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Par David Govrin, a travaillé au Ministère des Affaires Etrangères d’Israël
depuis 1989. Il était auparavant Premier Secrétaire de l’Ambassade d’Israël au
Caire, et conseiller politique permanent de la Mission d’Israël aux Nations
Unies à New York.
Publié par Jerusalem Center
for Public Affairs - N° 528 – 1er – 15 mars 2005
Traduction
française de Simon Pilczer, volontaire de l’IHC
- La perception de la
démocratie par le Président Bush comme étant au premier plan de la politique
étrangère américaine est une modification de la politique traditionnelle des
USA de Realpolitik au Moyen-Orient – soutenant la stabilité et les
dirigeants "amicaux" aussi autocrates qu’ils soient.
- La culture politique
fondamentale des sociétés arabes musulmanes est fondée sur la souveraineté
indiscutable de Dieu, et la démocratie et la souveraineté populaire, dans son
sens occidental, apparaissent contraires à ce concept.
- La notion de ‘sécularité’
[laïcité, ndt] de l’état, la diffusion du pouvoir, la supériorité de la loi de
l’état, le suffrage populaire et les élections, les contrôles et les
équilibres, le droit des femmes à participer au processus politique, et le rôle
de groupes indépendants dans le société sont encore étrangers à la culture
politique arabe musulmane.
- Le caractère
commun des régimes arabes actuels est leur nature autoritaire. Leur légitimité
provient du pouvoir militaire ou de l’ascendant religieux, non du peuple. La
société civile, un élément essentiel pour établir la démocratie, est faible ou
inexistante.
- Beaucoup s’attendaient à
ce que la télévision par satellite et l’Internet saperaient le pouvoir absolu
de régimes non élus en exposant les sociétés arabes à des sources indépendantes
d’information. Cependant, les canaux de Télé satellitaires, détenus soit par
des gouvernements ou leurs associés, ont servi à renforcer les dirigeants
arabes. Les gouvernements ont aussi imposé une lourde censure pour les
utilisateurs de l’Internet à travers les fournisseurs d’accès et les compagnies
de téléphone qui les détiennent.
Soutenir et promouvoir la
démocratie à travers le monde a longtemps été une pièce maîtresse de la
politique étrangère américaine. Cependant, il y a peu de doute que les attaques
terroristes du 11 septembre 2001 ont changé l’orientation stratégique de la
politique étrangère américaine. Les analystes ont considéré les principaux éléments
de la « doctrine Bush » comme une guerre préventive, c'est-à-dire une
action préventive unilatérale contre les menaces envers les USA ;
Maintenir la domination militaire comme garantie de la préservation de la
stabilité internationale ; et une continuité active dans l’expansion de la
démocratie à travers le globe. Selon l’expression d’un analyste, la nouvelle
politique de Bush tente d’ « atteindre aux racines de la cause derrière al
Qaïda ; le noyau entre l’extrémisme islamique et la tyrannie ». (1)
La vision et la
détermination du Président Bush pour promouvoir la démocratie au Moyen-Orient
ont été démontrées dans son discours à ‘l’Etat de l’Union’ du 2 février 2005.
Encouragé par les élections tenues en Afghanistan, en Irak et par l’Autorité
Palestinienne, ainsi que par le « niveau plus élevé de réforme » qui
s’est étendu du Maroc à la Jordanie et Bahrain, le Président a promis son
soutien aux mouvements démocratiques au Moyen-Orient. Il a appelé l’Arabie
saoudite et l’Egypte, principaux alliés de l’Amérique, à démontrer leur
capacité à gouverner dans la région en élargissant le rôle de leur peuple et en
montrant la route vers la démocratie. Le Président a aussi exprimé son credo
que le succès des élections en Irak inspirerait des réformateurs démocratiques
« de Damas à Téhéran ». (2)
L’Initiative de Partenariat
au Moyen-Orient [MEPI en anglais, ndt], lancé le 12 décembre 2002, par le
précédent secrétaire d’Etat américain Colin Powell, envisageait les réformes
économiques, politiques et éducatives au Moyen-Orient comme d’intérêt
primordial pour les USA, reflétant la reconnaissance par l’administration que
des réformes économiques et sociales efficaces dans les monde arabe devaient
s’accompagner d’une plus grande liberté politique. L’idée derrière l’initiative,
soulignée par Richard Haass, le chef du bureau de planification politique au
Département d’Etat [Ministère des Affaires Etrangères des USA, ndt], était que
la stabilité fondée sur l’autorité seule est « illusoire et finalement
impossible à maintenir » (3), et la démocratisation graduelle au
Moyen-Orient renforcerait finalement la stabilité et encouragerait la
prospérité et la paix dans la région.
