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Jérusalem, une Capitale Cartes sur Table
Par Michel Gurfinkiel
Valeurs Actuelles, 2012- 24/12/12
Benjamin Nethanyahu complètera-t-il la "couronne de Jérusalem" ?
Le 3 décembre dernier, le premier ministre israélien a
annoncé que 3000 nouvelles unités d’habitation seraient construites dans la
zone E1, à proximité de la cité-satellite de Maaleh Adoumim. C’est à dire à Jérusalem-Est, l’ancien secteur
arabe de la Ville sainte, administré par la Jordanie entre 1948 et 1967.
Il y a, dans cette décision, une part de politique à court ou moyen terme :
Netanyahu a voulu rappeler – quatre jours après l’admission de la Palestine à
l’Onu en tant qu’"Etat non-membre", le 29 novembre -- qu’Israël
n’accepterait aucun "diktat" international. Ni sur Jérusalem, ni sur
d’autres questions. Mais il y a aussi une part de politique à long terme, de
géopolitique. "Nous construisons et continuerons à construire en fonction
de nos intérêts vitaux", a précisé le premier ministre. Notamment à
Jérusalem.
Cela fait près de cinquante qu’Israël rebâtit la Ville
sainte. Pendant dix-neuf ans, de 1948 à 1967, celle-ci avait été partagée en
deux, l’Ouest israélien, l’Est jordanien. Ou même en trois, si l’on tient
compte des nombreux "no man’s land" qui séparaient les deux secteurs.
Mais la Guerre des Six Jours, en juin
Le plus sûr était cependant de le rendre matériellement
impossible. De grands chantiers ont été lancés. Les gouvernements successifs,
de gauche ou de droite, les ont poursuivis sans relâche. Aujourd’hui, il ne
reste plus qu’à consolider quelques maillons.
Pourquoi cette passion ?
D’abord, bien entendu, Jérusalem est la ville sainte du judaïsme. Il suffit,
pour s’en convaincre, de lire la Bible, non seulement les livres historiques ou
rituels, mais aussi les prophéties. Ou de se familiariser avec la tradition
rabbinique. Les juifs se tournent vers Jérusalem pour prier. Ils mentionnent
Jérusalem dans chacune de leurs prières. L’ère messianique, selon eux, commence
à Jérusalem. Elle s’y épanouit. C’est par Jérusalem seulement que le destin
juif, souvent tragique, trouve un sens.
Ensuite, fait méconnu mais essentiel, Jérusalem est redevenue une ville à
majorité juive voici près de deux cents ans. Majorité relative en 1845 : 45 %
de juifs contre 30 % de musulmans et 25 % de chrétiens. Majorité absolue en
1868 : 55 % de juifs, 23 % de chrétiens, 22 % de musulmans. Majorité des deux
tiers, enfin, à partir de 1912 : les musulmans supplantant peu à peu les
chrétiens, tout au long du 20ème s. au sein du troisième tiers.
Le caractère juif de la Jérusalem moderne avait conduit paradoxalement, dans le
cadre de la partition de la Palestine préconisée par l’Onu en 1947, au projet d’un
"Corpus Separatum" englobant la Ville
sainte et sa périphérie. Officiellement, cette entité – sous contrôle
international – devait assurer pendant dix ans au moins la protection des Lieux
saints de toutes les religions. Mais le motif réel des experts de l’Onu était
d’empêcher le rattachement de Jérusalem à l’Etat juif, centré sur Tel-Aviv.
L’invasion arabe de
Enfin, Jérusalem est la clé stratégique du pays.
Elle se situe à l’intersection de l’axe horizontal Méditerranée-Jourdain,
d’ouest en est, et de l’axe vertical Galilée-Mer Rouge, du nord au sud. Entre
les mains d’Israël, elle garantit la sécurité de la plaine côtière et de
Tel-Aviv, la capitale économique, mais aussi celle de la Galilée et du Neguev. Entre les mains d’une puissance arabe hostile, ce
serait l’inverse. Mais pour jouer efficacement son rôle stratégique, une
Jérusalem israélienne doit contrôler ses alentours, alors qu’un retour à la
ligne de 1949-1967 – la "ligne verte" - équivaudrait à un
encerclement sur trois côtés, nord, est, sud.
Le plan directeur de Jérusalem adopté par les Israéliens en 1967 prévoyait dans
un premier temps de réunifier la ville, c’est à dire d’abattre toutes les
barrières – fortifications, fils barbelés – qui séparaient les secteurs définis
en 1949. Puis, dans un second temps, de créer une couronne de nouveaux
quartiers juifs, en prolongement de quartiers existants : Ramoth,
Ramath-Eshkol et Neveh-Yaakov au nord, Armon Hanetziv à
l’est, Guilo au sud.
