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Le Quai d’Orsay et les Juifs
Par Emilie Maarek
23 février 2018, repris le 18 oct 2018
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Une analyse
longue et détaillée que conduit
l’historien anglais David Pryce-Jones dans son livre publié en 2008 : « Un siècle de trahison
: La diplomatie française
et les Juifs ».
Depuis la révolution
française, montre Pryce-Jones documents
à
l’appui – et toute son analyse est très
précisément circonstanciée
-, le monde arabe est perçu comme d’un
intérêt
crucial pour la préservation
de la « grandeur » de la France.
Un royaume
franco-arabe sous Napoléon III
Les
propos tenus par Napoléon
Bonaparte lors de la campagne d’Égypte
(Mai 1798) sont, à
cet égard,
éloquents
et trouvent leur prolongement dans le rêve,
ensuite élaboré sous Napoléon
III, de créer
un « royaume franco-arabe » dirigé
par une France « puissance musulmane ».
Parallèlement,
la défiance
ne cesse de se manifester à
l’égard
des Juifs, perçus comme susceptibles d’être
des instruments au service de « conspirations étrangères ».
Ces deux dimensions orientent la politique étrangère de la France au dix-neuvième, puis au
vingtième
siècle
– les grandes orientations de cette politique étant définies moins par les ministres, qui
passent, que par les hauts fonctionnaires et les membres du corps diplomatique,
qui restent, disposant de davantage de stabilité et se cooptant entre eux sur le mode
du « népotisme
et d’une sensibilité
catholique hostile aux Juifs, aux Protestants et au système parlementaire
» – tout comme elles orientent le comportement des diplomates dans les pays
concernés.
En 1840 (Affaire
de Damas), afin d’ « apaiser » les esprits, suite à la disparition
d’un moine chrétien
et de plusieurs musulmans, le comte Ulysse de Rati-Menton, consul français
à
Damas, a répandu
la rumeur selon laquelle les Juifs commettaient des « meurtres rituels » et
persuadé
le gouverneur ottoman d’arrêter des notables
juifs et de prendre en otage des enfants juifs, qui, pour l’essentiel, furent
convertis de force à
l’islam.
Les sionistes : « des hordes rongées par le mysticisme »
Deux
des hommes les plus influents au Quai d’Orsay ont évoqué, au moment de l’affaire Dreyfus et
de l’émergence
du sionisme en 1894, le péril
que la création
d’un Etat
juif constituerait pour les intérêts
de la France.
Le premier, Paul Cambon, n’hésitant
pas à
noter que « le Juif est un traître
par définition
», le second, Maurice Paléologue,
parlant, lui, des « défauts
héréditaires et
des mauvaises passions des Juifs ».
A la fin du dix-neuvè̀me siècle, la France avait des hôpitaux,
des monastères,
des églises
dans tout le Proche-Orient.
Jules Ferry notait en 1888 que « le protectorat des Chrétiens en Orient
fait partie intégrante
du domaine méditerranéen de la France
».
L’arrivée
de Juifs et la perspective de création
d’un foyer national juif au Proche-Orient fut perçue
comme un phénomène à contrer absolument,
ce qui a impliqué
une politique antisioniste active, et un soutien tout aussi actif à
l’émergence d’un
nationalisme arabe, qui peut apparaître,
à
bien des égards,
comme une création
de la France.
Les sionistes se trouvèrent
vite décrits
dans des notes diplomatiques comme des « hordes rongées par le mysticisme », alors que
le Quai d’Orsay finançait, en parallèle à partir de
1907, la publication d’un journal francophone diffusé dans toute la région :
L’indépendance arabe
L’objectif de la diplomatie française, au moment
de l’effondrement de l’empire ottoman à la fin de la Première Guerre
Mondiale, fut de créer
la « Syrie intégrale
», sous la tutelle de la France, et d’inclure dans ce territoire la Syrie
et le Liban actuels, plus le territoire total du Mandat palestinien, Transjordanie
comprise.
Les Juifs ayant un « poids international » et « pouvant exercer des pressions
sur des gouvernements ignorants », la France était prête
à
accepter la création
d’une petite entité
juive semi autonome autour de Hébron
et de Gaza, où
« les Juifs pourraient faire pousser des oranges et s’exploiter mutuellement
», comme l’a écrit
Jules Cambon, frère
de Paul, diplomate lui aussi.
