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APRÈS LA LARGE VICTOIRE DE MAHMOUD ABBAS AUX ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES
PALESTINIENNES
Dans les pas de Yasser Arafat
Par Amnon Kapeliouk, journaliste et écrivain israélien. Dernier ouvrage paru, une biographie du chef palestinien décédé : Arafat l'irréductible (520 p., Fayard, 2004).
Article paru dans le Figaro 11 janvier 2005
Les élections présidentielles de l'Autorité palestinienne peuvent être analysées sous trois angles différents : le fonctionnement des institutions étatiques à la suite de la disparition du chef et symbole du mouvement national palestinien ; la scène politique des territoires autonomes soumis à la «réoccupation» israélienne depuis l'Intifada d'al-Aqsa ; enfin, les visées israélo-américaines et leurs répercussions.
Le passage à la nouvelle réalité après la mort inattendue et traumatique d'Abou Ammar (Yasser Arafat), s'est déroulé sans anicroche. On n'a vu ni la lutte acharnée pour le pouvoir ni le chaos que certains intéressés avaient prévu et espéré. En outre, le principal candidat à la présidence, Mahmoud Abbas (alias Abou Mazen), représentant du mouvement Fatah, s'est affiché lors de la campagne électorale comme l'alter ego d'Arafat, ce qui a contenté la rue et lui a apporté un soutien important dans les sondages et lors du scrutin. Son but était de montrer que la continuité existe bel et bien.
Abou Mazen a répété sans cesse qu'il est déterminé à suivre scrupuleusement la
voie du raïs défunt. «Je suis obligé de poursuivre la politique de Yasser
Arafat. Je suis lié au dernier discours d'Arafat devant le Conseil constitutif [du
18 août 2004]. S'il s'agit d'un discours extrémiste, comme certains le
prétendent, je suis également extrémiste, mais en fait je ne le suis pas. Je
l'ai relu et je peux vous confirmer que les propos d'Arafat sont logiques et
pragmatiques et que j'y adhère complètement», a-t-il dit, trois jours avant
le scrutin.
Les élections de dimanche en territoire palestinien achèvent le premier
chapitre de la période de l'après Arafat. Le vote s'est déroulé dans l'ordre et
– semble-t-il – sans irrégularités. Dans aucun pays arabe, on ne voit des
élections aussi correctes que celles qui se sont déroulées avant-hier en
Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Le premier ministre, Ahmad Qoreï (alias
Abou Ala), dans un moment de réflexion philosophique, m'a dit avant les
élections : «Si Abou Ammar (Yasser Arafat) pouvait voir là-haut ce qui s'est
passé ici depuis sa mort, il serait content et nous encouragerait à continuer.»
Le Fatah, le mouvement de Yasser Arafat, sort vainqueur de l'épreuve
électorale. Sa cohésion a été maintenue et la fronde des jeunes en colère,
dirigée par le prisonnier palestinien le plus populaire, Marwan Barghouti, aidé
de ses amis, a été étouffée avec l'aide du radical Farouk Kadoumi qui, en temps
normal, se situe aux antipodes d'Abou Mazen. Certes, la mouvance islamique –
Hamas en tête – a boycotté officiellement la consultation en ne présentant pas
de candidat, la base de ces élections étant les accords d'Oslo, qu'ils
rejettent d'emblée...
Pourtant, une partie des intégristes a décidé de participer au vote pour
renforcer la position du candidat central de l'opposition, le Dr Moustafa
Barghouti, un laïc de gauche. Ce dernier représente la surprise de ces
élections, car il est arrivé dans tous les sondages en deuxième position après
Abou Mazen, distançant de loin les cinq autres candidats.
Pendant une courte période, en 2003, lorsque Abou Mazen servait comme premier ministre, le Hamas l'a accusé de trahison pour «avoir renoncé aux sacro-saints principes du mouvement national». La rhétorique des intégristes n'atteint pas aujourd'hui ce niveau de critiques, mais ils adressent constamment des blâmes à l'égard des plans de Mahmoud Abbas.