L’opération a été menée à bien en moins de dix ans. En règle générale, ces
nouvelles zones urbaines ont été bâties sur les anciens "no man’s
land" ou dans des secteurs déserts, propriété de l’Etat. Pour donner une
assise juridique à ces modifications, les Israéliens ont créé une municipalité
unique englobant l’ancienne municipalité d’avant 1948 et quelques villages
avoisinants. Un corridor, vers le nord, remonte jusqu’à Ataroth,
près de Ramallah, où un aéroport a été construit.
Mais à partir de 1977, Israël entreprend de créer une seconde couronne de
villes satellites, en dehors de la municipalité de Jérusalem. Cette fois,
l’objectif est de contourner des localités arabes et de relier le Grand Jérusalem
aux routes et avant-postes neutralisant sur le plan sécuritaire la Cisjordanie.
Pisgath Zeev, créé en 1982,
renforce l’emprise israélienne sur la banlieue nord. Maaleh
Adoumim, à sept kilomètres à l’est de Jérusalem,
contrôle depuis 1991 la route de Jéricho et de la Mer Morte. Har Homah, au sud-est, créé en
1997, surveille à la fois Bethléem et la route de Hébron. Quant à la zone E1,
elle doit relier Maaleh Adoumim
à Neveh-Yaakov.
A cet ensemble s’ajoute le Goush-Etzion
(Bloc d’Etzion), au sud-ouest de Jérusalem. Son
histoire est quelque peu différente. A l’origine, il ne fait pas partie du
schéma directeur, mais regroupe quelques localités prises et détruites par les
Jordaniens en 1948. Les enfants des premiers habitants s’y réinstallent dès
1967. La valeur stratégique du site n’apparaît qu’à partir des années 1980 :
une ville satellite, Beitar Illith,
est créée en 1984.
La seconde couronne s’interrompt dans un secteur assez étendu, entre Maaleh Adoumim et Har Homah, la localité arabe
d’Abou Dis. Israël a proposé à plusieurs reprises à l’Autorité palestinienne
d’y installer sa capitale. Ce qui lui permettrait d’affirmer qu’elle contrôle
la Jérusalem arabe.
La mise en place du Grand Jérusalem a suscité bien des
critiques. Les majorités automatiques de l’Onu (pays musulmans, nations
communistes puis post-communistes, nationalistes du
tiers-monde) ont sans cesse condamné la "judaïsation" de la Ville
sainte, ce qui peut prêter à sourire. Plus sérieux est le grief désormais
soutenu par la plus grande partie des pays occidentaux : tout ce qu’Israël a
construit depuis 1967 serait illégal, puisque réalisé dans un "territoire
dit occupé". C’est au nom de ce principe que l’Union européenne a condamné
les déclarations de Netanyahu sur la zone E1. Et que certains de ses membres
ont envisagé de prendre des sanctions contre Israël, notamment en refusant
l’importation de toute production industrielle ou agricole provenant de
"la Palestine occupée".
Mais l’illégalité pourrait être le fait de l’Union européenne. Quand elle était
en vigueur, de 1949 à 1967, la "ligne verte" (démarcation
israélo-jordanienne) n’était qu’une ligne de cessez-le-feu. Depuis qu’Israël
contrôle l’ensemble de la ville, en vertu d’un nouveau cessez-le-feu mettant
fin à la guerre des Six Jours, la plupart des chancelleries veulent y voir une frontière
internationale, sans expliquer comment elles en
arrivent à une telle conclusion. En outre, elles se refusent à rattacher
de plein droit à Israël l’ancien secteur israélien d’avant 1967,
Jérusalem-Ouest. Et ces chancelleries maintiennent leurs ambassades à Tel-Aviv.
La contradiction est flagrante. Si la
ligne verte est une frontière internationale, Jérusalem-Ouest est Israël.
L’ultime argument d’Israël sur Jérusalem, c’est que son
administration a été peu à peu acceptée par la population locale arabe. Un
sondage réalisé en 2011 par un institut palestinien, le Palestinian
Center for Public Opinion (PCPO), révélait que 30 % seulement des habitants
arabes de Jérusalem souhaitaient être rattachés à un Etat arabe de Palestine.
86 % d’entre eux redoutaient, dans cette hypothèse, "un niveau plus élevé
de corruption", et 74 % "la perte de leur liberté d’information et
d’opinion".
Certains dirigeants arabes le savent. Le 23 novembre, l’émir du Qatar, s’est
rendu à Gaza. Selon diverses sources arabes, il aurait demandé au Hamas de
faire la paix avec Israël : "Dans ce cas, je vous aiderai à transformer
Gaza en un Singapour du Moyen-Orient". Selon le journal chiite
libanais Al-Manar, proche du Hezbollah pro-iranien, il aurait même conseillé
aux Palestiniens d’abandonner leurs revendications sur Jérusalem : "Nous devons construire notre avenir sur ce qui existe".