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FACE À L'EXTENSION DU THÉÂTRE DE LA GUERRE TERRORISTE
LES LIMITES DU CYNISME BRITANNIQUE
Article d'Antoine Basbous, Directeur de l'Observatoire des pays arabes. Dernier
ouvrage paru: «L'Arabie saoudite en guerre», éd. Perrin,
coll. Tempus 2.
Paru
dans le Figaro du18 juillet 2005
Tout en admirant le sang-froid des Britanniques et en saluant leur courage et leur sens de la dignité dans l'épreuve, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur leur conduite cynique à l'égard des islamistes. En effet, depuis quinze ans, ces derniers ont fait de Londres le «Kaboul de l'Occident». A une différence près : ici c'est «tout confort» par rapport à la pauvre et austère Kaboul : eau courante, électricité, statut de réfugié pour certains, assorti d'aides au logement, de soutien juridique face au gouvernement britannique... Et pour couronner le tout, une liberté d'expression qui n'a d'équivalent dans aucune capitale islamique : de Karachi à Riyad en passant par Téhéran et Damas.
Que Londres perpétue sa tradition de terre d'asile pour les persécutés de la planète, c'est tout à son honneur. Qu'il accueille des islamistes condamnés par des régimes tyranniques ou pourchassés par des gouvernements répressifs et peu respectueux des droits de l'homme, cela peut se justifier. En revanche, transformer Londres en base idéologique du terrorisme islamiste où les directeurs autoproclamés de la «bonne conscience islamique» prêchent publiquement la haine et la guerre sainte tout en appelant les «mécréants» à se convertir à l'islam, c'est injustifiable.
Les Abou Katada, Abou Hamza et autres «Abou» de Londres ont bénéficié d'une liberté indue pour prêcher le djihad et l'intolérance. Ce faisant, ils n'étaient plus dans le cadre de l'expression naturelle de réfugiés politiques respectueux des valeurs du pays qui leur a offert une terre d'asile. En décrétant la guerre sainte et en mobilisant les membres de la «ouma» islamique pour venir en aide à leurs frères sur tous les fronts, ils ont franchi bien des lignes rouges et fait de Londres un sanctuaire idéologique qui leur a permis d'appeler impunément à la haine et à la violence.
Au milieu des années 1990, le GIA algérien publiait à Londres son hebdomadaire Al Ansar et y revendiquait les massacres collectifs de civils algériens tout en appelant au meurtre des Européens, «fils de porcs», qui séjournent dans ce pays. Et quand les attentats de Paris de 1995 mettaient en cause un terroriste présumé, Rachid Ramda, réfugié en Grande-Bretagne, Londres a validé des artifices juridiques et continue, dix ans après, de priver la justice française de l'entendre et, le cas échéant, de l'inculper.
Il est très regrettable que les stars de l'islamisme londonien étaient devenues les interlocuteurs privilégiés des médias. Ce qui en a fait des notables et parfois des «modèles» à imiter, au regard d'une partie de leur communauté.
Le deal présumé, qui consistait à accorder aux islamistes un sanctuaire londonien à condition de ne pas s'en prendre à la Grande-Bretagne, a volé en éclats avec l'apparition de la force destructrice d'al-Qaida. Les alertes successives des attentats anti-américains de Nairobi et de Dar es-Salam, en août 1998, puis du 11 septembre 2001 ont conduit Londres à revoir mollement son dispositif juridique. C'était trop peu, trop tard.
Les prêches enflammés des imams londoniens qui relayaient le discours de Ben Laden et de Zawahiri ont pénétré et endoctriné les cerveaux d'une jeunesse prête à «satisfaire» Allah et à gagner le paradis. Des hommes ont été acquis à la «cause» sacrée. Le passage à l'acte kamikaze n'attendait qu'une opportunité : la rencontre avec le recruteur et l'artificier. Les kamikazes peuvent n'avoir jamais croisé les prédicateurs islamistes de Londres. Néanmoins, ils se sont imprégnés de leur message. Ainsi, le wahhabisme saoudien, dont al-Qaida est le vecteur le plus authentique, aura réalisé sa métastase.
Comment peut-on comprendre que la capitale la plus libérale de l'Europe ait accepté d'abriter les prédicateurs les plus obscurantistes d'une interprétation totalitaire de l'islam, alors qu'aucune capitale arabe, asiatique ou européenne n'ait accepté de partager ce triste privilège ? Cette attitude a été maintenue bien après que la mouvance islamiste a entamé ses frappes contre des objectifs civils en Orient, comme en Occident.
Nous faisons face à une nouvelle génération de terroristes anonymes qui ne laissent transparaître aucun signe extérieur de leur engagement. Demain, d'autres capitales, à l'instar de Londres, Madrid, New York, Istanbul, Riyad ou Casablanca, risquent de trembler devant les «raids bénis» des moudjahidin. Car, loin de reculer, les actes terroristes ont triplé en 2004 par rapport à l'année précédente, faisant plus de 1 900 morts.
Ayons la lucidité et le courage de le reconnaître : la dynamique du terrorisme connaît une trajectoire ascendante. Presque quatre ans se sont écoulés depuis le 11 Septembre. Le monde, loin de réduire ce fléau, s'enfonce dans la crise et est devenu plus dangereux. La partie occidentale de l'Irak, largement contrôlée par Zarqaoui, constitue le nouveau sanctuaire d'un djihad proliférant, après le démantèlement de celui des talibans, qui abritait les bases de Ben Laden en Afghanistan.
Les pays démocratiques doivent se préparer à une longue guerre d'usure, d'intensité variable, qui pourrait occuper toute une génération. Les terroristes tenteront de peser sur les échéances électorales, telle l'attaque du 11 mars 2004, à Madrid, qui a inversé le résultat prévisible des urnes. La préparation des opinions publiques devra aussi tenir compte de l'usage possible d'armes non conventionnelles, fussent-elles primaires ou artisanales. Au cas où les hommes de cette mouvance devaient réussir à se les procurer, ils en feraient usage.
Pour gagner cette guerre, il faudrait surtout y associer les pays arabes et islamiques et les inciter à être plus combatifs, mais surtout plus vertueux dans la gestion de la chose publique. Leurs graves défaillances, doublées d'une corruption légendaire, leur sont justement reprochées par les islamistes qui promettent une gouvernance selon la charia, le jour où ils accéderaient au pouvoir. Assainir et réformer ces pays participent de l'intérêt de leurs peuples et de la paix internationale. Car ils connaissent mieux que quiconque les dirigeants de la mouvance islamiste, leurs méthodes, leur idéologie et ses ressorts. Et surtout, ils doivent désamorcer la doctrine du djihad et du takfir qui transforment les hommes et les femmes en armes de destruction relative, mais imparable.
Faute de quoi, le conflit en cours tournerait à la guerre des religions, ardemment souhaitée par Ben Laden. Lequel rêve de devenir l'unique représentant de plus d'un milliard de musulmans. En stratège habile, al-Qaida continuera à frapper «l'ennemi» là où il ne l'attend pas, à cibler ses populations civiles. Elle n'a aucun intérêt à restreindre le théâtre de la guerre aux pays choisis par les Occidentaux, essentiellement l'Irak et l'Afghanistan. Bien au contraire, elle cherchera à frapper leurs arrières, leurs civils, leur moral et leur économie.