Après
le décret
Balfour (2 novembre 1917), Paul Cambon fut chargé, selon ses
propres termes, d’expliquer clairement aux autorités britanniques en 1919, qu’«il était hors
de question que les sionistes... constituent un Etat indépendant en Palestine ».
« L’œuvre française » financée par le quai d’Orsay
La France dut accepter que le Royaume-Uni adopte une position différente de la
sienne, mais la diplomatie française ne se
résigna
pas.
Le Quai d’Orsay finança un autre
journal, appelée
"L’œuvre française", diffusé lui aussi
dans tout le Proche-Orient, et où
on pouvait lire : « Il est inadmissible que le pays
du Christ puisse devenir la proie de la juiverie et de l’hérésie anglo-saxonne
».
Henri Gouraud, haut-commissaire chargé
du Mandat français à Damas, n’a cessé, tant qu’il
a été en poste
dans l’entre-deux guerres, d’inciter la diplomatie française
à
tirer avantage des circonstances et à
travailler pour « élargir
le protectorat de façon à inclure les
musulmans que nous ne pouvons laisser seuls et désarmés face au sionisme ».
Dans cette même période, il y eut au Quai d’Orsay, des
diplomates-écrivains
:
· Paul Morand, auteur de Mort d’un juif, un bref
récit
où
un juif sur son lit de mort refuse de payer son médecin tant que le taux de change n’a
pas évolué en faveur
de ses activités
de spéculateur.
· Jean Giraudoux, qui écrivait en 1939
: « les Juifs corrompent, pourrissent, érodent,
dégradent,
dévaluent
tout ce qu’ils touchent ».
· Paul Claudel, notant avec enthousiasme après le vote
des pleins pouvoirs au maréchal
Pétain,
que « la France est enfin libérée de l’emprise
du parti radical et anti-clérical
(professeurs, avocats, Juifs, francs-maçons)
».
· Louis Massignon, premier des « islamologues »
français et islamophile connu, mort en
1962, qui parlait, dès
1920, de la perspective de « l’horrible Israël
des cosmopolites et des banquiers apatrides », et notait en 1943 que « seul
un bloc franco-islamique peut sauver la Terre sainte ».
Le grand mufti de Jérusalem sauvé
par la France
En 1945, le grand mufti de Jérusalem, ami d’Hitler, fervent
partisan de la « solution finale », après s’être vu refuser l’asile
politique par la Suisse, s’est retrouvé aux mains des autorités
françaises.
La position du Quai d’Orsay tout juste libéré des Allemands, fut de dire : « Le mufti a certainement trahi la cause alliée mais il
a surtout trahi la Grande-Bretagne, sans nous affecter directement. Il pourrait
provoquer des crises en Palestine, en Irak, en Egypte et en Transjordanie qui pourraient
être bénéfiques pour notre politique », notera
même Henri Ponsot, chargé des relations
entre le ministère
des affaires étrangères et le
prisonnier.
En avril 1946, le mufti put quitter la France par avion, muni d’un vrai faux
passeport, et il l’en remercia chaleureusement un
peu plus tard. Après
avoir séjourné au Caire,
il put se rendre au Liban d’où, écrit Pryce-Jones, « il a pu orchestrer
la violence contre l’Etat
d’Israël en train de naître
et provoquer la ruine des Arabes Palestiniens ».
La France a voté
en faveur de la création
d’Israël aux Nations Unies, mais seulement
après
que ses diplomates aient tout fait pour retarder ou empêcher
le vote, et ce n’est que bien plus tard, en avril 1949, après que les
armées
arabes ont été vaincues,
que la France a reconnu officiellement le nouvel Etat.
René
Neuville, consul de France à
Jérusalem,
notait, le 12 avril 1947, que « les
Juifs sont viscéralement
racistes, au moins autant que leurs perécuteurs allemands
». Après
le vote en faveur de la création
d’Israël, il écrivit que cela constituait « une victoire de l’obscurantisme sur les lumières
et un exemple pernicieux ».
