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CAUSES ET REPERCUSSIONS
DU CONFLIT ENTRE LE FATAH ET LE HAMAS
rofesseur
émérite de littérature arabe à l'Université hébraïque de Jérusalem et directeur
du Middle East Media Research Institute (MEMRI).
Traduction d'un exposé du Pr Menahem Milson donné le
5 juillet 2007 à Washington D.C. par MEMRI- Enquête et analyse n° 376
Les événements de Gaza
Le prise de contrôle par le Hamas de la bande de Gaza a été le point
culminant de deux phénomènes distincts qui ont vu le jour il y a quelques
années.
Le premier est la résurgence de l'islam comme
principal fondement de l'identité individuelle et collective au Moyen-Orient.
Je développerai le sujet plus bas, mais il convient pour l'instant de souligner
qu'à Gaza, où les Frères musulmans sont bien implantés depuis des années,
l'islamisation a eu une portée particulièrement importante. Elle s'est faite
non seulement par l'endoctrinement dans les mosquées, mais aussi par l'octroi
de services sociaux en tous genres : jardins d'enfants, cliniques,
organisations caritatives - services pourvus sous la bannière de la charité
islamique.
Le deuxième phénomène est le déclin du pouvoir et du
prestige de l'Autorité palestinienne et de son principal composant : le Fatah. Ce
processus de déclin a été entamé dès la création par Yasser Arafat de
l'Autorité palestinienne à Gaza et en Cisjordanie. L'OLP, et le Fatah en
particulier - l'organisation d'Arafat et la principale composante de l'OLP,
manquèrent le passage de la "lutte contre l'ennemi sioniste" à la création
d'une institution de gouvernance. La corruption et une direction inefficace
dans les territoires de l'Autorité palestinienne ont créé un vide qui a été
comblé par le Hamas. Bien que le Hamas, comme tous les groupes islamistes,
rejette la démocratie par principe, il a su tirer profit de l'opportunité des
élections du Parlement palestinien (en janvier 2006), obtenant la majorité des
sièges. Le Hamas a alors formé un gouvernement avec Ismaïl Haniyeh comme
Premier ministre. Le Fatah, vaincu aux élections, a refusé de céder le pouvoir
(notamment les fonds publics et le contrôle des forces armées) au Hamas. Les
Saoudiens ont fait une tentative pour résoudre le différend en négociant un
arrangement entre les mouvements rivaux (l'accord de la Mecque de février
dernier) - arrangement qui n'a de toute évidence pas tenu.
Les deux parties diffèrent profondément dans leur perception de la
crise : le Hamas est convaincu que le Fatah a tenté de lui dérober son mandat
justement acquis par les élections, tandis que le Fatah a toujours considéré le
Hamas comme un dangereux rival qui remet en cause sa légitimité. Le Hamas s'est
opposé, et demeure opposé, aux accords d'Oslo, ainsi qu'à tout autre traité de
paix avec Israël, étant disposé à n'envisager que des cessez-le-feu
temporaires. Le paradoxe réside dans le fait que le Hamas est prêt à prendre
part à l'Autorité palestinienne tout en refusant de légitimer les accords
d'Oslo, qui en sont les fondements. Cela peut s'expliquer par l'espoir que
nourrit le Hamas de prendre le contrôle, en temps voulu, de toute l'Autorité
palestinienne, et d'en modifier la nature.
Les violents affrontements de ces derniers mois ont conduit à
l'effondrement total de l'Autorité palestinienne à Gaza. Les forces de sécurité
de l'Autorité palestinienne, fortes de 40 000 hommes, ont été aisément vaincues
par les unités armées du Hamas, fortes de seulement 5 000 hommes. Les unités de
l'Autorité palestinienne se sont rendues et n'ont plus fait parler d'elles. Les
dirigeants du Fatah se sont enfuis à Ramallah. Même si le nombre de victimes,
s'élevant à 125 personnes, dont 25 passants anonymes, n'est pas des plus
élevés, comparé à ce qui se passe ailleurs au Moyen-Orient, la brutalité des
meurtres, retransmis sur les chaînes télévisées arabes, a été un grand choc :
un activiste du Fatah a notamment été poussé du sommet du plus haut immeuble de
Gaza ; un officier du Fatah du nom de Samih Al-Madhun a été abattu en public
alors qu'il était déjà blessé, et son corps a ensuite été mutilé. D'autres
membres du Fatah, faits prisonniers, ont reçu des coups de feu dans les
rotules.
En réaction, Abou Mazen a dissout le gouvernement dirigé par Ismaïl
Haniyeh, ainsi que le Parlement contrôlé par le Hamas, et a nommé un cabinet
d'urgence ayant Salam Fayad, qui a travaillé à la Banque mondiale, comme
Premier ministre.
