www.nuitdorient.com
accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site
"LA HAIE" D’IGNORANCE
Par Emmanuel Navon, professeur de sciences politiques à l'Université de Bar-Ilan et de relations internationales à l'Université de Tel Aviv, directeur d'un cabinet conseil
Paru le 14/03/04 - à www.upjf.org
Lors des récentes audiences à la Cour internationale de la Haye, les régimes
les plus tyranniques de la planète ont accusé Israël de violer les droits de
l’homme, parce qu’Israël est en train d’ériger une clôture de sécurité pour se
protéger du terrorisme. Parmi les 'accusations', celle de l’Arabie saoudite
était grotesque à plus d’un titre : cette théocratie violente et obscurantiste,
où l’héritier du trône décapite ses opposants et les 'hérétiques', sans autre
forme de procès, est en train de construire un mur à sa frontière sud pour
empêcher l’immigration illégale de Yéménites.
Que l’ONU et ses institutions soient un théâtre de l’absurde n’est pas nouveau
: la Commission des droits de l’homme de l’Assemblée générale était présidée,
jusque récemment, par la Libye, et la Commission du désarmement, par l’Irak.
Mais les audiences de La Haye ont poussé
la mauvaise foi bien au-delà de l’hypocrisie risible: pendant trois jours, les
assassins ont accusé les victimes. Le crime n’est pas de tuer mais de se
protéger des tueurs.
Si construire un obstacle sur sa frontière est un crime, que tous les pays dont
les frontières sont délimitées par une barrière ou un mur soient mis au banc
des accusés. Si les Etats-Unis peuvent construire un mur sur leur frontière-sud
pour empêcher l’entrée de Mexicains en quête de travail, pourquoi Israël ne
peut-il ériger une clôture pour empêcher que les bombes humaines - qui ont déjà
tué plus de neuf-cents innocents - puissent continuer leur massacre ?
La réponse que les opposants à la clôture donnent à cette question est
qu’Israël a effectivement le droit de construire une clôture, mais uniquement
sur la «ligne verte». Cette réponse est erronée.
La «ligne verte» n’a jamais été une frontière. Dans les accords d’armistice,
signés à Rhodes en 1949, entre Israël et quatre de ses cinq agresseurs
(l’Égypte, la Syrie, le Liban et la Jordanie signèrent, mais pas l’Irak), la
ligne de démarcation entre Israël et la Jordanie fut définie comme une ligne
d’armistice temporaire, sur l’insistance de la Jordanie. La Jordanie
occupa et annexa illégalement la rive occidentale du Jourdain, qu’elle
rebaptisa «Cisjordanie». À l’exception de la Grande-Bretagne et du Pakistan, la
communauté internationale ne reconnut pas cette annexion.
Lorsque la Jordanie attaqua Israël, en juin 1967, elle viola les accords
d’armistice et les rendit donc nuls et non avenus. La ligne d’armistice
disparut physiquement et juridiquement. Contrairement à la Jordanie, Israël
s’empara de la rive occidentale du Jourdain dans une guerre d’autodéfense, et
par conséquent sa présence militaire était juridiquement plus légitime que la
présence militaire jordanienne, comme l’expliqua à l’époque le Juge Stephen
Schwebel, ancien Président de la Cour internationale de justice [1].
La résolution 242 du Conseil de Sécurité n’exige pas d’Israël un retrait sur
les lignes d’armistice de 1949, mais un redéploiement sur des frontières
défendables [2], dont le tracé final doit être déterminé dans le cadre de
négociations. La version anglaise de la Résolution 242 est celle qui fait
autorité : la Grande-Bretagne, qui présidait le Conseil de Sécurité en 1967,
rejeta les demandes soviétique et française d’exiger d’Israël un retrait sur
les lignes de cessez-le-feu de 1949. La position du Ministre britannique des
Affaires étrangères, George Brown, et celle du représentant britannique au
Conseil de Sécurité, Lord Caradon, étaient parfaitement claires à ce sujet [3].
La «ligne verte» est donc nulle et non avenue. Cela ne signifie pas qu’Israël soit
exempt d’un retrait militaire en échange d’un accord de paix, mais cela
signifie que le droit international n’exige pas d’Israël d’établir sa frontière
sur cette ancienne et défunte ligne d’armistice. Le droit international ne
définit pas non plus l’ex-Cisjordanie comme territoire palestinien. Depuis le
démembrement de l’Empire ottoman, il n’y a jamais eu d’État souverain et
reconnu sur ce territoire. Le seul document juridique international ayant
reconnu un droit de souveraineté sur l’ex-Cisjordanie est le Mandat de la
Société des Nations de 1922, qui avait attribué ce territoire aux Juifs. Aucun
document juridique international n’a attribué ce territoire aux Arabes de
Palestine. La résolution 181 de l’Assemblée générale de l’ONU (le «Plan de
Partage» de 1947) n’a pas force de loi en droit international (comme le reste
des résolutions de l’Assemblée générale), et devint nulle et non-avenue dès son
rejet par les pays arabes et les Arabes de Palestine.