Après
la prise du pouvoir par Nasser en Egypte,
en 1952, la France fut confrontée
aux conséquences
du nationalisme arabe : la radio égyptienne
nassérienne
"La voix des arabes" devenant aussitôt l’organe
de l’incitation à
la révolte
contre le colonialisme français en Afrique
du Nord.
Certains dirigeants français discernèrent
en ces circonstances une « communauté
d’intérêts
» entre la France et Israël.
Affaire de
Suez : Ministère de la Défense contre quai d’Orsay
La
France et la Grande-Bretagne préparant
des plans d’offensive, le 21 octobre 1956 Guy Mollet et le ministre de la
Défense Bourgès
Maunoury invitèrent
secrètement
Ben Gourion dans une villa à
Sèvres
pour le persuader de participer militairement à l’opération en échange d’un engagement secret du gouvernement
français de donner la bombe nucléaire à Israël.
Et le jeune et fougueux Général Moshé Dayan obtint
le matériel
militaire qui lui manquait : 200 chars, 72 chasseurs bombardiers Mystère, 10.000
roquettes antichars, et 40.000 obus, mais ces fournitures avaient été données à l’insu du
Quai d’Orsay, car le ministre des Affaires Étrangères Christian Pineau avait été écarté sous le prétexte
d’une mission à
Londres. « Surtout, pas un mot au Quai d’Orsay » avait imposé
le ministre de la Défense
français.
Dès
le retour au pouvoir du général de Gaulle,
en 1958, le Quai saisit l’opportunité pour reprendre le dossier en main : en 1959, il fut décidé de renoncer à un projet
de construction d’une usine d’assemblage de voitures de la firme nationale
Renault, pour montrer que la France respectait le boycott d’Israël
mis en place par le monde arabe.
En 1960, Ben Gourion se rendit en France, mais un communiqué du Quai d’Orsay
stipula qu’il ne s’agissait pas d’une « visite d’Etat », et
la délégation israélienne
se vit interdire d’arborer le drapeau d’Israël.
En 1963, Couve de Murville, ministre des Affaires Etrangères du général, déclara qu’une collaboration plus étroite entre
les Arabes et la France est « non seulement acceptable, elle est ésirée ».
La « politique
arabe » gaulliste de la France s’enclenche
Les manifestations d’hostilité de la France à l’égard d’Israël devinrent dès lors une
pratique constante qui permit à
la diplomatie française de prolonger son comportement
habituel vis-à-vis
des Juifs et du sionisme.
L’objectif de cette politique était
de contrer les Etats-Unis,
d’installer la France en position de «troisième force» entre les Etats-Unis
et l’URSS, de permettre à
la France de se poser, par l’intermédiaire
du monde arabe, en chef de file du tiers-monde et des non-alignés, et d’affirmer
ainsi sa puissance en Europe, sur fond de sacrifice d’Israël.
Couve De Murville chercha ensuite à
mettre
un terme à
la coopération
nucléaire.
Shimon Péres
fut alors mandaté
à
Paris pour contester la décision
du ministre français qui lui assurait que « la France
ne divulguerait rien, ni sur les grands détails, ni
sur les détails
de l’arrangement de Sèvres
».
Disposant d’un écrit
gribouillé
sur un coin de table lors de la réunion
secrète
de Sèvres,
Shimon Péres
lui répondit
que, « Si la France en dénonçait
unilatéralement
l’essence même, nous ne serions pas en mesure
de sauvegarder ce qu’il souhaitait sauvegarder c’est-à-dire la clause de non publication
».
« Vous marquez un
point » dut reconnaître le ministre du Général De
Gaulle.
Quand en 1966, Abba Eban, ministre des affaires étrangères israélien s’inquiéta de la détérioration
grave des relations entre la France et Israël,
Couve de Murville lui répondit
par une lettre imprégnée de condescendance
et d’irritation :« Le caractère
des liens entre Israël et la France ne justifie pas que
le Général De Gaulle vous tape sans cesse
sur l’épaule
pour vous rassurer ».
Immédiatement
après
la Guerre des six jours, en 1967, Roger Seydoux, représentant de la France aux Nations Unies,
déclara
que « la réunification de Jérusalem est
inopportune et sans fondement légal
».
