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LES PROTOCOLES DES SAGES DE SION

 

 

Jean-Marie Allafort, journaliste chrétien en Terre Sainte –mai 2003

Écho d'Israël -  http://www.afiq.net/echo

 

 

De tous les pays du Moyen-Orient, le Liban est sans aucun doute l’un des pays où le passé culturel et religieux est le plus riche, il est aussi le pays le plus ouvert à la civilisation occidentale et c’est ce qui lui confère ce charme si particulier que je n’ai trouvé nulle part ailleurs. C’est à l’occasion de plusieurs voyages au pays des Cèdres que ma réflexion sur le rapport Juifs, Etat d’Israël et monde arabe a singulièrement évolué.

 

J’étais à Beyrouth le 13 novembre 1993 lorsque Rabin et Arafat signèrent les premiers accords d’Oslo à la Maison Blanche et qu’ils se donnèrent cette fameuse poignée de main historique. La région, du moins me semblait-il, entrait dans une nouvelle ère. Toutes mes autres visites au Liban s’effectuèrent alors que le processus de Paix battait son plein : la conjoncture était donc particulièrement favorable. C’est dans ce contexte que j’allais faire là-bas l’expérience de l’antisémitisme arabe. Comme non-juif, il m’était relativement facile d’entrer au Liban à l’époque où Tsahal contrôlait le Sud du pays en passant par Métulla. Il fallait bien sûr prendre de nombreuses précautions et faire attention de ne porter avec soi quelque objet qui pourrait nous trahir. Ainsi, avant chaque voyage je coupais les étiquettes de mes tee-shirts qui étaient écrits en hébreu et je passais en revue ma trousse de toilette pour vérifier si rien ne pouvait désigner ma provenance. Les check points syriens depuis la bande de sécurité du Sud jusqu’à Beyrouth était fréquents et même si les soldats savaient parfaitement que nous venions d’Israël, la règle du jeu était qu’il ne fallait pas se faire prendre...

 

Un taxi collectif venait nous prendre à la frontière. Le voyage était pénible tant les routes étaient mauvaises. En général, c’étaient des religieux et des religieuses qui venaient visiter leur communauté qui se rendaient à Beyrouth. Il était de bon ton de parler de la situation politique et de critiquer l’Etat d’Israël et les Juifs avec plus au moins de finesse et d’élégance. Je me taisais donc, ainsi d’ailleurs que mes amis qui m’accompagnaient. Pour être dans le vent, il fallait mal parler des Juifs. Proposer une nuance ou faire une remarque était absolument impossible.

C’est dans une chambre d’hôtel à Beyrouth que j’ai découvert les Protocoles des Sages de Sion en français déposé là sur la table de nuit à côté du Nouveau Testament. Je n’ai pas eu le réflexe d’enquêter pour savoir si ce livre était dans cette chambre par hasard ou s’il était offert comme cadeau de bienvenue aux hôtes de l’établissement tant ma curiosité était grande de lire cet ouvrage dont j’avais tellement entendu parlé. Le livre était édité à Beyrouth et  la photo de couverture était un immense serpent à la tête monstrueuse.

Les Protocoles des Sages de Sion est un texte écrit par des agents de l'Okhrana, la police secrète tsariste de Nicolas II quand au début du 20ème siècle, celle-ci s'était lancée dans une politique antisémite visant à faire passer les Juifs pour la source de tous les maux de la Russie. Il s'agissait de désamorcer la contestation sociale qui avait culminé avec la révolte du cuirassier Potemkine et la révolution manquée de 1905. Les Protocoles se présentaient comme l'émanation d'une sorte de maçonnerie juive, visant à prendre le pouvoir dans le monde entier et basée sur des rituels comme les meurtres d’enfants. D’après un article remarquable de Renée Neher-Bernnheim intitulé ‘le Best-seller actuel de la littérature antisémite : les Protocoles des Sages de Sion’, ce pamphlet a fait son apparition dans le domaine imprimé en août 1903. Il trouve son inspiration dans plusieurs ouvrages d’un antisémitisme consommé de la fin du 19ème siècle. Selon l’une des versions les plus célèbres, les Protocoles seraient un compte-rendu de réunions secrètes des Sages de Sion qui complotaient en vue de dominer le monde. Certains soutiennent qu’il s’agit de notes volées à Herzl lors d’un premier congrès sioniste de Bâle en 1897. Selon un certain Lesley Fry qui avait écrit une présentation du livre en 1931,  les Protocoles seraient de Asher Ginzberg plus connu sous le nom de Ahad Haam, une des grandes figures du sionisme. Cette version sera reprise sans cesse et en particulier dans les éditions imprimées dans le monde arabe. Le livre est divisé en 24 protocoles : les neuf premiers présentent une déstabilisation des régimes en place, les dix autres suivants parlent d’un nouvel Etat où les Juifs seront les maîtres. Les quatre autres traitent d’un programme économique et le dernier soutient que le roi sera de la lignée de David.

