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L’ANTIRACISME, NOUVELLE IDEOLOGIE DES DICTATURES

 

Pascal Bruckner, écrivain.

Libération 11/03/09

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En septembre 2001 s’est réunie à Durban (Afrique du Sud) la troisième conférence des Nations

unies contre le racisme : elle avait pour ambition de réconcilier l’humanité avec elle-même à travers la reconnaissance des crimes de l’esclavage et du colonialisme. Cette noble intention a dégénéré très vite en inflation victimaire et en atmosphère de quasi-lynchage à l’égard des ONG israéliennes.

La volonté de parvenir, par une sorte de thérapie collective, à une guérison du passé et d’élaborer des normes nouvelles en matière de droits de l’homme aboutit à une explosion de haine que les attentats du 11 septembre 2001, survenus quelques jours plus tard, allaient éclipser.

Toutes les rancœurs ont été rouvertes et Durban, contre la volonté de ses concepteurs, est devenue une arène où l’on a rejoué la comédie des damnés de la Terre face à l’exploiteur blanc. Les délégués, notamment ceux issus du monde arabo-islamique, firent de la conférence, aux côtés du groupe africain, le lieu d’une revanche tiers-mondiste. L’Occident, génocidaire par nature, devait demander pardon et offrir des réparations symboliques et financières à ses anciens dominés.

La rage, attisée par les images quotidiennes de la répression de la seconde Intifada en Palestine, embrasa l’ensemble des assistants. On y dénonça sans relâche le sionisme, forme contemporaine du nazisme, mais aussi «la férocité blanche» qui a produit «ces holocaustes multiples que sont la traite négrière, l’esclavage et le colonialisme en Afrique».

On exigea qu’Israël soit rayé de la carte, ses dirigeants jugés par un tribunal pénal international comparable à celui de Nuremberg. Des caricatures antisémites circulèrent ainsi que des exemplaires de Mein Kampf et des Protocoles des Sages de Sion : si Hitler avait gagné, disait une légende sous une de ces photos, jamais les Palestiniens n’auraient eu à verser leur sang. Des délégués furent menacés physiquement, des appels publics lancés à la mort des juifs.

La farce a atteint un sommet quand le ministre de la Justice soudanais, Ali Mohamed Osmar Yasin, demanda des réparations pour l’esclavage alors que son propre pays le pratique encore sans vergogne.

On aurait pu croire que cette sinistre comédie allait donner lieu à réflexion et que l’ONU ne réitèrerait pas la même erreur. C’était compter sans l’extraordinaire aplomb des dictatures et des fondamentalistes qui ont transformé le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en plate-forme de leurs revendications.

 

Prévu pour avril 2009 à Genève, Durban II promet d’être une réplique de Durban I. Les projets se multiplient depuis six ans qui laissent craindre le pire. En septembre 2007, à Genève, Doudou Diène, rapporteur spécial sur les formes contemporaines du racisme, accusait les pays occidentaux d’encourager depuis le 11 Septembre les formes les plus sournoises d’islamophobie qu’il fait remonter aux premiers contacts de l’islam et de la chrétienté. S’il prend en compte également l’antisémitisme, la «christianophobie» et les autres formes de discrimination religieuse (hindouisme, bouddhisme, syncrétismes), c’est surtout le «racisme antimusulman» qui retient son attention.

Partout en Occident, intellectuels et partis politiques nourriraient un stock de griefs contre la religion du Prophète. Pire : le principe de laïcité tel qu’il est défendu par la France (l’interdiction des signes religieux à l’école publique) ou l’Angleterre (la menace d’interdiction de la burqa dans les lieux publics) relèveraient, à l’en croire, de l’intolérance. Et puisque la laïcité est utilisée pour «manipuler la liberté de religion», il faut assimiler toute remise en question d’une croyance religieuse à une insulte raciste et la punir ! Voilà le délit de blasphème réhabilité deux siècles après son abolition par la Révolution française, et Jésus, Moïse, Mahomet, Bouddha, Confucius devenus des icônes intouchables !

On ne sera pas surpris que ce rapport soit soutenu par l’Organisation de la conférence islamique et par une majorité de régimes peu favorables à la démocratie. Doudou Diène se garde de critiquer les autocraties d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine, il ne réserve ses flèches qu’aux nations d’Europe ou d’Amérique du Nord accusées de tous les maux. Rappelons qu’en avril 2007, l’Iran a été élu vice-président et la Syrie rapporteur de la Commission pour le désarmement. Cela serait désopilant si ça n’était pas tragique !

Bref l’antiracisme est devenu à l’ONU l’idéologie des mouvements autoritaires qui le détournent à leur profit. Des dictatures ou des semi-dictatures notoires (Libye, Pakistan, Iran, Arabie Saoudite, Algérie, Cuba, Venezuela, etc.) mettent en place une Nouvelle Inquisition, fondée sur le crime de «diffamation de la religion» pour prohiber tout examen de la foi en terre d’Islam, et ce au moment où des millions de musulmans, surtout en Europe, aspirent à s’émanciper de la bigoterie et de l’intégrisme.

 

Renversement des valeurs : l’antiracisme est mis au service de l’obscurantisme et de la discrimination des femmes. Il sert à justifier ce contre quoi il fut élaboré, l’oppression, les préjugés, le sexisme et transforme l’ONU en instrument de régression internationale.

Face à cette bouffonnerie annoncée, l’attitude de la France et de l’Europe doit être claire : le boycott pur et simple. Peut-être faudrait-il dissoudre le Conseil des droits de l’homme ou n’y admettre que les pays qui sont d’authentiques démocraties. Faute de quoi il deviendrait pour la dignité humaine l’équivalent des paradis fiscaux pour l’économie : un centre de blanchiment des crapules.

 

Quand la barbarie se pare des atours de civilisation, c’est la civilisation qui est regardée comme une barbarie. Il n’est pas tolérable qu’en 2009, comme dans les années 1930, les seuls régimes qui respectent le droit, le multipartisme, la liberté d’opinion et d’expression soient traînés au tribunal de l’Histoire par des lobbies de fanatiques et de tyrans.