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LES TERRORISTES SAVENT NOYER LE POISSON
Par Craig Whitlock
Paru dans The Washington Post
Edition et traduction Courrier
International hebdo n° 900 - 31 janv. 2008
Les auteurs potentiels d’attentats sont de mieux en mieux préparés. Grâce aux forums et à la téléphonie sur Internet, la police a de plus en plus de mal à les repérer.
A l’époque des satellites espions
et des caméras de surveillance, les terroristes potentiels utilisent des trucs
très simples pour masquer leurs communications et compliquent la vie des
autorités, qui espéraient que la technologie leur donnerait l’avantage. En
Europe, les agents et les sympathisants d’Al-Qaida évitent les lieux qu’ils
pensent écoutés ou surveillés, comme les mosquées et les librairies musulmanes,
affirment les spécialistes du contre-terrorisme. Parfois, les suspects quittent
les villes et vont faire du camping ou des expéditions dans la nature pour
discuter sans crainte d’être entendus.
Un homme qui s’est baptisé Oussama Ben London est jugé en Grande-Bretagne avec
quatre autres personnes pour avoir dirigé des camps d’entraînement parfois camouflés
en stages de paintball dans des endroits reculés. Ces camps avaient reçu, entre
autres, les quatre hommes qui ont tenté de faire exploser des bombes dans les
transports londoniens le 21 juillet 2005. En Allemagne, trois extrémistes
islamistes soupçonnés de planifier des attentats à la bombe sur des cibles
américaines ont été arrêtés en septembre dans le petit village d’Oberschledorn.
Selon les enquêteurs, les suspects avaient loué une maison de vacances où ils
pouvaient entreposer des matériaux pour fabriquer des explosifs.
Les cibles savent qu’elles sont surveillées
Dans l’ensemble, les cellules terroristes du monde entier sont devenues bien
plus habiles à éviter la détection, déclarent les responsables du
contre-terrorisme et les analystes européens. Par exemple, les terroristes
utilisent Skype et d’autres services téléphoniques sur Internet qui sont
difficiles à mettre sur écoutes. Ils développent parfois une véritable
créativité. Ceux qui ont voulu commettre des attentats à Londres ont utilisé
les forums de sites pornographiques pour communiquer et pour semer les
enquêteurs. Les terroristes présumés “sont assurément plus prudents”,
affirme Armando Spataro, le procureur adjoint de Milan. “Ils savent que nous
intercepterons leurs communications et que nous surveillerons les appels passés
et reçus sur leur mobile”.
La police milanaise a annoncé, en
novembre 2007, le démantèlement d’un réseau qui recrutait des kamikazes pour
l’Irak et l’Afghanistan. Après des écoutes réalisées par la police italienne,
l’enquête s’est terminée par l’arrestation de vingt suspects en Italie, au
Royaume-Uni, en France et au Portugal. Il a fallu quatre ans pour boucler le
dossier, en partie parce que les cibles partaient du principe qu’elles étaient
surveillées et écoutées. Les transcriptions des écoutes et autres documents du
dossier montrent que les membres de cette cellule composée d’immigrés
nord-africains s’efforçaient de se fondre dans la société italienne. Ils
avaient des emplois normaux, envoyaient leurs enfants à l’école publique et
prenaient soin de ne pas paraître trop religieux. Quand ils parlaient au
téléphone, ils s’exprimaient souvent de façon détournée. “Vous devez
comprendre qu’il y a des choses à propos desquelles tout le monde doit être
prudent”, avait ainsi expliqué Sabri Dridi, 37 ans, l’un des responsables
présumés du réseau milanais, à l’un de ses coaccusés lors d’une conversation
téléphonique qu’il pensait enregistrée par la police, à juste titre. “Même
une visite à un ami ou à un parent peut être suspecte. Vous devez faire en
sorte que la police ne vous remarque pas. Parce que, si elle remarque quelqu’un
qui bouge tout le temps, elle risque vraiment de compliquer les choses.”
Les suspects utilisent souvent des codes simples, qui leur sont propres. Lors
d’un procès qui s’est déroulé à Kiel (Allemagne), en novembre, Redouane
El-Hebab, un Allemand d’origine marocaine accusé d’avoir recruté des kamikazes
pour l’Irak, a expliqué au tribunal certains des codes rudimentaires que les
membres de sa cellule utilisaient sur les forums Internet.
Les spécialistes déplorent l’invention de Skype
En septembre 2005, un tribunal britannique a condamné Andrew Rowe, un
Jamaïquain converti à l’islam, pour actes de terrorisme. Les autorités avaient
trouvé à son domicile un carnet de code basé sur les références des téléphones
Nokia [entre autres preuves à charge]. Rowe, qui se faisait passer pour un
représentant en téléphones portables, parlait de “Nokia
“Ils ont parfaitement conscience que, chaque fois qu’ils utilisent
des moyens de communication électroniques, ils peuvent être surveillés par
les services de renseignements du monde entier, et pas seulement européens.”
Certaines tactiques employées par la cellule d’Oberschledorn ont perturbé
la police allemande. Les membres de la cellule communiquaient rarement plus
d’une fois à partir du même ordinateur avec les agents qui étaient dans des
camps d’entraînement au Pakistan. Ils faisaient parfois plus de
Ce jeu du chat et de la souris évolue au fil des années en fonction des progrès
de la technologie. En mars 2003, les services de renseignements américains
et pakistanais ont capturé Khalid Cheikh Mohammed, le principal organisateur
des attentats du 11 septembre 2001, à partir d’une carte SIM achetée en Suisse.
Cette carte prépayée avait été achetée anonymement, mais les services de renseignements
européens avaient repéré des appels qui lui étaient adressés par un suspect
basé en Allemagne et ils avaient découvert par la suite qu’elle était utilisée
par Mohammed. L’intéressé faisait preuve d’une extrême prudence dans ses habitudes
téléphoniques. Il utilisait rarement le même téléphone plus d’une fois et
faisait prendre ses appels par d’autres, mais il avait commis l’erreur de
garder la même carte. Depuis, les agents d’Al-Qaida tendent à n’utiliser les
cartes qu’une ou deux fois avant de les jeter et ont recours à des services
téléphoniques sur Internet comme Skype, qui sont extrêmement difficiles
à surveiller. Un haut responsable du contre-terrorisme italien, qui souhaite
conserver l’anonymat, déplore vivement l’invention de Skype.
Les autorités italiennes sont parmi les plus compétentes du monde en matière de surveillance des communications téléphoniques. Selon des informations communiquées lors des procès, elles repèrent tous les appels passés dans le pays à partir de téléphones mobiles pendant une certaine période de la journée ou vers un autre pays ou une région donnée grâce à une technique appelée “entonnoir”. “Malheureusement, la technologie change tellement vite que nous avons toujours un temps de retard”, confie le haut responsable italien. “Résultat, nous devrons travailler de plus en plus avec des sources humaines.” Pour d’autres responsables italiens, cependant, les enquêteurs auront toujours l’avantage. Comme les terroristes doivent communiquer, ils seront toujours vulnérables aux écoutes d’une façon ou d’une autre. “Je me demande parfois comment on parvient encore à obtenir des informations importantes quand les suspects savent qu’on peut le faire”, confie Armando Spataro. La réponse est simple. En tant que “membres d’une organisation criminelle, ils sont obligés de se parler, de communiquer les uns avec les autres, de faire des projets”.