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LA DESCENDANCE D'ABRAHAM, LA RIVALITÉ ISAAC-ISMAËL

Israël, Palestine, territoire contesté, héritage, foi, Islam 

Rav Léon Askénazi-Manitou

 

La plus grande erreur de toutes les théologies - quand on parle de la révélation de la parole de Dieu - c'est de croire que Dieu a révélé une "confession religieuse" dans le sens d'un code religieux ne concernant qu'une conduite de la vie, la conduite proprement religieuse, c'est-à-dire l'expression du sentiment religieux et du culte. En fait, à travers la prophétie biblique, on s'aperçoit que ce que Dieu a révélé, c'est essentiellement Sa volonté pour le développement de l'histoire du monde et particulièrement celle des hommes. Avant de dire le code, la Torah nous donne comme une préface - depuis l'histoire du premier homme - pour expliquer pourquoi l'accent va être mis assez rapidement sur la racine : Israël, matrice de l'engendrement de l'histoire du salut et lieu de la Révélation prophétique.

 

Dépasser la théologie

Or, il y a un écueil à éviter : depuis la fin de la prophétie, on a perdu l'habitude de comprendre le sens de la parole prophétique comme telle. On l'a un peu réduite à une sorte de philosophie religieuse - la théologie, qui est une pensée humaine - très tardive par rapport à la prophétie biblique. Cela vient de l'arrêt de l'expérience prophétique, à l'échelle objective, bien qu'elle ait continué jusqu'à nous. L'inspiration(1) à l'échelle individuelle est encore un peu, je ne dirais pas de même nature, mais du même degré de communication de Dieu à l'homme, alors que la philosophie religieuse, elle, est une tentative de communication de l'homme à Dieu, ce qui est extrêmement différent.

La tradition juive connaît aussi l'expérience religieuse qui va de l'homme à Dieu, mais l'essentiel de la religion juive, c'est la Parole qui vient de Dieu à l'homme, et c'est d'une toute autre nature.

Par conséquent, puisque notre époque connaît les grands bouleversements de l'histoire mondiale, il est évident que ces grands bouleversements concernent Israël et que la Parole de Dieu le concerne au premier chef. On a oublié que l'essence de la préface historique que nous voyons en particulier dans le Livre de la Genèse et la première partie du Livre de l'Exode est une révélation de la conception que Dieu Se fait de l'histoire humaine - avec, en gros plan, Israël - avant de révéler Sa volonté pour la conduite religieuse. C'est donc là que l'homme doit étudier et comprendre comment la Torah comprend et entend les règles de conduite du peuple juif dans les grands événements qui le concernent.

 

Le pays des Hébreux

Or un des graves problèmes que nous avons à résoudre en notre temps, c'est la revendication de la terre d'Israël par Ismaël. Et c'est intentionnellement que je dis cela en termes bibliques, directement, car il ne s'agit pas seulement d'un conflit politique, comme se complaisent à le présenter diplomates, historiens et journalistes. Il s'agit d'une histoire qui a commencé avec la famille d'Abraham et qui est la revendication de la terre d'Israël par Ismaël.

Il serait donc inconcevable - en tout cas pour la conscience d'un croyant, qu'il soit chrétien, juif ou musulman - que la Bible ait parlé de tout, sauf ... de l'essentiel. Il faut repenser ce problème pour qu'il y ait une solution positive en fin de compte. A quelles conditions ? Cela nous devons le demander à la Bible elle-même.

Il y a une "légende" concernant la dénomination de ce que nous appelons Erets Israël. La Bible l'appelle pays de Canaan parce qu'au temps des Patriarches, il était occupé par les Cananéens (Gen. XIII, 7). En fait, dans le récit de la Genèse (XL, 15), il est appelé pays des Hébreux. Ce terme est employé par Joseph, en prison en Egypte, lorsqu'il raconte son histoire aux ministres du Pharaon tombés aussi en disgrâce : J'ai été volé du pays des Hébreux. Les ministres du Pharaon comprennent de quoi il s'agit, et pourtant qu'y avait-il en ce temps là comme Hébreux au pays de Canaan ? Jacob et ses fils. Cela signifie qu'à l'époque, il y avait une donnée culturelle et que ce pays était connu comme celui des Hébreux. De la même manière, pendant deux mille ans, alors que les Juifs étaient en exil, on savait que leur pays était la Palestine, nom donné par les Romains à la Judée. Or, les Juifs étaient partout - sauf ici (en dépit d'une petite minorité), mais tout le monde savait que la Palestine était le pays juif.