MEPI a constitué, jusqu’à
un certain point, une approche révolutionnaire
par les USA à l’adresse du Moyen-Orient car elle s’adressait, pour la
première fois, à la nature des régimes arabes de la région plutôt qu’à la
nature de la relation des USA avec eux. Cependant, au niveau pratique, MEPI a
choisi de traiter à la marge la réforme en s’attaquant à des programmes non
controversés, et en travaillant dans les limites posées par les gouvernements
arabes. (4)
Le 6 novembre 2003, le
Président Bush annonça « un stratégie avancée de liberté au
Moyen-Orient », disant que « la stabilité ne peut être achetée au
prix de la liberté » et qu’aussi longtemps que le Moyen-Orient manquerait
de liberté, il demeurerait un lieu de stagnation, de ressentiment et de
violence prêt à l’exporter (5). Cette politique, percevant la démocratie au
premier plan de la politique étrangère américaine, était une modification des
la politique traditionnelle des USA au Moyen-Orient qui favorisait la Realpolitik
– La stabilité de dirigeants ‘amicaux’ aussi autocrates qu’ils soient.
Le 9 juin 2004, la Maison
Blanche a publié l’initiative élargie au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord
[BMENA en anglais, ndt] pour soutenir la liberté politique, économique et
sociale, en partenariat avec les huit nations industrialisées (G 8). BMENA
proposait un cadre Euro-américain pour la promotion de la démocratie, un
nouveau fond pour la démocratie, et un forum régional pour le dialogue. Les
participants soutenaient des réformes démocratiques, sociales et économiques
émanant de la région et s’engageaient à coopérer avec les gouvernements de la
région ainsi qu’avec les représentants des affaires et de la société civile. De
plus, ils déclaraient que les conflits régionaux ne doivent pas être un
obstacle à la réforme, que le changement ne doit pas être imposé de
l’extérieur, et que chaque société atteindrait ses propres conclusions sur la
place et l’étendue du changement. Ces deux derniers éléments reflétaient la
reconnaissance par les USA et les partenaires européens des limites de leur
initiative, et internalisaient la réaction négative et la réticence des gouvernements
à accepter les propositions initiales.
Le Président Bush déclara à
l’assemblée générale de l’ONU le 21 septembre 2004, que l’objectif à long terme
de l’établissement de la démocratie devait prendre la priorité sur la question
à court terme de la stabilité au Moyen-Orient. Il reconnaissait que depuis trop
longtemps, beaucoup de nations, y compris les USA, toléraient et même
excusaient l’oppression au nom de la stabilité. De là, « l’oppression
devenait l’habitude, mais la stabilité ne survenait jamais ». Il appelait
les USA à choisir une approche différente et à aider les réformateurs du
Moyen-Orient à construire une communauté de nations démocratiques. (6)
La culture
politique dominante dans le monde arabe.
Une grande part de la culture politique fondamentale
des sociétés arabes musulmanes s’appuie sur la souveraineté indiscutable de
Dieu. Dans les décennies passées, « la propension à l’autoritarisme »
a aussi émergé de la combinaison du nationalisme et du socialisme du tiers
monde, bien qu’aujourd’hui l’islamisme affecte la culture politique bien
davantage (7). La démocratie et la souveraineté populaire, dans leur sens
occidental, sont contraires au concept même de la souveraineté divine et
supérieure de Dieu. Ce concept s’est traduit dans la plupart des constitutions
d’états arabes en stipulant que la Sharia, la loi islamique, est soit la
première, soit la seule source de la législation.
