www.nuitdorient.com
accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site
Comment el-Qaeda a Continué de Croître dans
l’Ombre de l’EI
Par Arnaud
GUITTARD
Orient-Le-Jour- 12/10/2017
Bien qu'éclipsé par les succès de
l'État islamique (EI), le mouvement jihadiste el-Qaeda a misé sur une stratégie
à long terme qui lui permet d'amorcer un retour en force spectaculaire. Hamza
Ben Laden, le fils d’Oussama Ben Laden, pressenti pour succéder à l’actuel
leader Ayman el-Zawahiri.
« Le jihad médiatique est la moitié du combat »,
aurait affirmé un jour Ayman el-Zawahiri, leader d'el-Qaeda depuis
l'élimination d'Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011, au Pakistan. Trois ans après
la prise de Mossoul et en raison des nombreux coups d'éclat de l'État islamique
(EI), puissamment relayés à travers ses magazines, vidéos ou réseaux sociaux,
force est de constater que le mouvement jihadiste concurrent a perdu une partie
de son aura. Seize ans après avoir frappé « le Grand Satan » américain au cœur, l'organisation a vu l'EI
s'approprier le quasi-monopole de la scène médiatique terroriste, sans pouvoir
rivaliser. Mais le temps semble désormais jouer en sa faveur. Acculé par les
combattants kurdes et arabes, appuyés par les frappes aériennes de la
coalition, l'EI est sur le point d'abandonner Raqqa, sa capitale en Syrie, et
l'un de ses derniers grands fiefs. Tout un symbole pour le groupe terroriste
qui a déjà perdu la ville de Mossoul et qui ne contrôle plus que 10 % du
territoire irakien.
Les revers de l'EI ouvrent une brèche
pour un éventuel retour d'el-Qaeda sur le devant de la scène. Ces dernières
années, le groupe jihadiste avait perdu le soutien de plusieurs groupes
terroristes, au profit de son concurrent. Wilayat-Sinaï (anciennement Ansar Bayt-al
Maqdis) qui opère dans le Sinaï égyptien a ainsi prêté allégeance à l'EI en
novembre 2014. El-Qaeda a toutefois su préserver un vaste réseau d'affidés qui
lui garantit une présence importante en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Au
Sahel, par exemple, el-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) a su fusionner avec
d'autres groupes comme Ansar Dine, la katiba Macina ou encore al-Mourabitoune
pour former en mars le « Groupe pour
le soutien de l'islam et des musulmans » (GSIM). Preuve de
l'importance qu'accorde el-Qaeda à ses branches locales, le GSIM est dirigé par
Iyad ag Ghali, l'émir d'Ansar Dine qui ne faisait pas originellement partie du
réseau el-Qaeda mais qui a été mis en avant par celui-ci. L'organisation, qui
multiplie les attaques au Sahel, serait notamment derrière l'attentat du café
Aziz Istanbul à Ouagadougou le 13 août, qui a coûté la vie à 19 personnes.
La stratégie d'el-Qaeda, qui,
contrairement à l'EI, consiste en une implantation durable dans le tissu social
des régions dans lesquelles elle est active, via une coopération forte avec des
alliés locaux, se double d'une utilisation de la violence plus réfléchie et
plus pragmatique. En 2013, Ayman el-Zawahiri appelait à éviter les tueries de
masse à l'encontre des femmes et des enfants innocents ainsi que des civils et
des minorités religieuses non musulmanes. Le groupe a ainsi cherché à se
distinguer de son rival terroriste connu pour sa barbarie aveugle. D'une
certaine manière, el-Qaeda a voulu apparaître comme un « extrémiste modéré » avec qui il
est possible de dialoguer. Au Yémen, par exemple, la filière du groupe s'est
fondue au sein d'une vaste opposition sunnite pour lutter contre les forces
houthistes tout en s'attachant à ne pas transgresser les coutumes locales pour
ne pas se mettre à dos la population. En Syrie, le groupe Fateh el-Cham --
anciennement al-Nosra -- a annoncé en juillet 2016 sa rupture avec el-Qaeda.
Toutefois, selon plusieurs experts, ce choix semblait davantage découler d'une
volonté de se normaliser aux yeux de l'opinion et de faciliter les alliances
que d'un éloignement idéologique par rapport à l'organisation jihadiste. Un
pari qui s'est d'abord avéré gagnant puisque Fateh el-Cham a fusionné avec
quatre autres groupes rebelles islamistes syriens pour former en janvier 2017
Tahrir el-Cham, qui a la mainmise sur la ville d'Idleb, au nord-ouest de la
Syrie, depuis juillet 2017.
