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EN ÉTRANGE PAYS, DANS MON PAYS LUI-MÊME

Par Michel GURFINKIEL, journaliste et écrivain
Diffusé sur RCJ le 13 avril 2002

C'est  pendant l'Occupation, entre 1940 et 1944, que Louis Aragon devient
un grand poète. Nous avons tous appris et récité les textes saisissants
qu'il écrivit alors, à mi-chemin du surréalisme et de la tradition
classique, "Il n'y a pas d'amour heureux", ou encore "Je vous salue ma
France". Et l'un de ces recueils de guerre - où l'on trouve  un poème, "Le
Médecin de Villeneuve", consacré à la traque des juifs - porte un titre
entre tous splendides, coulé dans un alexandrin : "En étrange pays dans mon
pays lui-même". Depuis quelques jours, je vous l'avoue,  ces douze syllabes
ne cessent de me hanter. En étrange pays dans mon pays lui-même... N'est
pas exactement ce que les juifs de France ressentent aujourd'hui, n'est ce
pas ce que beaucoup de leurs concitoyens non-juifs ressentent également ?
La France, "notre ancienne et nouvelle querelle", n'a-t-elle pas pris, en
ce printemps 2002, de sombres couleurs ?

Rien de plus édifiant que la chronique des événements actuels. A Melun, une
bande de jeunes, selon l'expression consacrée, investit l'hôtel de ville et
exige du Conseil municipal, sous la contrainte, une minute de silence par
solidarité, je cite, avec les victimes palestiniennes de Jénine. Cela
s'appelle, au choix, du bolchevisme ou du fascisme. Ce n'est certes pas la
démocratie, au sens où l'on a toujours entendu dans ce pays.

A Paris, vendredi soir, alors que la nuit n'est pas encore tombée, un juif
religieux, père de famille, rentrant chez lui après l'office, est kidnappé
par d'autres jeunes armés de couteaux, emmené en voiture, menacé de mort ou
de torture, et finalement jeté sur le pavé au bout de deux heures. Le
procureur de la République qui, au milieu de la nuit, recevra  sa plainte
n'hésitera pas une seconde : cette agression s'appelle un crime, et de
surcroît un crime raciste.

A Paris, toujours, samedi, un agent de police qui montait la garde devant
un édifice religieux juif est frappé à la tête par un pavé. Il est dans le
coma. Des agressions analogues avaient été perpétrées, les jours
précédents, contre d'autres membres des forces de l'ordre. Cela s'appelle
de la guérilla urbaine. Tout comme l'attaque de la synagogue de la Duchère,
à Lyon, par un commando encagoulé, opérant à l'aide d'une voiture-bélier,
tout comme le caillassage d'un car scolaire juif à Paris, XIXe, par un
autre commando, exécutant son attaque selon un plan précis et minuté, ainsi
que l'ont rapporté des témoins. Tout comme le raid, planifié,
quasi-militaire, contre un club juif de football à Bondy.

Dimanche dernier, la plus grande manifestation publique que Paris et la
France aient connue depuis plus de dix ans - cent vingt mille hommes et
femmes défilant de la place de la République à celle de la Bastille,
derrière des drapeaux tricolores et israéliens fraternellement mêlées,
contre le terrorisme et contre l'antisémitisme - est mise sur le même plan,
par bon nombre de médias, notamment d'Etat, que les manifestations
propalestiniennes de la veille, pourtant quatre fois moins nourries. Cela
ressemble fort à la désinformation.

Mais il y a mieux, ou pire. Vingt-quatre heures à l'avance, certains
milieux ont cru pouvoir annoncer, envers et contre toute évidence, que la
communauté juive, et notamment le Crif, étaient "divisés" à propos de cette
manifestation, et que des heurts allaient avoir lieu entre le défilé
principal et un défilé prétendument séparé organisé par les amis français
de Shalom Akhshav. Le jour dit, en effet, alors que la manifestation
s'était déroulée dans le calme et la fraternité, alors que la plupart des
militants juifs de gauche ou d'extrême gauche  s'étaient mélangés au reste
de la foule, il y a eu, inexplicablement, quelques incidents, notamment une
agression, venue d'on ne sait où, contre un commissaire de police. Assez
pour accréditer l'idée qu'il y aurait, en France, des extrémistes juifs, je
cite, aussi dangereux que d'autres, et que l'on était en présence non point
d'une flambée d'antisémitisme mais de heurts intercommunautaires, où les
responsabilités seraient partagées. Voilà qui ressemble fort à de la
manipulation, sinon à la provocation.

"En étrange pays dans mon pays lui-même"... Mais,  je le répète, le dégoût
qui étreint les juifs devant ces violences et ces mensonges, devant ce
travestissement de la France vraie et éternelle, est partagé par un nombre
croissant de Français et de Françaises non-juifs, y compris, contrairement
à ce qu'affirme le théoricien impudent du lobby islamiste en France, Pascal
Boniface, ceux et celles qui sont issues de l'immigration. Hamid Lafrad,
conseiller municipal UDF de Metz, fier de son origine algérienne et kabyle,
vient  de déclarer publiquement : "Des événements très graves viennent de
se dérouler dans notre pays : l'incendie et la destruction de plusieurs
synagogues, des menaces, crachats, insultes et agressions quotidiennes en
tout genre contre des citoyens français de confession juive. Ce ne sont pas
de banals faits divers... Des officines bien implantées s'activent à
détruire chaque jour le socle républicain en manipulant une partie de la
jeunesse maghrébine en perdition... Il n'est d'autre réponse à apporter que
la répression ferme et vigoureuse... C'est à ce prix seulement que le pacte
républicain qui nous lie tous sera préservé pour l'avenir de tous."

Des paroles claires, nobles, courageuses. Un nouveau serment du Jeu de
Paume, le manifeste d'un nouveau sursaut national,  pour "la République
française et le peuple français... "


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