La notion de laïcité de
l’état, la diffusion du pouvoir, la supériorité de la loi de l’état, le
suffrage populaire et les élections, les contrôles et les équilibres, le droit
des femmes de participer au processus politique, et le rôle de groupes
indépendants dans la société sont encore étrangers à la culture politique arabe
musulmane. De là, le cœur du problème n’est pas l’établissement des
institutions politiques et légales nécessaires, mais plutôt l’absorption de
différents principes et valeurs qui permettraient réellement au pluralisme et
au libéralisme [au sens anglo-saxon, ndt] d’exister.
La caractéristique commune
aux régimes arabes actuels, cependant, est leur nature autoritaire. Leur
légitimité provient de la puissance militaire ou de l’ascendant religieux, pas
du peuple. La société civile, élément essentiel dans l’établissement de la
démocratie, est faible ou inexistante. De plus, il n’y a pas de mouvement
populaire pour un changement démocratique. Les pays arabes manquent de vraies
institutions représentatives et utilisent de lourdes restrictions aux libertés.
Dans de nombreux cas, les femmes sont privées de leur droit basique de
participer à quelque sorte de processus politique que ce soit dans le domaine
local ou national. D’où, la participation politique dans le monde arabe est
moins avancée que dans n’importe quelle autre région en développement (8).
Voyez simplement comment la
‘Maison de la Liberté’ [Freedom House en anglais, ndt] décrit les régimes du
monde arabe. Dans son enquête annuelle de 2003 intitulée Liberté dans le
monde (9), elle note qu’il existait au total 121 démocraties électorales dans
le monde ; pas un seul membre de la Ligue Arabe n’apparaît sur cette liste
démocratique. En 2005, la division du monde par la ‘Maison de la Liberté’ entre
les « états libres » (comme les USA, la Grande Bretagne, le Japon,
Israël, et l’Inde) et les « états non libres » (comme l’Egypte, le
Pakistan, l’Iran, l’Arabie saoudite, le Soudan, et la Syrie), aucun état arabe
n’apparaît dans la catégorie « libre » (10). Dans la catégorie
« en partie libre », la Jordanie, le Koweït, Bahraïn, le Maroc, et le
Yemen ressortent . Mais même dans ces pays vitrines, les droits politiques
sont limités. Le roi de Jordanie peut dissoudre le parlement et faire
démissionner son Premier Ministre et son cabinet à sa discrétion ; il peut
retarder des élections et gouverner par décret. Le roi du Maroc peut dissoudre
le parlement et gouverner par décret aussi.
Au vrai, le monde arabe a
absorbé les outils technologiques occidentaux qui jouent un rôle central dans
les sociétés démocratiques et libérales, avec l’extension de la télévision par
satellite et l’internet. Beaucoup d’observateurs élevaient de grands espoirs
dans ces deux outils pour saper le pouvoir absolu de régimes non élus en
exposant les sociétés arabes à des sources indépendantes d’information, et
appuyer un processus tranquille et graduel mais inévitable de démocratisation.
Pourtant cette hypothèse s’est révélée infondée. Les chaînes de télévisions
satellitaires, détenues soit par les gouvernements, ou leurs associés, ont
servi à renforcer les dirigeants arabes. Les programmes de télévision ont été
ajustés à la culture arabe, et centrés sur des questions « externes »
plutôt que sur les problèmes domestiques. De plus, les gouvernements ont imposé
une lourde censure sur les utilisateurs d’Internet à travers les fournisseurs
d’accès au service et les compagnies de téléphone qui les possèdent (11).
La menace posée aux régimes
arabes par les mouvements radicaux islamiques depuis les années 1980 ont poussé
des dirigeants arabes non élus à souligner les aspects religieux de leur
politique, et à inclure des messages religieux dans leur discours, de manière à
gagner une plus grande légitimité de leur public. C’est la solution la plus
facile pour remplacer le besoin de répondre aux vrais défis d’une situation
socio-économique en voie de détérioration. Dans le même temps, les restrictions
politiques imposées aux mouvements islamistes ont transformé les mosquées en
arène politique alternative aussi bien qu’en centre de services sociaux. Le
résultat a été un renforcement de l’intrication déjà existante entre l’état et
la religion. De là, les états arabes se sont éloignés eux-mêmes d’une plus
grande séparation entre la religion et l’état, et de l’établissement d’un
modèle de gouvernance séculier [laïque, ndt] qui est un prérequis pour le développement
d’une vraie démocratie libre.