 

Je commis l’erreur en entreprenant la lecture de l’ouvrage de sauter la présentation et de commencer à m’attaquer aux Protocoles eux-mêmes. La lecture était absolument indigeste, il n’y avait aucun lien logique entre les parties et parfois même entre les phrases. Les répétitions étaient légion. J’abandonnai au bout de quelques chapitres et je repris ma lecture quelques jours plus tard. Plus je progressais et plus les absurdités se multipliaient. Aucun programme politique de ce genre et encore moins économique ne pouvait tenir. Comment un si mauvais texte qui n’argumentait jamais pouvait avoir un tel succès ? Pourquoi ces Protocoles étaient tellement diffusés dans le monde arabe ? Un ami chrétien libanais qui luttait avec courage contre l’antisémitisme et qui ne cachait d’ailleurs pas son admiration envers l’Etat d’Israël m’expliqua que personne ne lisait les Protocoles mais que l’intérêt du livre était dans son introduction qui développe avec milles détails succulents la théorie du complot juif pour dominer le monde. ‘C’est justement parce que c’est absurde que ça marche’ affirma-t-il. Selon lui, beaucoup dans le monde arabe sont persuadés que les Juifs (et non les Israéliens) veulent avoir la main mise sur tout, que leur soif de domination et de sang est insatiable et qu’ils sont déjà les véritables maîtres du Proche-Orient. Les slogans antisémites qui en Europe sont bannis parce que tombant sous le coup de la loi sont repris ici sans que cela pose le moindre problème y compris aux dirigeants chrétiens. De fait, plusieurs fois j’ai entendu que si la situation économique était si mauvaise au Liban c’était la faute des Juifs…

Cette haine du Juif était-elle le résultat de la politique d’Israël envers les Palestiniens ? Une visite dans la vallée de la Bekaa, le fief du Hezbollah allait m’éclairer. Sur la route qui conduit à Baalbeck, des banderoles écrites en arabe accueillaient les visiteurs. Mon ami libanais me les traduisait au fur et à mesure. Toutes concernaient Israël mais aucune ne mentionnait les Palestiniens. Plus nous avancions plus j’était mal à l’aise et je commençais à me sentir mal. Cette haine gratuite du juif me révoltait, me blessait profondément et m’interrogeait tout à la fois. Le Hezbollah pas plus que les Libanais que je questionnais par la suite ne s’intéressaient à la cause palestinienne. Les palestiniens sont enfermés dans des camps et leur présence sur le sol libanais est seulement tolérée. Pour beaucoup, ils sont considérés comme les responsables de la guerre de 1982 et accusés d’avoir déstabilisé la région. Certes, il serait erroné de soutenir que seule la haine antisémite explique l’attitude du monde arabe envers Israël, il y a bien un problème politique grave mais une fois réglé, rien ne permet d’indiquer que cette judéophobie tellement répandue dans le monde arabe disparaîtra. Il m’était clair que l’occupation des Territoires par Israël ne pouvait rendre compte rationnellement de la haine contre les Juifs, elle la cristallisait tout au plus.

        

Lors du dernier Ramadan en novembre 2002, une dizaine de chaînes arabes y compris câblées (donc visibles en France) ont diffusé un feuilleton en 41 épisodes intitulé ‘Chevalier sans monture’ qui se fonde sur les Protocoles des Sages de Sion. Le héros est un résistant à l’occupation coloniale britannique qui tout au long du feuilleton s’emploie à démontrer la véracité des Protocoles et à lutter contre un ‘complot juif contre la Palestine’. La série, produite par Mohamed Sari qui en est aussi l’acteur principal a déclenché un chaud débat dans la presse arabe et particulièrement égyptienne. Si la plupart des écrivains ont soutenu la diffusion de la série, certains ont toutefois critiqué l’intérêt obsessionnel porté par les Egyptiens (pourtant en paix avec Israël) aux récits antisémites. Voici des extraits de ce que Memri a publié au moment de la diffusion de la série :

« La presse égyptienne dans son ensemble s'est montrée largement favorable à la diffusion de la série. Un éditorial intitulé " Non au terrorisme idéologique ", publié dans le quotidien officiel Al-Akhbar, explique : " Ceux qui mettent en doute l'authenticité du Protocole des sages de Sion prétendent que [la police secrète du] tzar Nicolas II en est l'auteur, qu'elle voulait ainsi faire porter aux Juifs la responsabilité des problèmes de la Russie d'alors. Selon eux, les Protocoles ont été utilisés par Hitler pour justifier les chambres à gaz! ... La question de fond est la suivante : dans les faits, le sionisme ne cherche-t-il pas à conquérir le monde par l'argent, le meurtre, le sexe et d'autres moyens tout aussi méprisables, particulièrement à l'heure actuelle ? " 

