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DES JOURNAUX FRAPPÉS DE CÉCITÉ
Par
Sefi Hendeler, correspondant du quotidien Maariv en France
Article paru dans Maariv, le 28/8/03, traduit en français par les soins de l'auteur.
Les médias français ont qualifié l’attentat de Bagdad d’acte terroriste - pas l’attentat de Jérusalem. Le problème ne se retrouve pas uniquement en France. Il s’agit d’une maladie européenne.
Que sont les mots devant les corps déchiquetés de bébés ? Dans cette réalité sanglante, les caractères d’imprimerie auront du mal à soigner, consoler ou expliquer. Et malgré cela, une semaine après l’attentat, il est pertinent de se pencher sur les termes employés en France pour décrire le carnage de Jérusalem. Pertinent de souligner la vision sélective des Français, mise en évidence par la concomitance d’événements tragiques que nous a réservés le destin.
Mardi dernier, quelques heures avant l’explosion à Jérusalem, la terreur avait frappé au cœur de Bagdad, enterrant vivant le représentant spécial de l’ONU en Irak et faisant vingt-deux autres morts. Deux attentats presque simultanés, mais pas exactement similaires. L’un a clairement choisi une cible civile - un autobus de fidèles - à Jérusalem Ouest. L’autre visait une organisation internationale, l’ONU, venue aider la force américaine qui occupe la capitale de l’Irak.
Le ministère des Affaires étrangères français a aussitôt réagi par des déclarations indignées, condamnant ces attentats. Le Paris « officiel » n’a pas hésité à qualifier d’acte ignoble ce qui s’est passé à Jérusalem. Cependant, le lendemain, dans les principaux quotidiens français, les articles publiés côte à côte décrivaient deux réalités différentes. L’une terroriste, l’autre pas vraiment.
La palme revient au Monde, qui a qualifié l’attentat de Bagdad de « nouvelle étape dans la dérive terroriste en Irak ». Quant à l’attentat à Jérusalem, il s’agit, pour ce journal, d’un « attentat-suicide », perpétré par une « organisation radicale ». Le mot d’« assassinat » n’apparaît pas une seule fois dans l’article. Ce mot, le journaliste du Monde le réserve pour l’exécution d’Ismaïl Abou Chanab, qu’il décrit comme « connu pour son ton modéré et son caractère tranquille », se référant apparemment à une interview télévisuelle donnée par ce dernier la veille de sa mort, une interview au cours de laquelle il justifiait l’assassinat de bébés juifs. Abou Chanav s’exprimait-il alors aussi, (toujours selon l’appréciation du Monde) sur le ton modéré que lui dictait son caractère tranquille ?
Juste derrière, vient se placer le quotidien de gauche Libération. Dans son éditorial et dans un reportage de Bagdad, Libération met en garde contre « les terroristes irakiens ». L’assassin de bébés à Jérusalem, est, lui, qualifié de « kamikaze ».
Pour le journal de droite le Figaro, il est aussi question de deux événements totalement différents. À Jérusalem, c’est le « mouvement radical palestinien Hamas » qui a revendiqué l’attentat, alors qu’en Irak, il s’agit, sans l’ombre d’un doute, de « terroristes ».
À droite comme à gauche, la distinction est donc claire. Dans l’Irak occupé, c’est la terreur qui frappe. En Israël, ce sont des palestiniens radicaux, des extrémistes, des kamikazes. Tout ce que vous voudrez – pour ne pas parler de terreur. Le seul qui a sauvé l’honneur de la presse française est le Parisien (tabloïde souvent dénigré par ses confrères qui lui reprochent son côté « populaire », ce qui n’empêche pas son tirage d’être en augmentation permanente). Le Parisien a été en effet le seul à appeler l’horreur par son nom, à parler de violence terroriste en Irak et d’acte de terreur en Israël.
Quelques articles de plus ou de moins dans le Monde, le Figaro ou Libération ne changeront guère la triste réalité, cette spirale sanglante qui secoue le Moyen Orient. Il faut cependant qu’en Israël, on mette en perspective le vocabulaire des principaux journaux européens et la croisade terroriste meurtrière dont le but est d’effacer toute présence juive en Israël. Ce choix linguistique des Français est loin d’être fortuit. Il est le symptôme d’une cécité morale. Une cécité dont souffrent, malheureusement, non seulement les journalistes, mais une majorité de gens en France et sur tout le continent européen.