Pour commencer, des régimes
arabes ont rejeté la notion de promotion de la démocratie en croyant fermement
que préserver un pouvoir absolu était la seule manière d’assurer leur survie.
Ils ont argué du fait que les USA n’avait pas le droit d’interférer avec les
affaires internes des pays arabes. Ils ont aussi rejeté « l’attitude
américaine arrogante » et soutenu que les Américains n’avaient pas de
crédibilité pour promouvoir la démocratie à la lumière de leurs propres
antécédents dans la région, de leurs efforts de soumettre les peuples arabes,
de leur volonté de prendre le contrôle des champs pétroliers en Irak, et de
leur soutien à Israël, et de leur négligence des droits des Palestiniens (12).
En effet, beaucoup de régimes arabes ont préféré expliquer la rage de la
nouvelle militance islamique contre l’Occident par le conflit
israélo-palestinien. Ce faisant, ils ont pu détourner l’attention de la réforme
démocratique dans le monde arabe.
De plus, ces régimes ont
averti les USA que, à ce stade, la réforme politique pourrait être trop risquée
et pourrait secouer leur propre stabilité, car elle renforcerait et pourrait
même porter au pouvoir les islamistes radicaux qui poursuivent une politique
hostile contre l’Occident. La victoire du Front Islamique du Salut (FIS) aux
élections parlementaires algériennes en 1991 et des craintes de révolution
islamique en Algérie parmi les dirigeants arabes et occidentaux ont aussi renforcé
cet argument.
De plus, des dirigeants
arabes ont préféré souligner le lien entre la question de la réforme politique
et le conflit israélo-palestinien non résolu, et ont donc clamé que le
calendrier était inapproprié. Une semaine après l’annonce de MEPI, le Ministre
d’Etat égyptien des affaires étrangères Faïza Abu el-Naga a expliqué que le
lancement de l’initiative aurait dû être retardé jusqu’à ce que la situation
sur les fronts palestiniens et irakiens « puisse le permettre » (13).
Il n’est pas besoin de dire que la situation au Moyen-Orient peut bien ne
jamais permettre à cela d’arriver.
Ce lien entre la démocratie
et la paix au Moyen-Orient est souvent mentionné. Le roi Abdullah de Jordanie a
expliqué que la principale raison de retarder la mise en place de la démocratie
dans son pays était l’absence de paix entre Israël et les Palestiniens. Il a
proclamé que la paix entre Israël et le reste du monde arabe pourrait créer une
nouvelle orientation de stabilité et de paix et pourrait aussi apporter une
chance de démocratie (14). Amin Al-Mahdi, intellectuel égyptien et activiste
important de la paix, a expliqué que la question palestinienne était
« l’accessoire pour la guerre déclarée à la démocratie et à la
modernisation, un prétexte externe pour la note de divorce avec le monde libre
et pour imposer diverses lois, depuis l’état d’urgence en passant par les lois
militaires »(15).
Dans une tentative pour
dissiper la fureur sur la proposition de l’administration Bush pour la
démocratie au Moyen-Orient, le secrétaire d’état d’alors, Powell a expliqué que
les pays arabes auraient à décider comment avancer et poseraient leur propre
calendrier. Il assura aux dirigeants du Koweït et d’Arabie saoudite qu’il n’y
avait pas volonté d’imposer une réforme à leurs pays. Il souligna aussi que la
réforme « devait venir de l’intérieur de la région », chaque pays
« examinant sa propre histoire, sa propre culture, son propre stade de
développement politique » (16).
En réponse à ce défi, les
dirigeants arabes ont publiquement adopté une certaine terminologie
démocratique. Ils ont utilisé des termes tels que « réforme »,
« liberté » et « pluralisme » de façon à apaiser les appels
à la démocratie soulevés par des forces à la fois intérieures et extérieures.
