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LES NOUVEAUX TALIBANS
Par Daveed
Gartenstein-Ross & Kyle Dabruzzi
The
Weekly Standard le 29 août 2006
Traduit par Artus
pour www.nuitdorient.com
Quand les
combattants de l'Union radicale des Tribunaux islamiques (ICU) ont saisi la
capitale somalienne, Mogadishu, le 5 juin, les analystes ont tout de suite pensé
que ce pays pourrait devenir un refuge pour les terroristes. Depuis, l'emprise
de l'ICU sur le pays n'a fait que se resserrer. Plus alarmant, après chaque bataille
gagnée, la milice ressemble de plus en plus aux ex-parrains d'Al-Qaeda, les
Talibans. Après avoir arraché le contrôle de Mogadishu du gouvernement provisoire
de la Somalie, les milices de l'ICU ont saisi un certain nombre de villes, tout
au long de la frontière avec l'Ethiopie. Plus important, ces gains sont stratégiques.
L'ICU jouit
maintenant d'une grande flexibilité dans le déplacement de ses milices et de ses
approvisionnements, et elle est sur le point de contrôler la majorité de la Somalie.
En contraste, le gouvernement provisoire est coincé dans la ville somalienne de
Baidoa, dans le centre méridional du pays et apparaît de plus en plus
vulnérable. Le 9 août, le conflit éclata dans Beletuein entre les miliciens
islamiques et les forces loyales à Yusuf Ahmed Hagar, que le gouvernement
transitoire avait nommé comme gouverneur de la région de Hiran. Selon certaines
sources, après le début du combat, "Hagar s'est échappé avec deux pick-up
montés de mitrailleuses lourdes en direction de la frontière éthiopienne".
La ville semble maintenant calme, et fermement dans les mains de l'ICU. La
prise de Beletuein facilite le mouvement et les approvisionnements du sud vers
le nord. Beletuein est également près de Baidoa, isolant de plus en plus le
gouvernement du reste du pays.
Depuis, l'ICU a
fait trois gains stratégiques qui lui donnent accès à l'Océan indien. A la
mi-août, elle a capturé les ports de Harardhere et Eldher, des villes côtières réputées
comme étant des refuges pour les pirates. Et bien que le chef de l'ICU cheikh
Hassan Dahir Aweys le nie, des témoins oculaires ont rapporté que ses forces
ont capturé le port de Hobyo, au centre du littoral de la Somalie. (L'ICU s'est
engagée à écraser la piraterie après avoir capturé ces villes, mais cette revendication
ne peut pas être prise au sérieux, car la milice a intérêt à apparaître comme
une force de stabilité pour empêcher toute intervention étrangère contre son
pouvoir) L'ICU ne contrôle pas seulement le secteur entourant la ville de Baidoa
où le gouvernement provisoire est enfermé, mais ses combattants parlent de
grandes avancées qui donneraient le contrôle de tout le pays à l'ICU. Les
combattants de l'ICU disent qu'ils souhaiteraient élargir l'influence de leur
milice à Galkayo, une ville
Les Américains et
les autres Occidentaux ont du mal à comprendre pourquoi ils devraient
s'inquiéter d'événements survenant à l'autre bout du monde, en Afrique. Une
raison d'inquiétude, c'est que l'expansion de l'ICU peut se transformer en une
guerre entre états.
L'Ethiopie voit
avec appréhension l'ascension de la milice islamique et elle a exprimé sa
solidarité avec le gouvernement provisoire de Somalie. Le ministre éthiopien de
l'information Berhan Hailu a dit: "Nous utiliserons tous les moyens à
notre disposition pour écraser le groupe islamiste s'il tentait d'attaquer
Baidoa". Selon certaines sources, les troupes éthiopiennes sont entrées
en Somalie depuis juillet dernier. Le gouvernement éthiopien a menacé d'utiliser
la force militaire contre l'ICU, et l'ICU a juré d'attaquer les soldats éthiopiens
entrés dans le territoire somalien. A ce jour, il n'y a pas eu de conflit, mais
les deux parties sont clairement prêtes à combattre. Chacune semble attendre
l'autre qu'elle attaque la première. Et il y a même une raison plus pressante qui
devrait inquiéter les Occidentaux quant à l'ascension de l'ICU, la similarité
frappante de cette montée en Somalie avec celle des Talibans en Afghanistan.
Une similarité est que quand l'ICU a pris le pouvoir, les Somaliens l'ont
accueillie comme une force de stabilité. Depuis la chute de président Mohamed
Siad Barre en 1991, des chefs de guerre rivaux ont gouverné la Somalie. Selon
un organisme conseil sur les Relations Extérieures, "les milices des
chefs de guerre étaient notoirement connues pour une violence sans discernement.