C’est la raison pour laquelle la quatrième Convention de Genève de 1949,
portant sur les territoires occupés, ne s’applique pas de jure à
l’ex-Cisjordanie : il n’y occupation que lorsqu’un pays souverain, légitime et
reconnu a été expulsé de son territoire. Or l’annexion de la rive occidentale
du Jourdain par la Jordanie n’était ni légitime ni reconnue. Par ailleurs,
l’occupation de la population palestinienne par Israël a pris fin en 1995.
Israël, cependant, a toujours appliqué de facto la Convention de Genève
aux territoires contestés (entre 1967 et 1995 et depuis 2001), et ladite
convention autorise Israël à ériger une clôture d’autodéfense. La Convention de
Genève n’interdit au pays occupant «l’appropriation de propriété» que lorsque
celle-ci n’est «pas justifiée par la nécessité militaire». Par ailleurs, la
Convention reconnaît au pays occupant le droit de «soumettre la population du
territoire occupé à des provisions qui sont essentielles à la garantie de la
sécurité du pays occupant.» Or, se protéger de bombes humaines en érigeant une
clôture de défense est une mesure essentielle à la sécurité d’Israël.
Israël préfère un accord de paix à un divorce sans approbation du conjoint.
Mais ce «conjoint» nous a trop trahis pour que nous puissions nous permettre de
nous leurrer une fois de plus. Nous continuons d’espérer que la bonne foi et la
paix finiront par l’emporter. En attendant, Israël protègera ses citoyens et
aucune nation, aucun individu n’a le droit moral de contester le droit du
peuple juif à se défendre. Il est légitime de critiquer Israël sur les modalités
de cette autodéfense, mais le droit de critiquer n’exempt pas du devoir de
connaître les faits.
Notes de la Rédaction d’upjf.org
[1] Stephen Schwebel, qui, après avoir été conseiller juridique au Département
d’Etat, a présidé la Cour Internationale de Justice de La Haye, écrivait, en
1970, à propos du cas d’Israël : « Dans la mesure où le détenteur précédent du
territoire avait pris possession de ce territoire de manière illégale, le
nouveau détenteur, qui le prend ensuite, en exerçant son droit légal à
l’autodéfense, a, par rapport au détenteur précédent, une plus grande
légitimité. » (Stephen Schwebel, "Le poids de la conquête", American
Journal of International Law, 64 (1970), pp. 345-347. Voir l’article de
référence de Dore Gold "Des
'Territoires occupés' aux 'Territoires disputés'".
[2] Or, la "ligne verte" n’est pas défendable. Lire à ce sujet le
dramatique plaidoyer de l’ex-Premier Ministre défunt, Menahem Begin, face au
Président des Etats-Unis d’alors, Jimmy Carter, tel que le relate Yehuda Avner
: "Le
jour où Jimmy Carter fut réduit au silence".
[3]Se reporter à l’excellente analyse de Gerald Adler "Aspects
historiques et légaux du conflit Juifs-Arabes israélo-palestinien",
dont voici deux extraits :
"Comme le confirma, en 1973, Lord
Caradon, inspirateur du projet de cette Résolution, la Résolution 242 constitue
un tout indissociable : «Le retrait doit se faire dans des frontières qui sont
à la fois reconnues et sûres… Ce n’était pas à nous de définir exactement où
devait se trouver la frontière. Je connais très bien la frontière de 1967. Ce
n’est pas une frontière satisfaisante. C’est celle où les troupes ont dû
s’arrêter, à l’endroit même où elles se trouvaient cette nuit-là. Ce n’est pas
une frontière permanente.»
"De surcroît, la Résolution ne demandait pas à Israël de se retirer de
TOUS les territoires. Les ministres des Affaires Etrangères britanniques
successifs, Michael Stewart, en 1969, puis George Brown, qui formula la
Résolution, confirmèrent devant le Parlement que l’omission du mot «tous» était
délibérée. Le Délégué britannique à l’ONU, Lord Caradon, déclara : «Les
frontières de 1967, en tant que lignes de cessez-le-feu sur le terrain, en
1948, étaient artificielles et insatisfaisantes. Puisque la Résolution exige
que tous les Etats de la région aient le droit d’y vivre en paix, dans des
frontières sûres et reconnues, il en découle que les nouvelles frontières
seront différentes des lignes territoriales en vigueur entre 1948 et 1967.»