De Gaulle déclara,
comme on sait, (conférence
de Presse de novembre 1967) : « ils étaient
restés
tels qu’ils avaient été depuis tout temps : un peuple d’élite, sûr
de lui et dominateur», mais parla aussi de peuple animé d’une « ambition
brûlante de conquête
». La discussion reste ouverte s’il s’agit d’antisionisme, ou d’un compliment.
Alain Peyrefitte cite le Général, qui,
interrogéà
ce sujet, répondit
:
« Peuple sûr
de lui et dominateur ! J’aimerais tellement pouvoir en dire autant des Français... !”
René
Massigli, secrétaire
général du Quai
d’Orsay, déclara,
lui, en 1969, que « les Juifs français qui soutiennent
Israël se rendent coupable de déloyauté ».
Depuis, comme le note Pryce-Jones, « aucun
pays, à
l’exception de l’ex-Union Soviétique,
n’a fait davantage pour la création
d’un Etat
palestinien et pour mettre en danger l’existence d’Israël
».
1973 Guerre
de Kippour : la France ferme son espace aérien
En
1973, sous Pompidou, pendant la guerre du Kippour, la France a fermé son espace
aérien
aux avions américains
venant ravitailler Israël qui luttait
pour sa survie. La même année, une délégation de
l’OLP fut ouverte à
Paris et Arafat fut reçu à l’Elysée.
En 1978, sous Giscard d’Estaing, le Quai d’Orsay a critiqué les accords
de paix entre Israël et l’Egypte dans
des termes qui étaient
exactement ceux employés
par l’OLP, et stipulé
qu’ « une paix juste au Proche-Orient
ne peut venir sans que soient pleinement satisfaites les aspirations légitimes du peuple palestinien
».
François Mitterrand, ancien fonctionnaire
de Vichy, condamna fermement la destruction du réacteur nucléaire
Osirak par Israël en 1982 et se prononça
pour la création
d’une confédération entre
Israël, la Jordanie et la Palestine, qui
aurait aboli la souveraineté
d’Israël.
Il permit à
Arafat de survivreà
la défaite
en quittant Beyrouth pour Tunis, ce qui sauva l’OLP. Claude Cheysson, ministre
des Affaires Etrangères de 1981
à
1984, a déclaré l’année de son départ du Quai
d’Orsay : « L’Etat
d’Israël s’est créé
contre la volonté du reste du monde
».
La même
année,
son successeur, Roland Dumas, a dit que «la
piraterie aérienne
et les détournements d’avions étaient
la seule façon pour la résistance palestinienne
de rompre l’indifférence internationale
».
Sous la présidence de Jacques Chirac, rien ne s’est amélioré,
bien au contraire, vous souvenez-vous de son « You want me to leave ? » dans les rues de
Jérusalem, et tant de faits et de déclarations dans l’actualité
de la dernière décennie l’attestent qu’il est inutile de les
énumérer.
Le Quai d’Orsay a freiné ostensiblement les actions menées pour
que l’autorisation d’émettre qui avait été accordéeàla
chaîne
antisémite al-Manar soit suspendue.
En décembre 2004, Gérard Araud, ambassadeur de France en Israël,
a déclaré que « les Israéliens
souffrent d’une névrose, d’un véritable désordre mental
qui les rend anti-français... ».
Quelques années auparavant, feu l’ambassadeur de France en Angleterre
Daniel Bernard avait éé encore plus précis pour qualifier
son sentiment à l’égard d’Israël
:
« Israël un petit Etat merdeux ».
Il avait dit à haute voix ce que la majorité
au Quai pense tout bas.
Sous Sarkozy, les diplomates israéliens ont
été de nouveau invités au Quai d’Orsay.
Malgré cela, tout espoir d’amélioration des relations entre la
France et Israël,
dans ces conditions, semble vain, et cela doit être
dit.
Il existe une tendance lourde et ancienne qui fait
qu’Israël
(et de fait les Palestiniens) n’a rien à attendre de la France en termes
d’avancées vers la paix. Et ce, quels que soient les dirigeants de
la France : le choix, au mieux, peut se situer entre le moins
pire et l’absolument catastrophique.