Cependant, ils ont réussi à distraire le cœur du discours public de la
« démocratie » et de la « réforme ». Dans le même temps,
ils ont évité de discuter la réalisation de changements substantiels et ont
souligné les besoins de l’état de « responsabilité » et de
« stabilité ». De là, ils ont restreint le champ de la réforme et au
même moment, ils ont rejeté les appels à une démocratie libérale [au sens
anglo-saxon, ndt] comme système universel de gouvernance.
La publication du rapport
du programme de développement de l’ONU en mai 2002 [UNDMP en anglais, ndt] a
augmenté significativement la légitimité du débat public concernant la question
de la réforme politique, puisque il était écrit par un groupe d’universitaires
et d’intellectuels arabes indépendants et largement respectés. Le rapport a
identifié trois principaux obstacles au développement humain dans le monde
arabe : les Droits de l’Homme,
l’extension du pouvoir au femmes, et l’acquisition de la connaissance.
Le rapport de l’UNDP,
l’initiative MEPI, et les activités de plusieurs organisations non
gouvernementales (17) ont soulevé des questions fondamentales concernant la
réforme politique dans le monde arabe. Une conférence quasi-gouvernementale
s’est tenue en mars 2004 en Egypte pour tenter de traiter de ces développements.
La conférence a adopté un document contenant des recommandations significatives
aux gouvernements arabes sur des réformes dans les sphères politique,
économique, sociale et culturelle, et appelait à l’établissement d’un mécanisme
de suivi. Elle appelait aussi les pays arabes à décider de leurs priorités tout
en respectant la tradition islamique. Cependant, les participants s’accordèrent
sur le fait que la stratégie pour atteindre un futur meilleur se fondait sur la
promotion de la modernisation et du développement ainsi que sur le besoin
d’établir une paix élargie dans la région (18). En adoptant cette approche, les
participants ont conditionné fondamentalement la réforme politique à une
solution du conflit israélo-arabe. Il n’est pas surprenant que la conférence
n’ait pas attiré beaucoup l’attention des médias arabes.
Le sommet arabe de Tunis,
le 23 mai 2004, a reflété de profonds désaccords sur la question de la réforme
et de la modernisation du monde arabe. Les représentants n’ont pu s’accorder
sur des questions essentielles, aussi ils ont émis une déclaration faible qui
comprenait un appel pour la poursuite et l’intensification du processus de
développement dans les champs politique, économique, social, et éducatifs en « accord avec les
valeurs et les concepts culturels, religieux et civils des sociétés arabes,
selon les circonstances et leurs capacités ». La déclaration notait aussi
un besoin général d’approfondir les fondations de la démocratie et d’étendre la
participation du peuple dans le processus politique (19). Pourtant le sommet
échoua à s’accorder sur un plan de travail pour mettre à exécution ces idées en
accord avec un calendrier spécifique.
Le Dr. Abu Talib du Centre
Al Ahram d’Etudes Stratégiques et Politiques au Caire a rapporté que les
régimes arabes ont échoué à comprendre la question de la réforme, et la
perçoivent comme une pression extérieure destinée à assurer des intérêts
étrangers à la région arabe. Pour cette raison, et parce que les dirigeants
arabes craignent toute instabilité, ils ont suspendu et retardé ces réformes
(20). L’Egypte elle-même a donné des signaux mêlés. Le 26 février 2005, le
Président Hosni Moubarak, en définitive, a ordonné une révision des lois
électorales de son pays. Auparavant ; les électeurs égyptiens pouvaient
seulement confirmer par referendum national le seul candidat nommé par
l’Assemblée Nationale égyptienne dénuée de pouvoir (que le Parti Démocratique
National de Moubarak contrôle très lourdement). Maintenant Moubarak proposait
pour la première fois une élection concurrentielle pour la présidence avec
plusieurs candidats. Pourtant un mois plus tôt, les autorités égyptiennes
avaient arrêté Ayman Nour, le chef d’un parti d’opposition égyptien à
l’Assemblée Nationale. Comme résultat, la secrétaire d’état, Condoleeza Rice
annula brutalement un voyage au Caire programmé pour le début Mars 2005 (21).
