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Qu'est-ce qui conduira à l'arrêt du massacre en Israël?

 

Par Davis Ignatius, journaliste pour l'International Herald Tribune et le Washington Post

Traduit par Bertus

Beyrouth, le 8 juin 2002

 

En bas d'un allée poussiéreuse, au fond d'un labyrinthe de la banlieue shiite de cette ville, s'étend le quartier général de Sheikh Mohammed Hussein Fadlallah, que certains analystes considèrent comme l'inventeur de la moderne "bombe homicide". Cet homme lança semble-t-il la "fatwa" ou précepte religieux pour inciter les terroristes shiites à faire sauter un camion suicide à l'ambassade américaine, contre le baraquement des marines en 1983, tuant des centaines d'américains et inaugurant le processus qui allait éjecter les Etats-Unis hors du Liban. Ces attentats de 1983 ont été le prélude d'une guerre terroriste contre les Etats-Unis qui se poursuit sans doute jusqu'à ce jour.

 

Lors d'une visite à Beyrouth la semaine dernière, j'ai parlé à ce sheikh, car je voulais savoir ce qu'il pensait de l'évolution dans le monde depuis sa fameuse "fatwa" et de la vague d'attentats-suicide des palestiniens en Israël. J'étais venu avec un respect sincère pour son intelligence et sa passion, car il fait partie des quelques religieux musulmans qui reconnaissent l'urgence pour l'Islam de trouver un accommodement avec l'Occident.

Mais Fadlallah exprima une telle profonde et inflexible opposition à Israël – un état qu'il qualifia à un moment donné de "situation bizarre appelée Israël" – que j'ai quitté son quartier général plus pessimiste que jamais, sur les perspectives de ce qu'on peut appeler "paix".

Parmi les religieux shiites, Fadlallah a la réputation d'être une espèce de moderniste. Et il n'est pas un partisan automatique du terrorisme. Il était parmi les premiers éminents sheikhs à condamner sans équivoque les attaques-suicide du 11/9 contre les Etats-Unis.

La volonté de Fadlallah de défier le politiquement correct musulman était claire dans certains de ses propos. Il m'accueillit en observant que "le journalisme est plus une mission qu'un métier" – et pas par une des plaisanteries décousues qu'on entend dans le monde arabe. Et il continua en disant que le monde islamique pourrait mieux utiliser la passion de ce métier pour une plus grande objectivité. "L'émotivité est une plaie qui afflige l'Orient", dit-il, "et la réalité devient un mirage plutôt que de rester une réalité"

 

Mais lorsqu'on vint à parler d'Israël, Fadlallah perdit le ton enjoué. Il dit qu'il considérait cet état comme une implantation étrangère dans le monde arabe, une sorte "d'état colonial". "Il est inhumain et non civilisé de revendiquer une terre parce que vous y étiez 2 000 ans avant, et d'expulser les gens qui y vivent aujourd'hui". En d'autres termes, il n'acceptait pas le droit d'exister d'Israël, sur le plan moral (1).

J'ai demandé à Fadlallah s'il pouvait imaginer un accord de paix qui pourrait le mener à conseiller à ses adeptes qu'il était temps d'arrêter le massacre. "Oui" dit-il, "si Israël acceptait par exemple la proposition de paix saoudienne et reconnaissait un état palestinien, car la guerre n'est plus une option réaliste, ni un objectif à garder en tête".

 

Mais dans son for intérieur, Fadlallah pourrait-il accepter qu'Israël ait le droit moral à exister? Il semble clair que lui et des millions d'arabes continueraient de voir l'Etat juif comme immoral et injuste. Et c'est là le problème. Il n'y aura pas de paix, simplement une trêve.

Pour expliquer sa position, Fadlallah remarqua que les Etats-Unis ne partirent pas en guerre contre l'Union soviétique pendant toute la période de la guerre froide, pourtant ils n'avaient pas vraiment accepté de droit d'exister des soviétiques. "Les Américains ne partirent pas en guerre", dit-il, "mais ils n'acceptaient pas la légitimité de l'Union Soviétique"(2).

Quand je lui ai parlé des attentats-suicide contre des civils et demandé ce qu'il pouvait me dire si j'étais un père israélien qui avait perdu une de ses trois filles, qu'est-ce qu'il pouvait me conseiller? Fadlallah répondit que "la personne qui a tué votre fille est sous occupation et vous l'avez amené au désespoir; mon conseil est de vous joindre aux forces qui veulent la fin de l'occupation si vous souhaitez que vos deux autres filles soient sauves!"(3)  En retour, Fadlallah me demanda ce que je pourrai dire aux parents d'un enfant mort à Nagasaki, ou aux parents d'un enfant mort lors d'un bombardement américain en Afghanistan. Il dit "en période de guerre, tout peut arriver, la guerre est la guerre!" (4)

 

Comme la plupart des Libanais que j'ai rencontré ici, Fadlallah exprima sa conviction que l'administration Bush pouvait imposer une solution au problème palestinien, si seulement elle voulait s'en donner la peine. "Ce que nous voulons, c'est que quand le président américain regarde la statue de la Liberté, il ne pense pas seulement à la liberté des américains", dit-il. La rue arabe croit qu'il n'y a pas de politique américaine, qu'il y a seulement un cachet "fabriqué en Israël"!

 

Ces propos démontrent clairement combien la route vers la paix est chaotique. La "paix n'a pas de sens dans un monde où les erreurs du passé ne peuvent être oubliées ni pardonnées. On peut espérer au mieux une "paix froide", dans laquelle aucun côté n'accepte la légitimité morale de l'autre, peut-être, mais qu'au moins le massacre cesse!

(5)

 

 

Notes du traducteur

(1)   (1)   Malgré l'opinion de l'auteur favorable à l'éthique de ce religieux, les allégations avancées par lui sont fallacieuses; il est de notoriété publique que le nombre de juifs au début du 20ème siècle en Palestine dépassait celui des arabes et qu'une grande partie de ceux qui partirent en 1948 le firent sous la pression des armées arabes qui ont envahi la Palestine. Les arabes en Palestine immigrèrent des pays voisins à partir de 1917 pour occuper des emplois offerts par les pionniers juifs.

(2)   (2)   Cette comparaison est également fallacieuse et inadéquate pour un religieux intelligent et objectif, du fait que le communisme est un régime politique de la Russie tandis que l'état d'Israël est un pays ayant une terre, une langue, une religion, un peuple…

(3)   (3)   Affirmation encore fallacieuse, car 97% de la population palestinienne est sous l'Autorité d'Arafat…, l'occupation devenant alors un prétexte.

(4)   (4)   L'armée israélienne ou américaine ne vise pas délibérément des civils, enfants, femmes ou vieillards, comme les bombes "homicides"

(5)   (5)   Nous espérons que l'auteur a compris que la "trêve" ou "houdna" dans le jihad islamique s'applique à tous les infidèles, donc aussi bien aux israéliens qu'aux américains.

 

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