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Palestinisme, Endoctrinement Islamiste et Judéophobie
Par Pierre-André Taguieff Philosophe, politologue et historien des idées
12/1/13
En France, aujourd’hui, les juifs ne sont plus, à quelques rares exceptions près, victimes de discrimination à l’emploi, à l’éducation, au logement. Ils ont librement accès aux métiers des médias et de la culture, aux carrières administratives, et ne font plus l’objet de discriminations dans l’accès aux postes de responsabilité politique.
Mais ils sont victimes de stigmatisations, de menaces et de violences physiques, provenant de nouveaux milieux sociaux, culturels et politiques qui n’ont plus rien à voir avec ceux qui portaient la vieille extrême droite antijuive. Ils sont aussi, parallèlement, victimes d’une diffamation globale permanente, entretenue par une partie du système médiatique, ralliée au point de vue « antisioniste », et relayant des rumeurs négatives à leur propos. Ce qui les expose à un soupçon permanent, portant sur leur solidarité, perçue comme une complicité criminelle, avec les Israéliens. Aux violences antijuives « d’en bas », attribuables pour l’essentiel à des islamistes radicaux nés en France, s’ajoute la judéophobie culturelle « d’en haut », produite et reproduite par les représentants d’un milieu politico-intellectuel et médiatique « gauchiste » mécaniquement rallié à la cause palestinienne, qui, de leurs postes de pouvoir ou d’influence, contribuent à un endoctrinement judéophobe de masse. Ce gauchisme culturel occupe un espace beaucoup plus vaste que celui du gauchisme politique. Il traverse les frontières entre gauche et extrême gauche, et, sur certains thèmes d’accusation (anti-israélisme, anti-américanisme), imprègne certains secteurs de l’opinion droitière.
La haine qui vise les juifs est idéologisée, mais elle n’est pas pour autant explicite. Car elle n’apparaît guère dans l’espace public que sous la forme de déclarations virulentes contre Israël et le sionisme ou les sionistes, catégories d’usage polémiques dont les frontières sont indéfiniment extensibles. Depuis la fin des années 1960, la haine des juifs est en effet portée par ce qu’il est convenu d’appeler l’antisionisme, mélange d’hostilité systématique à l’égard d’Israël, quelle que soit la politique du gouvernement en place, et de compassion exclusive pour les Palestiniens, quoi qu’ils puissent faire. Le propalestinisme inconditionnel est désormais le principal vecteur de la haine des juifs dans le monde. Il fournit en même temps les principaux motifs d’agir contre l’État d’Israël, réduit à une entité "criminelle", et contre le sionisme, figure incarnant l’un des grands mythes répulsifs de notre temps. L’islamisation croissante de la cause palestinienne, cause victimaire universalisée par le jeu de propagandes croisées, lui a conféré en outre le statut symbolique d’un front privilégié du jihad mondial. C’est pourquoi la dernière grande vague judéophobe se caractérise par une forte mobilisation du monde musulman contre Israël et le sionisme, s’accompagnant, chez les prédicateurs islamistes, d’une vision apocalyptique du combat final contre les juifs. Comme le répète l’article 28 de la Charte du Hamas (août 1988), qui résume en une phrase l’idéologie antijuive du mouvement islamiste: "Israël, parce qu’il est juif et a une population juive, défie l’Islam et les musulmans".
Le programme antisioniste, considéré dans ses formulations radicales, a un objectif explicite qui revient à vouloir "purifier ou nettoyer" la Palestine de la présence sioniste ou juive, considérée comme une invasion qui souille une terre palestinienne ou arabe (pour les nationalistes) ou une terre d’Islam (pour les islamistes). En témoigne le discours que Khaled Mechaal, chef du bureau politique du Hamas, a prononcé le 8 décembre 2012 à Gaza, à l’occasion de la commémoration des 25 ans d’existence du Hamas. L’appel à la destruction d’Israël est formulé comme un appel à la libération de toute la Palestine: "Libérer la Palestine, TOUTE la Palestine est une obligation, un privilège, un objectif et un but. Il est de la responsabilité du peuple palestinien et de la nation islamique (de libérer la Palestine) (…) Le jihad et la « résistance » armée sont le moyen véritable et exact de cette libération et de la restauration de nos droits (…). Un homme véritable est le produit de la carabine et du missile (…) La Palestine – du fleuve [Jourdain] à la mer [Méditerranée], du nord au sud [c'est-à-dire tout Israël] – est notre terre, notre droit et notre patrie. Il n’y aura pas de reddition, même sur le plus petit morceau de cette terre. La Palestine est et a toujours été arabe et islamique. Depuis toujours la Palestine est nôtre, c’est la terre des Arabes et de l’islam (…). Il n’y a pas d’alternative à un État palestinien libre, avec une véritable souveraineté sur l’ensemble du territoire de la Palestine…" (1).
Une telle vision manichéenne du monde exclut toute possibilité de dialogue et de compromis. L’enracinement et l’expansion, dans l’imaginaire du monde musulman, d’un grand récit négatif sur Israël et le sionisme constituent l’un des principaux obstacles à l’établissement d’une paix véritable et durable au Proche-Orient. Or, les récents bouleversements qui ont eu lieu dans certains pays du Maghreb et du Machrek ont abouti à la montée en puissance des mouvements islamistes, qu’ils s’agissent des Frères musulmans ou de courants salafistes. En conséquence, l’appel au jihad contre les juifs s’est banalisé, sortant de la relative marginalité où le maintenait son appropriation par Al-Qaida dans les années 1990 et 2000. En Égypte, depuis le 30 juin 2012, le chef de l’État est un Frère musulman, Mohamed Morsi, qui, dans un discours diffusé le 23 septembre 2010 par Al-Quds TV, exposait sans fard sa vision du conflit israélo-palestinien : "Soit [vous acceptez] les sionistes et tout ce qu’ils veulent, soit c’est la guerre. C’est ce que ces occupants de la terre de Palestine connaissent – ces sangsues [suceurs de sang] qui attaquent les Palestiniens, ces fauteurs de trouble, les descendants des singes et des porcs. (…) Nous devons employer toutes les formes de résistance contre eux. (…) Ils ne doivent poser le pied sur aucune terre arabe ou islamique. Ils doivent être chassés de nos pays. » Cette vision du combat contre les « sionistes » est partagée par le guide suprême des Frères musulmans, Mohamed Badie, qui appelait le 11 octobre 2012 au jihad pour la libération de Jérusalem: « Le jihad pour recouvrer Al-Qods est un devoir pour tous les musulmans. (…) Les sionistes ne comprennent que la force et ne renonceront à leurs transgressions (…) que par le jihad sacré".
Note
(1) Cet article s’inspire, en les actualisant, d’analyses exposées dans deux de mes livres récents : La Nouvelle Propagande antijuive. Du symbole al-Dura aux rumeurs de Gaza, Paris, PUF, 2010 ; Israël et la question juive, St-Victor-de-Mor, Les provinciales, 2011.