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Par Michel Gurfinkiel, rédacteur en chef de
"Valeurs actuelles"
12 juin 2010
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Quand l’Onu remettait en question les statistiques des « réfugiés
palestiniens »….
Proclamé le 14 mai 1948 en fin d’après-midi, l’Etat d’Israël a accédé à
l’indépendance et à la souveraineté le 15 mai à zéro heure. Mais par la suite, ce
pays a préféré célébrer l’événement à sa date juive, le 5 du mois d’iyyar.
Laissée pour ainsi dire vacante, la date grégorienne a été récupérée et
détournée par les Etats et organisations arabes ou islamiques, qui en ont fait
un jour de deuil : Yôm al-Naqba, l’anniversaire de la Naqba ou
Catastrophe, c’est à dire de l’exil ou de l’expulsion des Arabes palestiniens.
Dans son discours du Caire, en 2009, le président américain Barack Obama
a esquissé une équivalence historique entre la Shoah et la Naqba. Il n’est pas
inutile de ramener l’événement à ses véritables proportions.
770 000 à 800 000 Arabes vivaient, au 1er janvier 1947, dans le
territoire dont Israël devait prendre le contrôle pendant la guerre de
1947-1948. 170 000 d’entre eux vivaient toujours sur le même territoire en
1949. Le reste - 600 000 à 630 000 âmes selon les estimations - avait donc
abandonné ses foyers dans l’intervalle.
Ces départs ont commencé dès l’été 1947, quelque neuf mois avant
l’indépendance d’Israël. Ils ont d’abord touché les élites arabes, plus de 100
000 âmes, qui ont préféré se mettre à l’abri dans les pays arabes voisins –
Liban, Syrie, Egypte – où elles avaient des liens familiaux ou même des
propriétés. Puis des populations plus humbles, que les chefs militaires arabes
appelaient à se replier pendant la durée des opérations : 300 000 âmes
supplémentaires, parmi lesquelles de nombreux Syriens ou Libanais immigrés en
Palestine dans les années 1920, 1930 et 1940. On compte enfin 150 000 expulsés
au sens propre, contraints au départ par les Israéliens en vertu de
considérations stratégiques.
Pour tragiques que ces événements aient été, ils n’ont rien eu
d’exceptionnel. On a compté plus de 20 millions de personnes déplacées et de
réfugiés en Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (dont près de 10
millions d’Allemands), 20 millions de réfugiés dans l’ancien Empire des Indes
après la partition de 1947. Au Moyen-Orient, 900 000 Juifs ont été expulsés des
pays arabes et islamiques à partir de 1945, sans espoir de retour, et les deux
tiers d’entre eux se sont réfugiés en Israël. Dix millions de chrétiens ont
également été exilés ou expulsés de ces mêmes pays tout au long du XXe siècle.
Le cas le plus récent est celui des Palestiniens chrétiens de
Cisjordanie : voici une vingtaine d’années, ils formaient 15 % de la
population locale ; depuis la mise en place d’un pouvoir palestinien
autonome, en 1994, ils ne sont plus que 2 à 3 %.
Sur le plan humanitaire, les réfugiés arabes palestiniens de 1948 ont
bénéficié d’une aide internationale plus importante que tous les autres
réfugiés du XXe siècle et du début du XXIe siècle, y compris les Juifs et les Chrétiens
du Moyen-Orient. Une agence spéciale des Nations Unies, l’UNRWA, a été créée à
leur intention, alors que les autres ont été soit ignorés, soit pris en charge
par une agence unique, l’UNHCR. Ils ont pu transmettre la qualité de réfugiés à
leurs enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, avantage dénié aux
autres groupes de réfugiés. Enfin, ils ont bénéficié d’une aide matérielle,
médicale et éducative supérieure, par tête, à tous les autres réfugiés.
Cette aide représentait en 1950 l’équivalent de 10 % du PNB libanais à
la même époque, un sixième du PNB syrien, 100 % du PNB transjordanien.
En 2008, l’UNRWA apportait son assistance à 4,6 millions de
"réfugiés" ou de personnes réputées telles, nés en grande majorité
après les évènements de
La même année, l’UNHCR disposait, pour les autres "réfugiés, personnes
déplacées et apatrides" du monde – soit 32,9 millions de personnes, réparties
sur cent seize pays et cinq continents - de 6260 professionnels seulement,
recrutés dans de nombreux pays. Son budget annuel était de 1,09 milliard de
dollars en 2008 et 1,1 milliard en 2009.