Le taux relativement élevé
de Shiites et de Kurdes ayant voté aux récentes élections en Irak – tenues pour
la première fois en 50 ans – démontre la forte volonté de ces groupes
‘ethniques’ [il s’agit plus différences culturelles pour les Kurdes, et
rituelles pour les Shiites, que de différences ‘ethniques’, ndt] de
participer activement à la vie politique. De plus, cela reflète leurs efforts
redoublés de renforcer leur position dans le processus de remodelage de l’Irak,
particulièrement à la lumière du referendum à organiser en octobre prochain
pour l’approbation de la constitution. Cependant, la rébellion sunnite armée à
Fallujah et leur boycott des élections peut saper la légitimité du processus
électoral et peut aussi affaiblir la capacité du Parlement élu de représenter
tous les groupes ethniques en Irak.
L’avancée de la démocratie
en Irak requiert non seulement le changement de son régime, mais aussi un
profond changement de sa culture politique : les Shiites par exemple, qui
constituent la majorité du pays, ont été privés de pouvoir politique réel
depuis l’époque ottomane et ont été écrasés socialement et religieusement
depuis des décennies. Maintenant les Shiites aspirent à corriger cette
injustice et à diriger leur état. Les Kurdes de leur côté, aspirent à être
reconnus ‘de jure’ dans leur autonomie de facto, dont ils ont
joui dans les dix dernières années. Ils veulent aussi étendre leur autonomie à
la région riche en pétrole de Kirkouk.
Le développement d’une
culture politique basée sur le pluralisme, la tolérance, l’équité, et la
reconnaissance mutuelle entre les différents groupes ‘ethniques’ constitue une
précondition essentielle pour construire un nouveau système de valeurs sur
lequel le régime démocratique sera
établi. La restauration de la stabilité, la réduction de l’interférence
avec les pays voisins, l’amélioration du gouvernement central, ainsi que la
réhabilitation de l’armée – symbole de l’Irak en tant que nation –
renforceraient toutes les efforts destinés à établir un état indépendant et
souverain.
Libéralisme constitutionnel avec les contrôles et les équilibres nécessaires : Pas seulement le mécanisme des élections.
Puisque la plupart des
leaders arabes manquent de la légitimité suffisante pour leurs propres
conscriptions, les réformes politiques qu’ils ont réalisées jusqu’à présent
étaient destinées à alléger la pression américaine et à éviter tous les
changements réels qui pourraient déstabiliser la situation dans leurs pays.
« Il existe quelques régimes musulmans qui considèrent leurs intérêts
mieux protégés s’ils appuient leur légitimité sur des bases culturelles et
symboliques plutôt que sur des principes démocratiques », observait Fatima
Mernissi, la sociologue marocaine (22). Les dirigeants arabes ont introduit des
mesures sélectivement, qu’ils croient en mesure d’améliorer leur image, telles
que des élections, l’extension du droit de vote aux femmes, et la législation
sur la question des droits personnels. Pourtant tous ces efforts étaient
limités, et destinés à préserver le plein contrôle et la conservation inchangée
des institutions existantes. Parmi les questions les plus critiques, le
maintien des lois de l’état d’urgence est demeuré inchangé, permettant aux
régimes de maintenir leur pouvoir absolu.
La manière dont ces
réformes limitées ont été accomplies a montré que les dirigeants arabes étaient
prêts à faire quelques pas pour réformer le système existant plutôt que de
le démocratiser. Alors que la tradition moderne de séparation de l’Eglise
et de l’Etat dans les pays chrétiens a facilité le processus de sécularisation
en Occident, et a ainsi contribué au développement d’une vraie démocratie, la
culture politique du monde arabe considère l’Islam comme un mode de vie
complet, dans tous ses aspects (politique, social, culturel, et individuel)
subordonné à Dieu et à la loi divine. De là, beaucoup d’Arabes, et pas
seulement leurs dirigeants, considèrent le mode de vie laïque occidentale
centré sur l’individu comme contraire à leur tradition. Ils sont prêts à
accepter ses manifestations extérieures (les élections par exemple) en refusant
d’approuver ses codes de conduite (liberté de parole). Ainsi, le rapport de l’UNDP
de 2002 concluait que, alors que l’acceptation ‘de jure’ de la
démocratie et des Droits de l’Homme est consacré dans les Constitutions d’états
arabes, l’application de facto est souvent méprisée (23). Un système de
gouvernance, en général, et la démocratie, en particulier, doit être le
résultat d’un vrai dialogue entre toutes les parties constituant la société. Le
discours interne est extrêmement important et constitue la fondation d’une
société émergente saine. Importer des structures et des institutions étrangères
à l’héritage ancien sera inutile, et toute tentative d’imposer la démocratie
dans sa forme occidentale dans les pays arabes déclenchera un puissant
ressentiment, et est voué à l’échec.