La nature du Hamas, son mode de fonctionnement, ses tactiques, ses
objectifs stratégiques et ses alliances sont apparus au grand jour. Notons
qu'avant ces événements (à l'époque où le Hamas faisait officiellement partie
d'un gouvernement de coalition avec le Fatah), Abou Mazen avait préféré
occulter les différences insolubles distinguant son mouvement politique, le
Fatah, du Hamas - dans l'espoir de parvenir à une coexistence pacifique avec ce
dernier. Mais aujourd'hui, il est devenu douloureusement clair pour la
direction du Fatah qu'une telle coexistence est impossible. Les deux parties
ont été incapables de partager le pouvoir parce que leurs visions du monde sont
diamétralement opposées. Telle est la leçon que les pays arabes voisins -
l'Egypte, la Jordanie et l'Arabie Saoudite - ont aussi apprise.
Le Hamas dans la bande de Gaza se trouve dans le même camp que le
Hezbollah au Liban et que divers groupuscules affiliés à Al-Qaïda qui
fonctionnent comme des émissaires de l'Iran et de la Syrie. Nous voyons se
former des alliances qui, dans une optique purement religieuse, semblent des
plus improbables : le Hamas, mouvement fondamentaliste sunnite, est allié au
Hezbollah chiite, et agit comme un émissaire de l'Iran chiite et du régime
baasiste syrien, lequel opprime durement les Frères musulmans en Syrie. Comme
dit le dicton "Politics makes strange bedfellows", la politique donne
lieu à de bien étranges liaisons.
L'Iran chiite, qui s'efforce de devenir une puissance régionale, ne
néglige aucun allié susceptible d'être utilisé comme émissaire pour combattre,
menacer et déstabiliser ses ennemis et les rivaux, c'est-à-dire les régimes
alliés à l'ennemi n°1, les Etats-Unis, à son concurrent régional l'Arabie Saoudite
et, bien sûr, à Israël. C'est ainsi que l'on voit assiste à un alignement de
l'Iran chiite avec la Syrie laïque, avec le Hezbollah chiite, avec les
terroristes d'Al-Qaïda, sunnites, et avec le Hamas.
Ainsi, il est évident que le conflit entre le Fatah et le Hamas ne
découle pas d'un simple rapport de forces entre factions palestiniennes. Je
vais tenter d'en expliquer les implications régionales et les répercussions
mondiales.
Contexte général - L'islam comme facteur politique
Vous pourriez trouver dans les quotidiens de ces dernières semaines
mention de la plupart des faits que je viens d'énoncer. Mais afin de bien
comprendre la signification et les implications de cette nouvelle situation, il
nous faut situer le lieu de la faille dans la région, identifier les alliés
régionaux des deux côtés, définir les causes qu'ils défendent, et surtout nous
pencher sur le rôle de l'islam comme facteur politique.
L'islam est, en principe, à la fois une confession religieuse et une
communauté politique. Bien entendu, à l'époque moderne, la réalité vécue par la
plupart des musulmans ne correspond pas tout à fait à cette vision des choses,
qui demeure toutefois un idéal dans une optique islamiste : l'idéal d'une
nation (oumma) islamique régie par la loi d'Allah. La confluence de l'islam et
de la politique n'est pas une caractéristique islamiste : même parmi les
régimes non islamistes, le rapport étroit entre islam et politique est
omniprésent, chaque mesure politique ayant une connotation islamique.
S'il est vrai que l'idéal de l'unité islamique est au cour de la foi
musulmane, l'islam se divise, depuis ses débuts, en deux branches antagonistes
: les sunnites et les chiites. La grande majorité des musulmans dans le monde
(près de 90%) est sunnite. Au Moyen-Orient toutefois, la majorité sunnite n'est
pas si écrasante ; la présence chiite est importante, non seulement en Iran
(principalement chiite), mais aussi dans un grand nombre de pays arabes : au
Liban, où les chiites forment probablement la communauté la plus importante, en
Arabie saoudite, où leur pourcentage réel est un secret d'Etat, dans les Etats
du golfe Persique, et en Irak, où ils sont majoritaires.
Ainsi, la rivalité qui existe entre deux puissances déterminantes de la
région, l'Iran et l'Arabie saoudite, a une dimension religieuse distincte. Cet
aspect de la confrontation revêtait une moins grande importance avant la
Révolution islamique de 1979 en Iran, vu que le Shah n'était absolument pas
religieux, et vu que ces deux pays se trouvaient dans l'orbite des Etats-Unis.
Mais avec la Révolution islamique, la situation a évolué de façon radicale.