Les Hébreux étaient en exil dans la civilisation de Babel d'où est sorti Abraham. Que faisaient-ils en Babylonie ? Il faut d'abord restituer ceci : les Hébreux étaient en diaspora dans la civilisation de Babel - dont le roi était Nemrod. Lorsque cette civilisation est devenue totalitaire - un peu à la manière de l'Allemagne nazie - une famille des Hébreux, rescapée d'Our Kasdim(2) (la fournaise de Kasdim), la famille d'Avram (il ne se nomme pas encore Abraham) quitte Babel et revient au pays de ses ancêtres (ancêtre d'Abraham : E'ver, lui-même descendant de Sem). Or, pour les historiens, Abraham serait un Mésopotamien qui, magiquement, se découvre Hébreu. Cela n'a aucun sens. C'est très frappant de voir qu'Our Kasdim (Ur) est très exactement à la frontière entre le Koweit et l'Irak.

 

Rivalités familiales

En Babylonie, Abraham s'appelait Avram, nom araméen. Lorsqu'il revient au pays des Hébreux, il se nomme Abraham. De cette identité des Hébreux dans l'exil de Babylone, une partie seulement est revenue au pays des Hébreux. Les autres branches se sont installées en rivalité d'Israël. Térah', le père d'Abraham eut trois fils : Nah'or, H'aran (son fils, Loth fondera les peuplades d'Amon et Moab) et Abraham. H'aran est mort en Babylonie. Nah'or a quitté la Babylonie, mais n'est pas revenu au pays des Hébreux. Il s'est installé dans la région du Liban et de la Syrie où il a fait souche et est devenu un des pires ennemis d'Israël (cf. dans la Bible les guerres du roi Aram contre David !).

Une de ces rivalités est venue d'Ismaël. La Torah a raconté comment Sarah - qui n'avait pas d'enfant - a demandé à Abraham de prendre Agar pour avoir un enfant en attendant la réalisation éventuelle de la Promesse. C'était de la part de Sarah une générosité et une impatience que l'histoire juive a très souvent connues. Nous avons énormément d'épisodes de ce genre. Comme le temps de la Promesse n'est pas là, on passe le relais à une autre société. Un exemple : les Juifs au temps de la Révolution française étaient persuadés que le relais messianique passait par la France. C'est dire le choc pour un Juif de trouver un pays où les principes politiques étaient censés être :liberté- égalité- fraternité...

 

 

 

Il y a rire et rire

Or voici ce qui se passa (Gen. XXI, 8-12) : Sarah a vu Ismaël rire(3) et elle dit à Abraham : Renvoie la servante et son fils parce qu'il n'héritera pas avec mon fils Isaac. Le nom d'Isaac veut dire "il rira" au futur. Les deux fils d'Abraham sont ici définis par le rire. Le rire est possible parce que Abraham a enseigné qu'il y a un Créateur. S'il y a un Créateur, la joie est possible et aussi le salut. Donc, tout fils d'Abraham sait rire, seulement la seule différence est qu'Ismaël rit au présent. Il est satisfait du monde tel qu'il est. Tandis qu'Isaac n'aura le droit de rire qu'au futur, quand le monde aura trouvé sa Rédemption. Sarah, quand elle voit Ismaël rire, dit : il faut les séparer.

Effectivement l'Islam comme religion et le Judaïsme comme religion se ressemblent avec cette grande différence que si la théologie est compatible - il y a un Créateur - la morale n'est pas la même. Le Musulman se satisfait du monde au présent. Le Juif ne se satisfait pas du monde comme il est et son rire est réprimé. Il rira au futur. C'est une légende de dire que nous avons le même père car Avram n'est pas encore Abraham ; le Dieu de l'Islam, c'est le Dieu Créateur au présent, alors que le nôtre, c'est le Créateur avec un projet d'avenir.

Avec l'Islam nous n'avons pas de problème théologique. Leur monothéisme est compatible avec le nôtre, mais nous avons un problème moral. Pour la conscience islamique, il y a une difficulté à penser la responsabilité morale. Pourquoi ? C'est Dieu qui décide de tout. Penser que l'homme est libre, c'est un blasphème. Lorsqu'un Musulman est cultivé, formé à l'occidentale, il perçoit le problème moral. Il a alors des difficultés avec sa religion. Je suis né dans un pays d'Islam et je connais bien ce problème. Supposer que l'homme est libre, cela porte atteinte à la souveraineté de Dieu. Le Musulman a une foi absolue qu'il existe un Créateur qui décide de tout. Tout est écrit, dit-on. Ecrit, mais pas dans le sens de la fatalité, c'est la Volonté de Dieu. Il veut soumettre le monde à la Volonté de Dieu...