La question de la
démocratisation devrait demeurer la priorité du plan d’action et devrait être
discutée aux niveaux politiques les plus élevés. La cohérence et l’engagement
pour la promotion de cette question sont également importants. Cependant, la
pression ou des sanctions devraient être exclues. La marche en avant dépend de
la capacité à mobiliser la coopération des régimes arabes pour développer des
principes fondamentaux de libéralisme sur une base graduelle.
Comme Fareed Zakaria l’a
souligné, « la démocratie sans libéralisme constitutionnel n’est pas
seulement inadéquate, mais dangereuse, apportant elle avec l’érosion de la
liberté, l’abus de pouvoir, les divisions ethniques, et même la guerre »
(24). Jusqu’alors, la majorité des dirigeants arabes ont montré peu d’intérêt
dans une réforme politique substantielle telle que le gouvernement par la loi,
la séparation des pouvoirs, la liberté de parole, de réunion et de religion, et
l’établissement d’une société civile. Dans le même temps, toute tentative de
lier le progrès du processus de paix avec l’avancée de la réforme politique est
une recette pour la stagnation.
Le principal défaut dans le
système politique du monde arabe est qu’il y a peu de libéralisme
constitutionnel. Leurs constitutions concentrent le pouvoir dans sa branche
exécutive – qu’elle soit dirigée par un roi ou un président – et sape
l’autorité des branches parlementaire et judiciaire dans leur capacité à mettre
en cause ses décisions (25). Des élections libres aux parlements sans autorité
réelle ne sont pas une solution suffisante au manque de liberté au
Moyen-Orient.
Le principal argument à
mettre en avant est qu’établir des mécanismes représentatifs sur une base plus
large pour promouvoir une participation publique plus grande contribuerait à la
légitimité même des dirigeants et diminuerait les sentiments d’aliénation, de
frustration, et de désespoir. Des régimes amis, des activistes démocratiques,
des groupes de la société civile, devraient aussi être encouragés à travers un
soutien politique significatif et des incitations économiques. Finalement, pour
réussir, le rôle central de la tradition islamique dans les sociétés arabes
doit être pris en compte avec bon sens.
La préférence doit être
donnée à des principes tels que la liberté de parole, les Droits de l’Homme, et
la supériorité de la loi. Comme la déclaration de Sana’a en 2004 sur la
démocratie l’a souligné, « la démocratie est atteinte non seulement par
les institutions et les lois mais aussi par la pratique réelle des principes
démocratiques (28). Des élections, par exemple, sont la fin du processus
destiné à établir la démocratie, non le commencement. Comme le Président Bush
la affirmé, pour vaincre le terrorisme les USA doivent souligner cette vision
pour les peuples du Moyen-Orient. Cela, en fait, est corroboré par le rapport de
la commission bipartite [Républicains et Démocrates de la chambre des
Représentants aux USA, ndt] sur le 11 septembre [2001] : « Cette
vision inclut une large participation politique et le mépris de la violence
indiscriminée. Elle comprend le respect du gouvernement par la loi, l’ouverture
dans la discussion des différences, et la tolérance pour des vues opposées
(27). »
La bataille pour la
démocratie dans le monde arabe en est encore à son tout début. Etablir une
démocratie à l’occidentale, laïque, libérale dans le monde arabe nécessiterait
non seulement une modification fondamentale de l’intérieur, mais encore des
générations pour absorber, développer, et ajuster ces nouvelles notions, comme
c’est arrivé en Europe et aux USA. Les sociétés arabes elles-mêmes devront
forger leur propre modèle de démocratie, et décider aussi du rythme de sa
réalisation. Le défi est vraiment immense. Cependant, un processus sérieux de
démocratisation dans le monde arabe diminuera très probablement le risque de
confrontation militaire, contribuant ainsi à des règlements pacifiques des
conflits entre tous les pays de la région.