Les femmes et les filles étaient souvent violées et les gens ne pouvaient pas
se déplacer dans la ville de crainte d'être tué. Depuis que l'ICU a pris le
contrôle, les experts disent qu'il y a perceptiblement moins de fusils dans les
rues, et les gens se déplacent librement à travers la ville sans craindre
d'être attaqués". Ceci reflète la réaction de la population afghane face
aux Talibans. Comme le journaliste Pakistanais Ahmed Rashid l'a écrit dans son
best seller "Taliban", les Talibans ont gagné parce que la région
méridionale du Pashtun était indisciplinée et la population, épuisée et lasse
de la guerre, a vu en eux des sauveurs et des hommes de paix, voire une force potentielle
pouvant ranimer le pouvoir Pashtun humilié par les Tadjiks et les Ouzbeks. …
Dans les secteurs qu'ils occupaient, ils ont désarmé la population, appliqué la
loi et l'ordre, imposé la stricte Sharia'h et ouvert les routes à la
circulation, avec comme résultat immédiat une baisse des prix des denrées
alimentaires. Ces mesures étaient bien accueillies par une population souffrant
depuis longtemps.
Ce passage décrit
la similarité la plus visible entre l'ICU et les Talibans: les deux milices ont
imposé une version dure de la sharia'h (la loi islamique) dans les secteurs qu'ils
avaient conquis. Sous les Talibans, les femmes n'avaient pas de droits.
L'homosexualité, la conversion en dehors de l'Islam, et le prêche de fois
non-islamiques étaient des crimes capitaux. Et la liste des restrictions ne cessait
d'augmenter. L'analyste du terrorisme, Peter Bergen de CNN a noté dans son
livre "La Guerre Sainte et Cie": "le football, le cerf-volant,
la musique, la télévision, et la présence de femmes dans les écoles et les
bureaux étaient strictement interdits. Certains décrets ressemblaient à des
gags à la Monty-Python, comme la règle interdisant l'usage de sacs en papier, dans
le cas hasardeux où le papier recyclé aurait pu inclure des pages du
Coran".
L'ICU applique une version similairement dure de la
sharia'h partout où elle exerce son pouvoir. Les règlements régissant les
choses les plus insignifiantes, comme le décrit Bergen, sont souvent les signes
les plus révélateurs que la sharia'h est partout appliquée -- et l'ICU a visé
l'insignifiant. En dehors de l'exécution de deux personnes qui ont demandé à
regarder la demi-finale de Coupe Du Monde, l'ICU a arrêté aussi soixante personnes
qui regardaient des vidéos et a sévi contre une noce, sous prétexte qu'il y
avait une animation musicale. Comme les Talibans, l'ICU a commencé à interdire
la possession d'armes par les Somaliens qui ne sont pas affiliés à l'ICU. Alors
que cela a pour but de mettre de l'ordre, il diminue clairement la capacité des
citoyens à résister à la milice islamique.
Mais la
similarité la plus inquiétante entre l'ICU et les Talibans consiste dans les
relations aisées avec al Qaeda. Les Talibans ont été les parrains d'Al-Qaeda
jusqu' au 9/11. Il apparaît qu'il existe
de nombreux liens entre l'ICU et al Qaeda. Dans son livre "à travers les
yeux de nos ennemis", l'ancien chef de l'unité Ben Laden de la CIA,
Michael Scheuer a relaté que Ben Laden a passé beaucoup de temps, dépensé
beaucoup d'argent, et utilisé beaucoup de gens pour s'étendre en Somalie, après avoir été chassé du Soudan et d'Afghanistan.
Et comme le consultant en contre-terrorisme Dan Darling a écrit, un examen attentif
de la direction de l'ICU montre les liens étroits de la milice avec Ben Laden. Son
dirigeant, cheikh Aweys, a été impliqué dans Al-Ittihaad Al-Islamiya, affiliée
d'Al-Qaeda depuis le début. Et son protégé, Aden Hashi ‹ Ayro, a voyagé en
Afghanistan pour recevoir l'entraînement terroriste là-bas, à la veille de l'Opération
"Enduring Freedom".
Un rapport
confidentiel publié en 2002 indique l'existence de dix-sept camps
d'entraînement de terroristes opérationnels en Somalie, ce qui est assez
préoccupant. Bill Roggio a écrit : "L'environnement en Somalie est comparable
à celui d'Afghanistan à l'apogée des Talibans. Les terroristes d'Afghanistan, du
Pakistan, de Tchétchénie, d'Iraq et de la péninsule arabe affluent en Somalie
pour diriger les camps ou recevoir un entraînement. On y entraîne les recrues à
l'usage de systèmes explosifs improvisés (bombe télécommandée au bord des
routes ou IED) et pour faire face aux armes éthiopiennes. De plus, le 23 août,
l'ICU a ouvert un nouveau camp milicien d'entraînement pour les étrangers venant
d'Erythrée, d'Afghanistan, et du Pakistan -- indication encore plus
significative du soutien international dont bénéficie l'ICU".
Le monde n'a pris
conscience de la menace des Talibans qu'après le 9/11. Il est peu probable qu'on
mette autant de temps pour s'apercevoir des menaces de l'ICU. Et il est très probable que dans les prochaines semaines, l'Ethiopie
soit le premier état à prendre des mesures.