En d’autres termes, le tiers de l’ensemble des budgets de l’Onu destinés
aux réfugiés et 79,3 % des personnels chargés de porter assistance à des
réfugiés et autres personnes déplacées étaient attribués en 2008 à 13,9 %
seulement des populations concernées, les
Palestiniens.
Il faut évoquer un dernier point. Selon les premières enquêtes de l’Onu,
fin 1948 et début 1949, 130 000 des réfugiés arabes de Palestine subvenaient
eux-mêmes à leurs besoins : il s’agissait en gros, des réfugiés d’origine
bourgeoise, que nous avons mentionnés plus haut. Les réfugiés en situation de
détresse n’étaient donc alors que 500
000, au maximum. Mais on a bientôt fait état de plus d’un million de réfugiés
assistés. Qui étaient donc, dans ces conditions, les bénéficiaires
"supplémentaires" ? Trois cas seulement peuvent être envisagés :
des enfants nés après le déplacement ; des morts maintenus sur les
listes ; ou des non-réfugiés, palestiniens ou non-palestiniens, se faisant
passer pour des réfugiés.
La première hypothèse va à l’encontre de la physiologie humaine :
une population de 600 000 âmes ne saurait mettre au monde 500 000 à 600 000
enfants en deux ans. Reste les deux autres hypothèses : les morts
non déclarées et les inscriptions frauduleuses.
Les responsables de l’UNRWA notent dans leur rapport intérimaire du 19
octobre 1949 "que les naissances sont toujours enregistrées dans la
mesure où elles entraînent l’attribution d’une ration alimentaire, mais que les
décès sont souvent ou même systématiquement oubliés, de manière à ce que la
famille puisse continuer à obtenir la ration dont jouissait le défunt… "
Quant à la fraude, elle irait de soi, selon les mêmes
responsables : "En théorie, un réfugié n’a pas le droit de quitter
le camp où il s’est inscrit pour un autre… En réalité, il le fait souvent… Si
l’on tient compte en outre de l’habitude, solidement ancrée dans cette région
du monde, de se soustraire à tout recensement, on comprend qu’il est très
difficile, voire pratiquement impossible, de dresser des statistiques fiables en
ce qui concerne les réfugiés". Une étude publiée sous les auspices de
l’UNRWA en 1962, The Problem of the Rectification of the UNRWA Relief Rolls (Le
problème de la rectification des listes des bénéficiaires des secours de
l’UNRWA), avancera le chiffre minimum de 317 000 "non-réfugiés"
initiaux reconnus pour tels.
L’UNRWA décida finalement de procéder à un recensement des réfugiés et
"autres demandeurs". L’opération commença en mai 1950. Elle tourna
rapidement au fiasco : la plupart des quatre cents enquêteurs se
laissaient corrompre, ou faisaient l’objet de menaces; il fallait les
remplacer, ou leur procurer des gardes du corps. Au printemps 1951, l’UNRWA
licencia l’ensemble de l’équipe, et lui substitua un nouveau personnel, mieux
préparé à sa tâche. En outre, elle suspendit les nouvelles inscriptions jusqu’à
la fin du recensement : une mesure qui, pensait-on, allait inciter les
demandeurs à plus de discipline. En fait, des émeutes éclatèrent. Cette fois,
l’agence internationale joua le tout pour le tout, en suspendant la
distribution des secours. Nouvelles émeutes, plus violentes encore que les
précédentes. La presse arabe accusa l’UNRWA de vouloir assassiner les réfugiés,
en commençant par "les enfants privés de lait".
L’UNRWA cèda sous ces pressions. En juin 1951, elle renonça au
recensement et reprit ses distributions. En contrepartie, les gouvernements
arabes acceptèrent de "plafonner les populations de réfugiés et
autres victimes de 1948" à près d’un million de personnes, étant entendu
que les enfants à venir seraient agrégés à ce premier total. Cela pouvait
passer pour un compromis. Mais en fait, c’était le début de la pérennisation,
par l’hérédité, de la question des réfugiés arabes de Palestine. Une bombe à retardement qui n’a pas fini d’éclater, une
soixantaine d’années plus tard.