www.nuitdorient.com
accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site
LA GUERRE AURA LIEU
Par Jean Louis
Dufour, consultant
militaire, officier de carrière dans l’Armée française, ex-attaché militaire au
Liban, chef de corps du 1er Régiment d’infanterie de marine. Il a aussi
poursuivi des activités de recherche: études de crises internationales,
rédacteur en chef de la revue Défense et auteur de livres de référence sur le
sujet, dont «La guerre au XXe siècle» (Hachette 2003), «Les crises
internationales, de Pékin à Bagdad», (Editions Complexe, 2004)
Article paru dans l'Economiste,
un quotidien marocain - 17/04/08
Voir aussi
www.nuitdorient.com/n21.htm
pour tout savoir sur l'Autorité Palestinienne
Et aussi
pour connaître les 50 derniers
articles
Une horloge arrêtée
donne l’heure exacte deux fois par jour. Même chose au Proche-Orient. A force
d’annoncer la guerre, les analystes finiront par avoir raison. Depuis plusieurs
mois, les indices de conflit s’accumulent. Qu’on en juge!
Septembre 2007: bombardement israélien d’une installation nucléaire en Syrie.
Février 2008: accroissement spectaculaire des capacités américaines de stockage
pétrolier; assassinat le 12 à Damas du numéro 2 du Hezbollah.
Mars: présence de bâtiments de la 6e flotte US au large du Liban. Avril:
manoeuvres israéliennes, les plus importantes jamais organisées dans le pays;
annulation d’un voyage en Allemagne du ministre israélien de la Défense;
mouvements de grandes unités syriennes; rappel de réservistes en Syrie.
Avril, d’ailleurs, est le mois idéal pour lancer de vastes opérations. Le nom
de la manoeuvre israélienne laisse rêveur: «Turning point», le
«tournant», une expression employée par Churchill pour célébrer la reddition de
la 6e armée allemande à Stalingrad en 1943. De tous ces faits, aucun n’est en
soi déterminant. Tous ensembles, ils impressionnent mais sans rien dire des
évènements à venir. Si guerre il doit y avoir, où, quand et contre qui
aura-t-elle lieu?
L’ennemi d’Israël le plus immédiat est à Gaza. Si les FDI(1) veulent prendre
leur revanche de leur échec au Liban, l’été 2006, contre le Hezbollah, elles
doivent d’abord neutraliser le Hamas pour ne pas être contraintes de se battre
sur deux fronts. Plusieurs sources font état de l’intention d’Israël d’envahir
la bande de Gaza mais nul ne sait quand l’opération interviendra. Toutefois,
les indices relevés donnent à penser qu’un affrontement entre Tsahal(2) et le
Hezbollah n’est pas inimaginable, à condition pour Israël d’en avoir fini
avec le chaudron de Gaza.
De ce chaudron s’échappent des vapeurs brûlantes. L’enfermement dont ils sont
les victimes paraît aux «Gazaouis» de plus en plus insupportable. Jeudi
dernier, Le Caire a interdit toute livraison de marchandises à Rafah, ville
égyptienne proche de Gaza. Mieux vaut ne pas inciter les Palestiniens à forcer
de nouveau la barrière qui les sépare de l’Egypte. La veille, des militants du
Hamas avaient attaqué le dépôt de carburant de Nahal Oz, situé du côté hébreu
de la frontière, tuant deux civils israéliens. Mardi 8, un accrochage dans le
sud de Gaza a coûté la vie à un Palestinien et à un soldat israélien. Vendredi
11, cinq Palestiniens, dont deux adolescents ont été victimes des tirs d’un
char. Ce matin-là, une unité israélienne a fait irruption dans le secteur
central afin, dit le communiqué, d’y détruire des «infrastructures terroristes»
et de contraindre les Palestiniens à se tenir éloignés de la clôture. Jour
après jour, la situation se tend. Les tirs palestiniens de roquettes et d’obus
de mortiers ne cessent pas. Israël se voit contraint d’agir sous peine de
laisser le champ libre au Hamas pour parfaire sa préparation.