1. Reul Marc Gerecht, "The Struggle
for the Middle East," Weekly Standard, January 3, 2005.
2. State of the Union Address of President George W. Bush, February 2, 2005;
http://www.whitehouse.gov/news/releases/2005/02/20050202-11.html
3. Richard N. Haas, "Towards Greater Democracy in the Muslim World,"
speech delivered to the Council on Foreign Relations, Washington, D.C.,
December 4, 2002; http://www.state.gov/s/p/rem/15686.htm
4. Tamara Cofman Wittes, "The Middle East Partnership Initiative:
Progress, Problems and Prospects," Saban Center Middle East, memo # 5,
November 29, 2004; www.brookings.edu/views/op-ed/fellows/wittes20041129.htm
5. Remarks by President George W. Bush at the 20th Anniversary of the National
Endowment for Democracy, November 6, 2003;
http://www.whitehouse.gov/news/releases/2003/1120031106-2.html
6. Remarks by President George W. Bush to the United Nations General Assembly,
September 21, 2004; www.whitehouse.gov
7. Marina Ottaway and Thomas Carothers, "Think Again: Middle East
Democracy," Foreign Policy, November/December 2004.
8. The Arab Human Development Report 2002: Creating Opportunities for Future
Generations, United Nations Development Program, p. 108.
9. Freedom in the World 2003: The Annual Survey of Political Rights and
Civil Liberties (Lanham, Md.: Freedom House and Roman & Littlefield,
2003).
10. Freedom in the World 2005: Civic Power and Electoral Politics;
http://www.freedomhouse.org/research/survey2005.htm
11. Uriya Shavit, A Dawn of an Old Era: The Imaginary Revolution in the
Middle East (Jerusalem: Keter, 2003) (Hebrew), ch. 3.
12. Marina Ottaway, "Promoting Democracy in the Middle East: The Problem
of U.S. Credibility," Carnegie Endowment working papers, no. 35, March
2003; http://www.ceip.org/files/pdf/wp35.pdf
13. Reuters, December 18, 2002.
14. Interview with ABC, May 18, 1999; quoted in Uriya Shavit, A Dawn
of an Old Era: The Imaginary Revolution in the Middle East (Jerusalem:
Keter, 2003) (Hebrew), p. 155.
15. Al-Quds Al-Arabi, December 14, 2002.
16. Middle East News Agency, March 14, 2004.
17. See, for example, the statement made by the First Arab Civil Forum that
convened parallel to the Arab summit. The Forum raised fundamental demands,
inter alia, to end the state of emergency, to abolish martial law and courts,
to put an end to the practice of torture, to guarantee freedom of expression,
and to release prisoners of conscience. See the Forum's statement at
http://www.euromedrights.net
18. Al-Hayat (London), September 9, 2002.
19. New York Times, March 21, 2004.
20. Introduction to The Annual Strategic Report 2003-2004, Al-Ahram
Center for Political and Strategic Studies, Cairo, 2004; http://www.aharam.org.eg/archives/index
21. Joel Brinkley, "Rice Calls Off Mideast Visit After Arrest of
Egyptian," New York Times, February 26, 2005.
22. Fatima Mernissi, Islam and Democracy: Fear of the Modern World,
trans. Mary Jo Lakeland (New York: Perseus Books, 1992), p. 54.
23. UNDP Report 2002, p. 2.
24. Fareed Zakaria, "The Rise of Illiberal Democracy," Foreign
Affairs, November-December 1997, pp. 42-43. Zakaria defines
constitutionalism as a complicated system of checks and balances to prevent the
accumulation of power and the abuse of office.
25. Ray Takeyh, "Close, But No Democracy," The National Interest,
Winter 2004/05, p. 61.
26. The Sana'a Declaration on Democracy;
http://www.state.gov/e/eb/ecosum/future/38771.htm
27. The 9/11 Commission Report: Final Report of the National Commission on
Terrorist Attacks Upon the United States (New York: W.W. Norton, 2004), p.
376.