Dans le même numéro d'Al-Akhbar figure un article de Fatma Abdallah Mahmoud, qui, en avril 2002, reprochait à Hitler de n'avoir pas terminé le travail d'extermination des Juifs.  Mahmoud écrit : " Ces meurtriers [les Juifs], ces assassins, ces criminels de guerre, ces êtres sanguinaires, ces ennemis de l'humanité tout entière... n'ont eu de cesse que de reprendre leur refrain éculé, la même accusation boiteuse et le même air discordant sans aucun fondement - qui dit que nous sommes antisémites!! Cette accusation ne fait plus que l'effet d'une mauvaise plaisanterie - une plaisanterie qui suscite mépris et dégoût, et révèle leur ignorance totale des éléments les plus fondamentaux de leur religion. Comment pourrions-nous être antisémites, étant nous-mêmes sémites, plus sémites encore qu'eux ? Nos parents et grands-parents étaient sémites. Pouvons-nous nous haïr nous-mêmes ? Nous ne sommes pas des malades mentaux, nous ne sommes pas schizophrènes... Si seulement ces meurtriers qui assassinent les enfants réfugiés dans les bras de leurs pères, qui éventrent les femmes pour en extirper fœtus et intestins et les jeter au hasard, ces criminels de guerre dont les mains dégoulinent des pieds à la tête du sang de Palestiniens innocents - si seulement ils ouvraient un livre d'histoire, ils y liraient cette phrase qui reflète fidèlement la vérité et la réalité: 'Les musulmans sont d'origine sémite'... La vérité indéniable est que ce sont les 'Fils de Sion' les antisémites et les ennemis du genre humain... L'ouvrage qui atteste le mieux de leur culpabilité et révèle en outre leur antisémitisme et leur hostilité à l'égard de l'humanité est l'ouvrage... démoniaque par essence et répugnant de bassesse intitulé Le Protocole des Sages de Sion! ... Le Protocole répand son venin et sa haine à l'encontre de tout non-juif vivant sur la surface de la terre! ... " Mahmoud cite ensuite des extraits des Protocoles. » 

 

C’est également au Liban que j’ai rencontré des personnes d’une rare lucidité sur leur société et qui portent un regard vrai et sans compromis sur la région et sur Israël. Dans le monde arabe en général, des intellectuels de plus en plus nombreux se lèvent pour dénoncer l’antisémitisme des leurs. Le voyage organisé par le Père Emile Shoufani à Auschwitz est un signe qui ne trompe pas. Seule l’éducation des nouvelles générations pourra venir à bout de ce phénomène.

Si le monde arabe a le triste privilège de porter le plus haut l’étendard de l’antisémitisme, ce phénomène est loin d’avoir disparu en Europe. En conclusion, voici l’extrait d’un article paru le 22 mai sur le site Internet de la Vie catholique par le père Michel Bureau, jésuite, ‘délégué à la vie spirituelle’ dans le diocèse d’Evry :

« Pourquoi a-t-il fallu que tous les médias, toutes tendances confondues, même catholiques, annoncent en boucle plusieurs jours de suite que 800 personnes ont manifesté à Créteil contre l'antisémitisme, alors que tant de palestiniens, tout aussi sémites , sont assassinés tous les jours et tant de chrétiens martyrisés incognito ? Manifestation lancée à l'appel d'organisations juives, encadrée par elles, pour "mettre en garde les autorités sur le péril que constitue la montée de l'antisémitisme contre les valeurs de la république" ! Pourquoi cette insistance sur un paisible défilé de 800 personnes, ce qui n'indique pas une mobilisation énorme et tire son impact de la seule surenchère médiatique, alors que la veille Israël détruisait des maisons habitées mettant ainsi plus de 500 palestiniens à la rue. On a envie de dire : un peu de pudeur…

Evidemment, nul ne peut se réjouir qu'une école juive soit incendiée ou de graffitis anti-juifs dans une banlieue à forte densité de population maghrébine. Nul ne peut se réjouir d'agressions sur de jeunes juifs et encore moins les encourager. Mais il faudrait, d'abord, se demander quelle est la juste riposte à la destruction de maisons habitées si l'on invite à une manifestation pour des graffitis sur un mur. Se souvenir, ensuite, que si Ariel Sharon est soutenu par plus de 70 % des Israéliens et Bush par plus de 80 % des américains, la paix s'éloigne. Comprendre, enfin, qu'il n'y a pas d'effet sans cause

Il n'y a pas de solution politique évidente ou simple, mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les attentats de Ben Laden sont un langage, violent ou même criminel, de révoltés et d'opprimés. De même, il est trop clair que les manifestations contre des membres ou des locaux de la communauté juive, en France ou ailleurs, sont alimentés par la maltraitance des Palestiniens par Israël. Sans légitimer ces actions, un arabe, chrétien ou musulman, ne peut qu'être révolté. Il faudra bien qu'Israël et ceux qui soutiennent ce pays le comprennent un jour.  "Qui sème le vent récolte la tempête" enseigne la sagesse des nations. »

Est-ce vraiment la défense de la cause palestinienne, bonne en soi, qui inspire de telles paroles ?

 

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