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LA DEFAITE DES DEMOCRATIES
Par Malka Marcovich historienne,
consultante internationale droits humains et droits des femmes. Dernier ouvrage
paru : les Nations désunies : comment l’ONU enterre les droits de
l’homme, préface Elisabeth de Fontenay, éditions Jacob Duvernet, 2008.
4/4/09
Les préparatifs pour la conférence
mondiale contre le racisme de l’ONU - Durban 2 - qui aura lieu à Genève du
20 au 24 avril ont commencé en août 2007, soit
quelques semaines après la libération des «infirmières bulgares et du médecin
palestinien» des geôles du colonel Kadhafi. Par la magie de ce sauvetage
hautement médiatisé, Tripoli se trouva soudainement paré d’un visage
fréquentable et la Libye était élue à la présidence du Comité préparatoire de
Durban 2. Dans la foulée, d’autres pays aussi scandaleux accédaient à la
vice-présidence, comme la République islamique d’Iran, le Pakistan, par
ailleurs agressif porte-parole de l’Organisation de la conférence islamique
(OCI), ou Cuba.
En acceptant ces nominations, l’Union européenne signait ici sa première
capitulation. Rares sont ceux qui ont suivi pas à pas les évolutions de l’ONU
depuis 2001, l’instrumentalisation de la lutte contre le racisme, les
semaines et les mois de négociation, dont l’ultime but est de préserver le
sacro-saint consensus. Le consensus, mot sésame s’il en est, permet de dresser
la façade diplomatique, indispensable décor pour la construction d’une nouvelle
communauté internationale porteuse du projet totalitaire du XXIe siècle.
Dans le contexte onusien, le consensus possède de surcroît la vertu de
camoufler la faiblesse des démocraties face au front des Etats autoritaires.
La présidente libyenne Najat al-Hajjaji (tant décriée
lorsqu’elle présidait en 2003 la Commission des droits de l’homme) dirige
son monde avec autorité en organisant toute une bureaucratie tentaculaire. Tout
est propre et bien ordonné, la stratégie est remarquable. Les ONG et les
gouvernements qui font mine de s’inquiéter sont stigmatisés comme racistes.
N’étant pas à une contradiction près, l’UE a accepté que toutes les ONG
présentes à Durban soient automatiquement réaccréditées
en 2009, mais elle a refusé la tenue d’un forum des ONG, qui seront
confinées dans un espace réduit à Genève avec une liberté de parole restreinte.
Même la Haute Commissaire a repris à son compte la stigmatisation du forum
comme seul responsable de l’antisémitisme de 2001, alors que les violences
rhétoriques n’ont jamais cessé depuis à l’ONU.
Comme en 2001, ne seront pas dénoncées les discriminations que subissent
les Dalits en Inde, les Pygmées en Centrafrique, les
violations des droits de l’homme au Tibet, la déshumanisation des femmes
soumises à certains systèmes politiques et/ou religieux, la pénalisation de
l’homosexualité… et la rumeur enfle qui affirme que cette censure des
associations est due aux pressions des organisations juives.
Refusant de cautionner ce processus délétère, le Canada se retirait en
janvier 2008, suivi d’Israël en octobre de la même année. Début
février 2009, l’administration Obama, rompant avec
la politique étrangère de son prédécesseur, décida d’envoyer une délégation à
Genève qui, à l’issue de dix jours de négociations, décidait aussi de ne
plus continuer la mascarade. Pourtant le 2 mars, dans un discours vibrant
au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) le Premier ministre François Fillon chercha à
rassurer encore, en garantissant que la France refuserait les «lignes
rouges» pourtant largement déjà dépassées. Le 5 mars, l’Italie
pliait bagage, faisant éclater la sacro-sainte union des Vingt-Sept réclamée
par Paris. Les diplomaties s’agitèrent pour contrer la débandade et un nouveau
projet fut présenté victorieusement le 17 mars. Les optimistes se
réjouissaient alors qu’ait disparu la focalisation sur Israël, sur la
diffamation des religions et les réparations pour les victimes de l’esclavage.
En réalité, ce texte est un formidable trompe-l’œil qui montre l’infime
distance qui sépare Munich de Genève. Le premier paragraphe validé renvoie au
texte de 2001 qui vise Israël comme seul pays raciste. Qui considérait les
religions comme des valeurs intrinsèques et inscrivait pour la première fois
dans un texte onusien le terme «islamophobie», à savoir la phobie de la
religion musulmane et non pas des populations d’origine musulmane. Certes, la
diffamation des religions a disparu de la nouvelle copie, mais elle est
paraphrasée comme haine religieuse à interdire et les médias sont pointés. De
plus, plusieurs paragraphes renvoient à d’autres résolutions, ou rapports de l’ONU
qui visent à limiter la liberté d’expression et condamner le blasphème.
Le 24 mars, le comité ad hoc sur les normes
complémentaires présentait un projet de protocole additionnel contre le racisme
qui se focalise sur la diffamation. Et trois nouvelles résolutions adoptées en
ce sens accéléraient encore les dérives le 26 mars au Conseil des droits
de l’homme. La France a accepté le prix à payer pour ces victoires de façade :
brader les discriminations en raison de l’orientation sexuelle, la mémoire de
la traite transsaharienne ou dans l’océan Indien, l’apartheid sexuel que vivent
les femmes dans de nombreux pays… Le lâche soulagement de quelques diplomates,
voire d’associations et personnalités médiatiques, qui sacrifient les normes
universelles sur l’autel d’une paix provisoire en ces temps troublés de
l’histoire du monde, sera à inscrire au tableau du déshonneur de notre pays.
Durban 2 entérinera
l’hydre polymorphe qui s’est développée dans les différentes instances de
l’ONU. Sous couvert de grand-messe pour la concorde planétaire, Durban 2
noiera les voix des victimes du racisme dans les eaux calmes du lac Léman.