Une milice impressionnante
Selon un rapport d'un
centre de recherche stratégique israélien(3), indépendant mais proche de
l’état-major(4) et qui doit être rendu public demain, la branche militaire du
Hamas progresse considérablement. Subventionnée par Téhéran, la milice améliore
ses procédés d’infiltration en Israël. Elle réceptionne nombre de roquettes
plus précises, plus lourdes et d’une plus grande portée, elle stocke des engins
antichars d¹un type éprouvé au Liban en 2006. Quatre-vingt tonnes d’explosifs
ont été importées en huit mois. Venant d’Egypte et introduites à Gaza via
plusieurs dizaines de tunnels, ces munitions servent à fabriquer des pièges
puissants destinés à être enterrés le long des itinéraires. L’effort porte
aussi sur la formation des combattants. Ils sont des centaines à suivre des
stages au Liban, en Syrie, en Iran, dans les domaines du combat comme du
maintien de l’ordre. 20.000 hommes seraient prêts à défendre Gaza contre un
assaut israélien. A l’instar du Hezbollah en 2006, le Hamas veut exaspérer son
adversaire pour l’amener à la faute. Les tirs de roquettes sont conçus pour
attirer les FDI sur un terrain soigneusement préparé: Gaza! Une chose, en
effet, est de tronçonner avec quelques chars la bande en plusieurs secteurs
destinés à être traités un par un, une autre est d’inspecter à fond cet
incroyable fouillis. A Gaza, constructions diverses, maisons, souterrains,
impasses, ruelles, caves, positions de tirs, s’entremêlent sans logique
apparente et sans plan disponible. Dans ces conditions extrêmes de combat
urbain, l’enchevêtrement des combattants limite l’emploi des appuis et
compromet la cohérence des actions de l’assaillant. Celui-ci, Israël en
l’occurrence, risque à la fois de subir des pertes sensibles et de tuer des
centaines de civils palestiniens, femmes, enfants, vieillards, jusqu’à créer
une opposition déterminée, à la fois intérieure et étrangère, à toute opération
majeure dans la bande de Gaza.
Après 60 ans d’existence et quelques succès militaires signalés, Israël dispose
d’un incomparable outil de combat, puissant, précis, manoeuvrier. L’état-major,
l’armée de l’air, l’encadrement des unités sont d’une qualité sans égal. Il
n’existe quasiment pas d’armée au monde capable d’affronter Tsahal avec une
once de succès. En revanche, deux milices, le Hezbollah et le Hamas,
représentent désormais une grave menace pour l’Etat hébreu. A charge pour ce
dernier non seulement de parer au danger mais de le supprimer. Exemple sidérant
de tactique asymétrique, la menace à Gaza est fixe mais la forteresse, formidable.
En son sein vivent, étroitement mêlés, combattants et familles. Pour vaincre,
les Israéliens devraient instituer un régime de terreur avec otages et
exécutions de masse. Bien sûr, il n’en est pas question. Au Proche-Orient,
c’est donc plus que jamais l’impasse, fondée sur l’incapacité des uns et des
autres à l’emporter militairement. Qu’elle est dérisoire la puissance des
armes, s’il s’agit de frapper les esprits au coeur, de rallier les bonnes
volontés, de surmonter les extrémismes! Devenue impossible, la guerre se meurt.
Sans doute est-ce là une bonne nouvelle. L’ennui est que nul ne sait par quoi
la remplacer.
Notes
(1)
Forces de défense d¹Israël.
(2) Initiales en hébreu de «Forces de défense d¹Israël» ou FDI.
(3) Intelligence and Terrorism Information Center (ITIC) ou «Centre
d¹information sur le renseignement et le terrorisme», Tel-Aviv.
(4) Ethan Bronner, «Hamas in Largest Arms Building
Yet, Israeli Study Says», The New York Times, 10 avril 2008.
Note de www.nuitdorient.com
La situation actuelle au Moyen Orient notamment au sujet des menaces du trio Iran-Hezbollah-Hamas contre Israël, et des réponses de celui-ci, nous rappelle une histoire de bagarre entre gondoliers: "retenez-moi! je vais lui casser la gueule…!"
Pourparlers indirects entrecoupés de vociférations de guerre imminente. Attention aux faux pas…