« L'EI est peut-être la plus grande menace terroriste, mais el-Qaeda en
Syrie nous inquiète. C'est la branche la plus importante au monde en ce moment »,
expliquait début août Joshua Geltzer, ancien responsable de la lutte
antiterroriste à la Maison-Blanche. Une analyse à nuancer puisque le groupe
fait face à plusieurs divisions depuis l'annonce de l'offensive turque et qu'il
peine à dissimuler son affiliation qaediste. « Être lié de quelque manière que ce soit à des groupes comme Tahrir
el-Cham est un choix de plus en plus risqué », commente Charles
Lister, expert au Middle East Institute, à l'AFP.
« Réunifier le mouvement jihadiste global »
En parallèle de cette stratégie qui
consiste à avancer masqué, el-Qaeda s'est démarquée de l'EI en abandonnant
toute prétention à constituer un proto-État à court terme. La création d'un
émirat islamique en Syrie a certes été évoqué, mais, comme l'a affirmé Charles
Lister au site Slate, el-Qaeda y a renoncé dans l'immédiat, préférant agir
« de façon réfléchie pour établir
son influence et non son contrôle total » sur les zones où le groupe
est présent. Après plusieurs années dans l'ombre, el-Qaeda opte pour la
patience, la discrétion et la stratégie de long terme. En avril 2017, le leader
du mouvement a affirmé que « le
jihad doit se concentrer sur la guérilla, qui vise à tuer l'ennemi et le
saigner à mort ». L'EI avait marqué une rupture en déployant des
moyens importants pour se lancer à la conquête de vastes territoires. El-Qaeda
revient à la formule terroriste classique, visant à semer le désordre grâce à
des attaques ciblées et opportunistes.
Les attentats du 11-Septembre
avaient donné l'illusion que le groupe était enfin en mesure de frapper
« l'ennemi lointain ». Mais el-Qaeda semble aujourd'hui privilégier
les « jihads locaux » en pariant sur les filières du groupe, que ce
soit el-Qaeda dans la péninsule Arabique (AQPA), el-Qaeda dans le
sous-continent indien -- créé en septembre 2014 --, AQMI ou encore les shebab
de Somalie, toutes développant des stratégies qui s'inscrivent dans des
logiques locales complexes. Ces groupes tirent habilement profit des conflits
ethniques ou religieux qui fragilisent les structures de l'État et offrent des
perspectives de développement importantes. Ainsi, AQPA bénéficie aujourd'hui de
l'instabilité chronique au Yémen. Dans ce pays ravagé par la guerre et en proie
à une épidémie de choléra, le groupe terroriste a su tirer partie de la
multiplicité des acteurs du conflit. AQPA a profité de l'intervention
saoudienne face aux forces houthistes pro-Saleh pour étendre son emprise et
s'est appuyé sur le ressentiment des populations locales frappées par les
dommages collatéraux provoqués par les drones américains.
Le groupe jihadiste n'a, en fait,
jamais cessé de croître, dans l'ombre de l'EI. « Alors que l'État
islamique continue de s'effondrer, nombreux sont ses partisans qui vont
chercher une nouvelle bannière sous laquelle combattre », affirme Ali
Soufan, ancien agent spécial du FBI et spécialiste d'el-Qaeda, dans un rapport
publié par « le Combating Terrorism
Center » (CTC) de West Point. En succédant à Ayman el-Zawahiri,
souvent perçu comme un idéologue plus que comme un homme d'action, Hamza Ben
Laden, le fils d'Oussama Ben Laden, pourrait être l'élément unificateur.
« Hamza est désormais le mieux placé
pour réunifier le mouvement jihadiste global », note Ali Soufan. Une
tâche devenue d'autant plus facile que les déboires de l'EI donnent de plus en
plus de crédit à la stratégie du groupe d'al-Zawahiri, qui avait critiqué la
proclamation prématurée du califat, le 29 juin 2014, par Abou
Bakr el-Baghdadi. Signe de ce passage de témoin, Hamza Ben Laden s'est
déjà vu attribuer le surnom de « prince héritier de la terreur ». De là à
imaginer un retour à la base pour le mouvement jihadiste, il n'y a qu'un
pas.
Lire aussi
El-Qaeda reprend de la vigueur à la faveur des défaites de l'EI, selon des experts
Hamza ben Laden, le
prince-héritier du jihad