La prise de contrôle de l'ambassade des Etats-Unis et la prise d'otages
américains par des étudiants iraniens le 4 novembre 1979 ont été saluées de
part en part du monde musulman comme une victoire de l'islam sur les infidèles.
Ce groupe d'étudiants iraniens (dont Ahmadinejad aurait fait partie) avait
réussi à humilier la superpuissance américaine. Voilà qui confirmait la
croyance islamiste selon laquelle en agissant sans peur au nom de l'islam, les
musulmans pourraient vaincre les infidèles. Le fait que c'était une victoire
des chiites, minoritaires dans le monde musulman, n'a pas affaibli le sentiment
de réussite chez les musulmans de façon générale. Dans un monde divisé en deux
camps - entre croyants et infidèles -, la solidarité des musulmans à l'égard de
l'Iran de Khomeiny fut quasi générale.
Pour le régime saoudien toutefois, le prestige de la Révolution
islamique posait un problème. Aux yeux de ce dernier, c'est la Maison des
Saoud, protectrice des deux lieux saints - la Mecque et Médine - qui est la
gardienne légitime de l'islam véritable, c'est-à-dire de l'islam sunnite,
conformément à la doctrine wahhabite. A yeux des dirigeants saoudiens, c'était
donc à eux de diriger le Réveil islamique, et non à l'ayatollah Khomeiny, cet
hérétique chiite, considéré comme à peine mieux qu'un infidèle. L'aura
religieuse de la Maison des Saoud avait toujours représenté un atout politique
dans l'arène panarabe internationale, et encore plus au sein du Royaume. Afin
de préserver son statut religieux, il lui fallait gagner la bataille pour le
statut de champions de l'islam dans le monde - pour le cour et l'esprit de tous
les musulmans.
Pour relever le défi posé par la révolution iranienne, les Saoudiens
ont donc opté pour une double action : ils ont lancé le djihad contre
l'invasion soviétique de l'Afghanistan en 1979 et ont lancé une opération à
grande échelle de propagation de l'islam. A cette fin, ils ont investi des milliards
de dollars, par le biais d'organisations caritatives islamiques, dans la
construction de mosquées et de centres religieux (madrassas) dans le monde
entier. De toute évidence, ces madrassas et mosquées étaient le lieu de la
propagation de l'islam djihadiste. Bien que le phénomène soit difficilement
quantifiable, son influence est palpable jusque dans les communautés musulmanes
les plus reculées, de Manchester à San Diego, de Durban à Copenhague. L'un des
bénéficiaires de ces largesses saoudiennes fut le Hamas, rejeton palestinien
des Frères musulmans égyptiens, fondé en 1987.
La débâcle soviétique de 1989 en Afghanistan a représenté une grande
victoire pour l'islamisme. Dix ans après la révolution islamique chiite de
Khomeiny en Iran, l'islam sunnite triomphait de la puissance communiste
infidèle. Les Etats-Unis pensaient alors avoir efficacement manipulé l'islam
pour assener un coup aux Soviétiques. Mais pour les islamistes, il ne
s'agissait là que de l'un des actes d'une pièce qui se jouerait à échelle
internationale jusqu'à la victoire ultime de l'islam, qui impliquerait la
défaite des Etats-Unis.
Le tournant du 11 septembre
La grande victoire islamique qui a suivi fut le 11 septembre 2001 - un
tournant historique pour le monde entier, mais plus encore pour le
Moyen-Orient. Le 11 septembre a rendu évident le fait que l'islam est un
facteur politique essentiel de la politique régionale du XXIème siècle. C'est
un fait que les Occidentaux ont du mal à intégrer, les Israéliens tout comme
les Américains, tout comme les personnes ordinaires qui suivent les nouvelles
ou lisent les spécialistes du Moyen-Orient : à n'en pas douter, nous avons tous
appris depuis le 11 septembre l'existence du terrorisme islamiste et compris
que les intégristes islamistes sont prêts à commettre les pires atrocités pour
Allah. Toutefois, l'idée que des concepts et des inimitiés religieuses datant
du VIIème siècle constituent une composante majeure de la politique actuelle
est difficile à avaler pour les Occidentaux. C'est pourtant un fait. Le Hamas
croit véritablement qu'Allah lui accordera la victoire sur un Fatah sans Dieu
et l'aidera à supprimer Israël de la surface de la terre. Et le président
iranien Ahmadinejad pense vraiment que c'est son destin de préparer la venue du
Mahdi (messie islamique) qui doit avoir lieu, selon Ahmadinejad, dans
approximativement deux ans.