Abou Mazen (Mahmoud Abbas) sait bien qu'il n'a pas la force d'imposer un
cessez-le-feu aux organisations militantes armées, y compris aux Brigades des
martyrs d'al-Aqsa, appartenant à son propre parti – le Fatah –, tant que le
gouvernement Sharon n'aura pas accepté d'arrêter les meurtres et les incursions
de l'armée israélienne en territoire palestinien. Or, le général Sharon répète
depuis toujours que la condition sine qua non à tout progrès – aussi
minime soit-il – vers la relance d'un processus politique est «l'arrêt total
du terrorisme», c'est-à-dire de toutes les phases de la résistance à
l'occupation, y compris de la lutte contre l'armée d'occupation et contre les
colons, ainsi que l'écrasement de toutes les organisations terroristes. «Il
s'agit, dit-il, d'actes sur le terrain et non pas de paroles en l'air.» Les
chefs du Hamas connaissent bien les contraintes de Mahmoud Abbas qui évitera à
tout prix de faire le jeu de Sharon en ouvrant le feu contre ses frères. Le
nouveau président dira à Sharon que la fin de l'occupation, qui dure bientôt
depuis trente-huit ans, est la clé de la paix. Cela dit, des contacts
permanents se tiennent toujours entre l'entourage d'Abou Mazen et le Hamas en
vue d'un arrêt des hostilités.
Le Hamas voudrait devenir une partie intégrante du processus de décision au
sein de l'Autorité palestinienne, et il se prépare aux élections parlementaires
du mois de juillet prochain. S'il y obtenait de bons résultats, cela
constituerait un handicap supplémentaire pour Mahmoud Abbas. Mais nous n'en
sommes pas encore là. Entre-temps, il faudra que le nouveau président montre à
son peuple qu'il est capable de remédier à la situation catastrophique de
l'économie palestinienne et d'oeuvrer à la libération d'un grand nombre de
prisonniers parmi les sept mille en butte actuellement à une situation
déplorable dans les prisons israéliennes.
Pour rencontrer des succès dans ces domaines, il faudrait que la politique
d'Israël change de cap. Pourtant Israël aimerait tout d'abord constater l'arrêt
de toute activité contre l'occupation, avant d'alléger sa propre politique se
résumant à des punitions collectives, les barrages installés partout en
Cisjordanie rendant la vie insupportable et faisant gonfler le taux du chômage
jusqu'à 55%. La moitié de la population palestinienne vit aujourd'hui
au-dessous du seuil de pauvreté.
Parallèlement, les chantiers de construction dans les colonies israéliennes
créées en Cisjordanie se poursuivent sans relâche. L'objectif essentiel du plan
de Sharon de désengagement de la bande de Gaza – comme l'a révélé son homme de
confiance, Dov Weisglass – est destiné, en plus du gel du processus de paix, à
conférer un statut permanent aux implantations de Cisjordanie afin de les
annexer. Le président Bush a promis à Sharon de soutenir ces annexions. Pour
Mahmoud Abbas (Abou Mazen), la poursuite de la colonisation et de la
construction du Mur sur les terres du futur État palestinien visant à légaliser
les annexions en Cisjordanie empêche tout règlement de paix avec Israël. Ariel
Sharon se berce d'illusions s'il croit que le nouveau président palestinien
acceptera de jouer un rôle facilitant ses visées.
Yasser Arafat, avec son poids et son énorme prestige, pouvait prendre des décisions impopulaires, comme à Oslo et ailleurs. Or, Sharon a contribué à lui rendre la vie très difficile, et peut-être même à l'écourter, en l'enfermant d'une façon scandaleuse pendant trois ans dans son QG détruit et mal aéré. Un jour, les Israéliens regretteront Arafat.