l'hypocrisie au niveau international. Mr Moussa préside une Ligue arabe où aucun des 22 états membres n'a un dirigeant librement élu dans des élections représentatives. De plus, avant la guerre d'Irak, Mr Moussa a fait tout ce qu'il pouvait pour protéger Saddam Hussein d'une attaque, malgré que cet homme n'ait jamais tenu de vraies élections. Mais Mr Moussa se permet de mettre en question un nouveau conseil qui, quoique dans sa forme naissante, est déjà le gouvernement le plus représentatif que l'Irak n'ait jamais eu!

Mais j'adore la tirade de Mr Moussa pour son message révolutionnaire, quoique non intentionnel: "plus de pouvoir et plus de crédibilité" viennent de gouvernements qui sont librement élus. Si seulement c'était la devise de la Ligue arabe! Hélas! Ce n'est pas le cas encore, mais un jour ce le sera peut-être, et ceci m'amène au fond de la question que je voudrais développer ici: quelle a été la réaction des pays arabes à l'intervention en Irak?

Une réponse brève: surprise, dénigrement, peur et des bribes de changement.

 

La surprise vient de la facilité avec laquelle les forces de la coalition ont écrasé le régime de Saddam. Le démenti est normal dans l'absence de tout débat public au sein des élites arabes, car on ne s'interroge pas sur les raisons de cette chute fulgurante de Bagdad et pourquoi le monde arabe a toléré si longtemps un régime aussi terrible. "Le plus frappant c'est qu'il n'y ait pas de questionnement dans le monde arabe; pas de débat sur les armes de destruction massive, pas de débat sur les atrocités subies par le peuple irakien, sur les fosses communes; même en Irak, personne n'a beaucoup d'état d'âme, à l'opposé de ce qu'on a vu en Allemagne après la 2ème  guerre mondiale. Et ceci m'inquiète beaucoup, car on doit tirer profit des erreurs commises, et là je ne vois pas la moindre lueur!" me confia un diplomate arabe.

 

Le dénigrement est étroitement lié aux craintes. Beaucoup de dirigeants et d'intellectuels arabes semblent déchirés entre deux peurs, à propos de l'Irak. La peur que les Etats-Unis parviennent à transformer le pays en une société démocratique et constitutionnelle, ce qui mettrait la pression sur tous les autres régimes arabes pour qu'ils changent aussi. Et la peur que les Etats-Unis échouent et que le pays se désintègre dans la violence ethnique, qui engloutirait tous les pays voisins, et là la guerre civile du Liban apparaîtrait alors comme une plaisanterie. À ce jour, cependant peu de gouvernements ont réussi à sortir de ce cercle vicieux, et la plupart s'y cachent.

Le roi Abdallah de Jordanie a été le plus actif à chercher une issue, poussant sa population conservatrice vers la réforme économique, et il serait sur le point de la mener aussi vers une réforme politique.

Le prince Abdallah d'Arabie a récemment réuni les religieux Sunnites et Shiites pour un dialogue inattendu, dans le but d'atténuer les tensions qui pourraient découler d'un Irak démocratique où la majorité shiite aurait le pouvoir, pour la première fois dans son histoire. Car dans le monde arabe sunnite, on craint qu'un gouvernement démocratiquement élu en Irak dirigé par la shia'h puisse donner des idées aux minorités shiites opprimées qui demanderaient alors plus de pouvoir. Car les shiites sont considérés comme des inférieurs par leurs coreligionnaires sunnites. Imaginez un instant ce qu'auraient ressenti en 1920 les blancs du Sud, si un gouverneur noir était élu au Mississipi, et vous éprouverez alors le sentiment d'inquiétude qui s'empare des Sunnites à l'égard d'un gouvernement dirigé par un Shiite!

 

Alors que l'Arabie Saoudite introduit plus de réformes qu'on ne le pense généralement, c'est souvent un pas en avant, un pas en arrière. L'autre jour justement, un journaliste modéré du nom de Hussein Shobokshi a été mis à la porte à la demande des autorités. Selon l'agence Associated Press, ce journaliste avait écrit récemment un article où il rêvait d'une Arabie avec des femmes votant et conduisant.

L'Egypte a totalement bloqué ses réformes, tandis que la Syrie va de travers, ses dirigeants accroissant leur main mise sur la population et chassant tous les libres penseurs du cabinet Libanais.

 

Aussi longtemps qu'on ne saura pas ce qui va émerger d'Irak, les régimes arabes continueront à dénigrer tout progrès dans la voie de la démocratie. Mais si nous avons dans deux ans un gouvernement élu normalement, ils ne pourront plus ignorer ce changement qui serait celui d'un tremblement de la "magnitude 10". Je pense qu'Abdel Rahman Al Rashid, rédacteur en chef du Journal de Londres, Al Sharq Al Awsat (Moyen Orient) avait raison quand il me disait à propos de l'intervention américaine en Irak "C'est un mélange de l'invasion de l'Egypte par Napoléon et la guerre des 6 Jours de 1967. On a eu le choc de la défaite comme en 1967, mais aussi l'introduction d'une nouvelle manière de penser dans la région, comme au temps de Napoléon. Mais je ne peux prédire comment tout cela va tourner, mais j'ai l'intime conviction que cela sera positif!"

 


 

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