Le dédoublement de personnalité de l'Arabie saoudite
Le 11 septembre 2001 fut un tournant pour les Saoudiens pour une raison
précise : ils ont compris qu'ils avaient perdu le contrôle de leur campagne
pour le « réveil de l'islam », entamée vingt ans plus tôt, et que celle-ci
s'était retournée contre eux. La révélation est arrivée avec une série
d'attaques terroristes en Arabie saoudite même. Le djihad, principe fondamental
de la doctrine wahhabite que les Saoudiens avaient tant fait pour promouvoir
dans d'autres pays, était à présent dirigé contre eux. Les Saoudiens se sont
trouvés contraints de revoir leur propre discours et leurs programmes éducatifs
et de réinterpréter leur wahhabisme officiel afin qu'il ne devienne pas une
menace pour leur survie et leurs alliances internationales vitales.
Cette réévaluation est encore en cours, et il est trop tôt pour rendre
un verdict final à son sujet. Sur le front intérieur, les Saoudiens combattent
avec beaucoup de persévérance et d'intransigeance le terrorisme islamiste au
sein du Royaume. Ils ont en outre pris position en faveur d'Abou Mazen contre
le Hamas à Gaza. Toutefois, ils soutiennent en parallèle les terroristes
sunnites qui attaquent les chiites en Irak. On assiste à un paradoxe similaire
avec le financement par la famille royale saoudienne des principaux médias
électroniques progressistes, alors que c'est aussi l'Arabie saoudite qui les
bloque dans le royaume. Les exemples de ce type ne manquent pas.
Le combat pour la conquête de l'âme arabe est symptomatique du combat
pour l'âme du Moyen-Orient dans son ensemble ; c'est un combat latent depuis
des dizaines d'années, qui est passé sur le devant de la scène depuis le 11
septembre. Ce combat oppose les mouvements islamistes alliés à l'Iran et à la
Syrie aux gouvernements qui, bien que pas véritablement laïques et
démocratiques, ont le mérite d'être moins fanatiques et plus tournés vers
l'Occident. Ce combat se joue sur des terrains nombreux et variés, dont le
Liban, Gaza, l'Irak, mais partout le conflit sous-jacent est le même.
Comme vous pouvez le constater, j'évite soigneusement de qualifier les
parties adverses de "bons" ou de "mauvais", parce que tout
ce que je peux honnêtement dire, c'est que d'un côté on a des fanatiques, et de
l'autre des éléments moins fanatiques et plus ouvertes à l'Occident,
représentant donc un moindre mal.
La complexité de la situation est illustrée de façon frappante par le
cas du Qatar. Ce petit émirat du Golfe, de près d'un million de citoyens,
héberge la plus grande base militaire américaine de la région, et entretient
des relations économiques et dans une moindre mesure, diplomatiques, avec
l'Etat d'Israël. Parallèlement, c'est l'émir du Qatar qui a fondé et continue
de contrôler Al-Jazeera, la télévision arabe jouissant de la plus grande
influence, qui prend clairement parti pour l'axe islamiste "Al-Qaïda, le
Hamas, le Hezbollah, les Frères musulmans et l'Iran".
On explique généralement ce parti pris, qui semble démentir l'image
d'un Qatar allié des Américains, par la volonté d'Al-Jazeera de maintenir un
taux d'audience élevé en caressant dans le sens du poil la légendaire "rue
arabe". Cette explication est juste, et en dit long, mais elle n'est que
partielle. L'explication complète est que ce parti pris d'Al-Jazeera reflète la
vérité paradoxale selon laquelle le Qatar, tout allié des Etats-Unis qu'il est,
poursuit une politique ouvertement pro-Hezbollah, pro-Syrie, pro-Iran et pro-Hamas
dans ses relations internationales. Ainsi, c'est l'opposition du Qatar qui a
fait avorter le projet du Conseil de sécurité sponsorisée par les Etats-Unis
d'exprimer son soutien pour le gouvernement d'urgence d'Abou Mazen et de
condamner la violence du Hamas. Le Qatar a en outre essayé - sans succès - de
contrecarrer la résolution du Conseil de sécurité pour la création d'un
tribunal international devant juger les assassins du Premier ministre libanais
Rafik Hariri. Dans ces deux cas, le Qatar se trouvait dans le camp opposé aux
Etats-Unis et dans le même camp que la Russie.
Contexte international
Et j'en arrive ainsi au contexte international (et à la fin de ma
présentation) : la Russie, en cherchant à redevenir l'un des principaux acteurs
au Moyen-Orient, a adopté une position de soutien à l'Iran et à l'ensemble de
l'axe islamiste. Telle est la raison de la curieuse entente entre la Russie et
le Qatar.
A mon avis, il est clair que les Etats-Unis, malgré tout ce que l'on
peut penser de leur politique dans tel ou tel domaine, ont raison sur ce point
; ils soutiennent les forces du moindre mal contre la vague du millénarisme.