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UN PEUPLE, DEUX TERRITOIRES, ET UN IMMENSE FOSSE

 

Par Rajab Abou Srié
Al-Ayyam - Ramallah

Traduit par Courrier International hebdo n° 889 - 15 nov. 2007

 

Séparées en 1948, la Cisjordanie et la bande de Gaza n’ont été réunifiées que par l’occupation israélienne. Aujourd’hui, ce sont deux entités qui se tournent le dos. Le constat courageux et amer du quotidien de Ramallah.

L’écrivain palestinien Emile Habibi (1921-1996) disait que la défaite arabe de 1967 (guerre des Six-Jours) avait au moins eu l’avantage d’avoir uni les Palestiniens (ceux des Territoires occupés et ceux qui étaient restés dans l’Etat d’Israël de 1948). La suite des événements a montré que même Habibi, réputé pour son "peptimisme" (un mélange d’optimisme et de pessimisme), péchait encore par excès d’optimisme. Il n’y a pas eu d’unité entre les Palestiniens de 1948 et ceux de 1967, puisque les premiers sont citoyens d’Israël, même si c’est de deuxième ou énième ordre, alors que les seconds vivent sous le régime de ­l’occupation. Même entre Gaza et la Cisjordanie, l’unité n’a pas été atteinte. En 1948 (ors de la création de l’Etat d’Israël), la Cisjordanie et ses habitants avaient été rattachés au royaume de Jordanie. Quant à la bande de Gaza, elle avait été placée sous administration égyptienne. Le but n’avait pas été d’en faire un territoire égyptien, mais seulement d’empêcher l’émergence d’une entité palestinienne (autonome). Sa population était gérée par Le Caire de la façon dont toutes les capitales ont agi avec les Palestiniens, en les tenant à l’écart, tout en les empêchant de développer leur identité.
Puis, en 1967, les deux territoires se retrouvent unis sous la même occupation israélienne. Les contacts et la circulation devenaient beaucoup plus faciles et, en théorie, rien n’aurait dû empêcher le développement d’une continuité économique et sociale. Or toutes les études faites à ce sujet indiquent qu’il n’en a rien été ou presque, et que la réalité est loin des beaux discours. Combien de personnes se sont mariées avec quelqu’un de l’autre territoire ? Combien y ont déménagé ou cherché du travail ? Combien d’entreprises ­ont travaillé de part et d’autre ? Les liens sociaux et économiques entre Gaza et la Cisjordanie restaient même plus faibles que ceux que chaque côté continuait respectivement à entretenir avec l’Egypte et la Jordanie. Les seuls liens qui se sont véritablement développés sont ceux avec Israël, par les échanges commerciaux et l’embauche de travailleurs palestiniens dans des entreprises israéliennes. Tout cela montre qu’on avait affaire à deux “entités” distinctes, qui n’étaient unies que par le fait de se trouver sous la même occupation. L’établissement de l’Autorité palestinienne, en 1994, n’a pas produit davantage d’interpénétration. En treize ans d’existence, l’Autorité n’a pas été en mesure d’unifier socialement et économiquement les deux territoires, ce qui constitue probablement l’une des nombreuses raisons qui ont provoqué sa chute à Gaza [juin 2007]. La seule exception qui confirme la règle a été la récente réaffectation de milliers de policiers fidèles au Fatah en Cisjordanie après la victoire du Hamas dans la bande de Gaza. Cette exception illustre d’autant plus l’écart qui existe entre les deux territoires que les épouses et enfants de ces policiers sont restés dans la bande de Gaza surpeuplée, alors que leur installation en Cisjordanie aurait été une occasion en or de contrecarrer la colonisation israélienne de ses terres peu peuplées.