Le texte suivant (Gen. XXV, 9) prédit qu'Ismaël fera repentir. Ismaël revient d'Egypte où il vivait avec sa mère. Il revient dans la maison de son père à Hébron où vit Isaac. Abraham mort, il est dit : Isaac et Ismaël, ses fils, l'enterrèrent... C'est la fin du cycle d'Abraham qui meurt en bonne vieillesse puisque les deux frères se sont réconciliés et que le rire d'Ismaël a trouvé sa Rédemption.

 

Bar Yochaï explique...

Un texte du Talmud dit ceci : Trois maîtres veulent expliquer pourquoi Sarah, voyant rire Ismaël, a pu demander une chose aussi terrible à Abraham : expulser Agar et Ismaël ! Alors qu'elle avait donné Agar à Abraham dans sa générosité. Il y a là une contradiction. Sarah n'est pas une mégère, finalement !

Or, le premier dit : ce rire, c'est l'idolâtrie ; le second dit : c'est le meurtre ; le troisième dit : c'est la débauche(4). Car celui qui se satisfait du monde tel qu'il est tombe dans ces trois fautes. Et Rabbi Shimon bar Yochaï, qui cite ces trois maîtres, déclare qu'il est étonnant que dans la maison de ce Juste (Abraham), quelqu'un puisse agir ainsi. Il explique le rire d'Ismaël comme une moquerie. Il se rit de son frère. Se croyant l'aîné, il prétend à deux parts d'héritage (l'Arabie et la Palestine, remarque ironiquement le Rabbin !). C'est moi l'aîné. Le monde entier et la terre d'Israël me reviennent ! Mais à la mort de son père, il revient à la maison. Il fait repentir, reconnaissant qu'Israël est chez lui à Hébron, car il a reconnu la religion de son père (avant Mahomet, les Ismaélites étaient des païens).

Le rire d'Ismaël, ce rire de rivalité, trouvera donc un jour sa Rédemption. Pour nous, il suffit - mais il faut - que l'Islam reconnaisse que cette terre a été donnée par Dieu à Israël ; alors on établira le statut de ceux qui voudront y demeurer.

Les Arabes n'ont jamais connu la situation d'exil. Ils ont été des conquérants - partout et toujours. Et voici qu'ici, et pour la première fois, ils connaissent cette situation d'exil. Cela leur est insupportable : être en exil chez les Juifs... à Jérusalem !

 

Le Maharal explique...

Le Maharal a établi pourquoi notre exil n'a commencé qu'avec Jacob alors qu'il avait été annoncé à Abraham. Si l'exil avait commencé avec Abraham, Ismaël aurait été concerné. S'il avait commencé avec Isaac, Esaü aurait été concerné. Mais il commence avec Jacob parce que la promesse de la terre ne concerne que la descendance d'Abraham qui accepte l'éventualité de l'exil. Seule la descendance de Jacob a connu l'exil et la promesse de la terre ne concerne qu'elle.

Or, pour la première fois aussi, il y a des communautés chrétiennes et musulmanes qui vivent en Israël, chez Israël, et commence un temps où le lien avec la terre peut les concerner(5).

Depuis Vatican II, on sent que la chrétienté cherche à être plus universaliste qu'universelle. Il y a un tournant. Mais, et c'est évident, l'impérialisme musulman reste universel dans l'Islam.

Abraham mort, Isaac et Ismaël, ses fils, l'enterrèrent dans la grotte de Makhpelah. Alors seulement, Ismaël a le privilège d'être ici désigné comme fils d'Abraham. La préséance du fils de la Promesse, Isaac, est établie ici, et reconnue, puisque Isaac est nommé le premier. C'est un peu ce que nous attendons.

La Bible a raconté notre histoire et il y a une cohérence dans cette histoire. On ne peut la juger d'après les notes des journalistes ou les critères - uniquement politiques - des assemblées internationales.

 

Notes:

1.L'esprit de sainteté : ne pas confondre avec la fonction du "Saint-Esprit" dans le Rouah Haqodesh.

2.Our Kasdim : Ur. Les hébreux étaient jetés dans les fours d'Our Kasdim.

3.Concernant Gen. XXI, 9, il est des traductions qui disent que les deux enfants "jouaient". L'hébreu dit "riant", un participe présent.

4.Il y a trois axes des commandements dans la Torah :
- dans les rapports avec Dieu, la faute, c'est l'idolâtrie ;
- dans les rapports avec autrui, c'est le meurtre ;
- dans les rapports avec soi-même, c'est la débauche.

5.Les Juifs ont connus quatre grands exils dont ils sont sortis, la sortie étant accompagnée de grands ébranlements de civilisation :
- de l'empire de Babel (géographiquement l'Irak) avec Abraham ;
- de l'empire de Perse (géographiquement l'Iran) avec Esther ;
- de la colonisation grecque avec les Hasmonéens ;
- de l'Empire romain (symboliquement l'Occident) par leur retour contemporain dans l'Etat d'Israël.